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(Marw.) Vous vous taifez, Mellefont! Refuferez-vous un regard à l'innocence ?

(Mell.) Hélas!

(Argb.) Ah! Madame, il foupire. Qu'a-t-il? Ne pourrions-nous pas le confoler? Si cela ne nous eft pas poffible, foupirons avec lui. Hélas! il jette les yeux fur moi. Mais il détourne fes regards, il les éleve vers le Ciel : que lui demande-t-il? Ah, puiffe le Ciel lui tout accorder, quand il nous refufe tout.

[Marwood fe jette avec fa fille aux genoux de Mellefont. On conçoit combien cette fituation eft intéreffante & pénible pour un pere & en même tems pour le fpectateur qui s'intéresse pour la malheureufe Sara & qui trémble que Mellefont ne cede aux mouvemens de la nature. En effet il est prêt à fe rendre. Mais que deviendroit Sara ?«Sara, lui dit Marwood, feroit » rendue à fon malheureux père, dont » elle faifoit la confolation, & à qui » vous l'avez enlevée ». Pour lui applanir toutes les difficultés, elle lui apprend qu'auffi- tôt qu'elle a pu dé

perfonnages font près de nous, plus leur fituation nous intéresse.

par

Il est dans l'homme de ne s'affecter que de ce qui arrive à fes femblables: or les Rois ne font nos femblables que les fentimens de la nature & par ce mêlange de biens & de maux qui confondent toutes les conditions en une feule, qui eft celle de l'homme. Que ceux qui méprifent la Tragédie bourgeoife penfent donc que dans les fujets les plus héroïques il n'y a que les affections communes qui nous émeuvent fortement. Ce n'eft point parce qu'Iphigénie eft fille d'Agamemnon, & Clitemneftre fille de Tindare, que leur fituation nous attendrit; c'eft parce que l'une eft la fille, & l'autre la mere. Il en eft ainfi de tout ce que le Théâtre héroïque a de terrible & de touchant.

La Tragédie bourgeoife eft dans le vrai fpectacle pathétique : ce qui l'éleve au-deffus de nous, l'en éloigne & par conféquent l'affoiblit.

Les Grecs, qui n'avoient confidéré la Tragédic que comme un fpectacle politique, n'y ont admis que des per fonnages illuftres & des événemens

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publics. Les Modernes en ont fait un fpectacle moral; & rien ne convient mieux à la fin qu'ils fe propofent, que des caracteres familiers & des événe mens domestiques.

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On nous oppofera des autorités mais 1o. il en eft peu qui balancent celle du grand Corneille. « La Tragé» die doit exciter, dit-il, de la pitié » & de la crainte....Or s'il eft vrai que » ce dernier fentiment ne s'excite en "nous que quand nous voyons fouffrir » nos femblables & que leurs infor» tunes nous en font appréhender de pareilles; n'eft-il pas vrai aufli qu'il » y pourroit être excité plus fortement » par la vue des malheurs arrivés aux perfonnes de notre condition, à qui » nous reffemblons tout-à-fait, &c. 2°. » Lorfqu'Ariftote examine lui-même » les qualités néceffaires au Héros de » la Tragédie, obferve le même Poëte, » il ne touche point du tout à fa naiffance, & ne s'attache qu'aux inci» dens de fa vie & à fes mœurs; il » demande un homme qui ne foit ni » tout méchant ni tout bon; il le de» mande perfécuté par quelqu'un de » fes proches; il demande qu'il tombe

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» en danger de mourir par une main » obligée à le conferver: & je ne vois » point, dit Corneille, que cela ne puifle arriver qu'à un Prince ».

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Voilà précisément l'apologie de la Piece dont nous allons donner un extrait.

La fcene eft dans une petite ville d'Angleterre.

Millefont, jeune libertin, a féduit & enlevé Mifs Sara, fille unique de Sir Sampfon. Celui-ci arrive de grand matin dans l'hôtellerie où il a fu que le raviffeur étoit caché avec fa fille; & la premiere scene, entre ce pere affligé & fon domeftique, eft une expofition auffi fimple que touchante du fujet de fa douleur.

(Sir Sampfon) C'est donc ici qu'eft ma fille?

(Vaitwell) Oui, Monfieur. Mellefont a eu grand foin de choifir la retraite la plus obfcure. Celui qui a fait une mauvaise action, cherche à fe cacher; mais que lui fert d'éviter les regards du monde ? Sa conscience le pourfuit & fe fait mieux entendre que tout le monde ensemble. Ah! mon sher maître, vous pleurez.

(Sir Sampf.) O toi dont l'affection m'eft connue depuis fi long-tems laiffe un libre cours à des larmes fi juftes.

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(Vaitw.) Oh! Monfieur, votre fille mérite d'être pleurée avec des larmes de fang.

(Sir Sampf.) Laiffe, ami, laiffe. (Vait.) Faut-il que la meilleure, la plus aimable, la plus refpectueufe des filles, ait été ainfi entraînée dans une démarche!... Ah Sara! Sara! je l'ai vu croître fous mes yeux; je l'ai tenue cent fois dans nes bras; je la voyois fourire, je l'entendois bégayer des paroles enfantines. On remarquoit dèslors dans toutes fes actions-les germes d'un efprit, d'un naturel qui depuis...

(Sir Sampf.) Ceffe de déchirer mon cœur par le fouvenir de mon bonheur paffé. Mes malheurs préfens ne font déja que trop cruels; mais loin de me flatter, condamne-moi plutôt ; reproche moi ma foibleffe comme un crime; peins-moi la faute de ma fille plus grande encore qu'elle ne peut l'être; augmente ma colere contre elle; anime ina vengeance contre le cruel qui me l'a enlevée; dis-moi que ma Sara n'à

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