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"Le onze de novembre entra en ville... un paysan menant deux juments chargées de bois. Lorsqu'elles furent arrivées sur la place Saint-Pierre, des valets du pape accoururent, et, ayant coupé les sangles qui retenaient les bâts de ces bêtes de somme, ils firent tomber le bois à terre avec les bâts. Ensuite ils conduisirent les juments à cette cour qui, dans le palais, est près de la porte. On lâcha alors quatre étalons de sang, sans frein ni licou, qui, courant aux cavales, et, avec de furieux hennissements et des cris, se mordant entre eux et ruant,... ascenderunt equas et coierunt cum eis.

>>... Le pape à la fenêtre de sa chambre, au-dessus de la porte du palais, et madame Lucrèce, riaient et se plaisaient à regarder... >>

L'historien Gordon trouve dans cette anecdote un exemple de la débauche la plus abominable, et plus choquant que le précédent'. L'honnête anglican proportionne bizarrement ses réprobations.

Voltaire aussi, à Ferney, contemplant les érotiques ébats de ses étalons : « Mesdames, criait-il à quelques spectatrices, voilà la nature. »>

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Miévrerie sensuelle, gaillardise titillant de sa pointe légère les nobles curiosités de l'intelligence!.. Vitam impendere vero... Prendre la nature sur le fait !... Alexandre VI est loin de là. Mais, chez les sages des deux époques, il y a d'intimes affinités de sentiments, dans des situations générales analogues. Philosophie et galanterie, libertés de vie, libertés d'esprit, pactisent

1. Vie d'Alexandre VI et de César Borgia, par GORDON; 2 vol. in-18. Amsterdam, chez Pierre Mortier, 1751; 2° partie, t. II, p. 41. 2. VOLTAIRE, Romans, Micromégas, chap. v.

contre la même autorité, comme en ce passage significatif, dans la préface de la Pucelle: « Les prêtres >> peuvent laisser en repos la conscience des grands sur >> leurs crimes, et, en leur inspirant des remords sur >> leurs plaisirs, s'emparer d'eux, les gouverner, et faire » d'un voluptueux un persécuteur ardent et barbare. »

L'athéisme théorique de Borgia, — qui, seul, le rapprocherait de certains sages, - n'est d'ailleurs pas

suffisamment établi. Pour s'élever à ces cimes de l'intelligence, le loisir, le calme d'esprit, le suprême désintéressement des passions, semblent indispensables. Tout à sa proie, qu'il la guette ou la dévore, le scélérat politique pourra-t-il, voudra-t-il penser au néant même de ce qu'il poursuit per fas et nefas? Il a besoin d'une puissance supérieure qui le fasse vivre, durer, jouir à jamais, car la jouissance est son but. Il lui faut une déité quelconque, qu'il apaise ou séduise au meilleur compte possible. Témoin Louis XI et sa Madone. Le tyran est superstitieux. Il croit au moins à son étoile. Je juge aisément Alexandre, homme de meurtre, de ruse et de rut, de la religion du brigand d'Espagne ou de Calabre. Du moins, le vrai courage de l'esprit s'associe-t-il plus naturellement à la pureté de la vie qu'à l'audace d'une conscience sans scrupule. Il se pourrait qu'Alexandre eût été sincère en son catholicisme, comme dans la persuasion, d'ailleurs très orthodoxe, que l'indignité de son caractère n'invalidait pas la légitime dignité de sa fonction. On le voit dans plusieurs circonstances, entre autres quand, le

29 juin 1494, il manqua d'être enseveli sous les ruines, lors de l'écroulement d'une salle du Vatican, faire, échappé au péril, les dévotions accoutumées. A l'église de Sainte-Marie-du-Peuple, où il se rendit en pompe, il y avait, dans une chapelle à gauche du maîtreautel, une image de la Vierge sous les traits de la Vanozza, la mère des enfants du Pape 1. Ce put bien être à ce tableau, bien que l'histoire n'en dise rien, qu'il adressa ses oraisons très sincères. Il est des grâces d'état, sans doute certaines convictions sont telles... La foi peut disputer comme sienne à la libre-pensée la belle âme d'Alexandre VI 2.

1. Tomas Tomasi, historien cité par GORDON, Hist. d'Alexandre VI, t. Ier, p. 426.

2. Voy. AUDIN, Hist. de Léon X, t. Ier.

CHAPITRE XXV.

LA BANQUE DU PAPE.

A proprement parler, il n'y a pas pour les foules de progrès théologique. Un petit nombre de docteurs a seul le loisir et la culture nécessaires pour pénétrer le fond du dogme, pour préciser la conception qu'il symbolise. Au regard des masses, la religion se limite au sentiment de forces inconnues dont on dépend, à la notion de certaines pratiques rendant ces forces propices. Volontés vagues, mais qui ne peuvent être conçues qu'avec des attributs humains. Un grand penseur l'a dit : « L'homme >> fait les Dieux à son image: il leur donne aussi ses >> mœurs 1. Ωσπερ δὲ καὶ τὰ εἴδη ἑαυτοῖς ἀφομοιοῦσιν οἱ ἄν » θρωποι, οὕτω καὶ τοὺς βίους τῶν θεῶν 1. »

Analysé, ce dogme du sacrifice, que Joseph de Maistre retrouve comme le substratum de tout culte, est-il aussi mystérieux qu'il veut le faire, particulièrement en ce passage de son curieux traité ? « Comment ne pas >> croire que le paganisme n'a pu se tromper sur une » idée aussi universelle et aussi fondamentale que celle

1. ARISTOTE, Politique, liv. Ir, ch. I.

>> des sacrifices, c'est-à-dire de la Rédemption par le » sang? Le genre humain ne pouvait deviner le sang » dont il avait besoin. Quel homme livré à lui-même >> pouvait soupçonner l'immensité de la chute et l'immen»sité de l'amour réparateur? Cependant tout peuple, >> en confessant plus ou moins clairement cette chute, > confessait aussi le besoin et la nature du remède 1. » Au fond, indépendamment des théologies qui le subtilisent, ce dogme de l'Immolation, qui aboutit à l'Eucharistie, pose sur le concept naïf d'êtres supérieurs, invisibles et plus ou moins célestes, apaisés et rendus favorables par la nourriture que les hommes font monter graisse fumante des victimes (xvioga) dans Homère, vapeur de beurre clarifié dans les Védas.

vers eux,

En fin de compte, le rit fétichiste demeure la religion de l'immense vulgaire. Le bouddhisme aboutit aux moulins à prières, le christianisme aux patenôtres. Les religions, en dernière analyse, ne valent que comme institutions disciplinaires imposant à l'instinct des masses un régime salutaire d'hygiène morale.

Qu'on juge, à chaque époque, l'institution religieuse, sans passion, sans entraînement de colère ou de sympathie, comme l'organe donné d'une fonction collective longtemps prépondérante..

Dans la fédération grecque l'oracle de Delphes, dans la fédération catholico-féodale, au Moyen-Age, le siége

1. JOSEPH DE MAISTRE, OEuvres complètes, Éclaircissement sur les sacrifices, ch. III.

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