Immagini della pagina
PDF
ePub

remarquable de ce pays sont de petits chevaux très intelligents, très doux et infatigables. Nous étions une trentaine pour faire notre course aux Geysirs, y compris les personnages officiels du pays qui nous accompagnaient. Une réunion de 50 cavaliers compte 100 chevaux. A un sigual donné, les 70 chevaux libres partent en avant; les cavaliers les suivent au grand galop; ils les rattrapent, ils les chassent devant eux. Après trois heures de pareille course, on fait halte, on met la selle sur les chevaux qui allaient jusqu'alors libres, et ainsi de suite, on continue son pèlerinage, en alignant de 20 à 25 lieues par jour. Le soir, on arrive à un endroit quelconque; tous sont également inhabités; on pique sa tente, ou bien on s'enroule dans sa couverture, et on s'endort sur un sol capitonné de lave et rembourré de cailloux. Les habiles parviennent à se procurer quelques mottes de tourbe. En attendant, il pleut toujours; le thermomètre, à cette époque de canicule, s'élève jusqu'à 10 degrés au-dessus de zéro. Le sixième jour de notre expédition, nous étions de retour à Reykiavik. Le lendemain soir, le commandant de la frégate française l'Arthémise, en station dans ces mers, nous donnait un bal à bord de son navire.

Le bal durait encore à bord de l'Arthèmise, que déjà notre bâtiment chauffait. En effet, quelques instants après, nous partions pour l'ile de Jean Mayen. Cette île, couverte de glaces, complétement inhabitée, a été découverte, à la fin du siècle dernier, par le hollandais Jean Mayen. Depuis, un seul navigateur a pu y débarquer; c'est le hardi baleinier écossais Scoresby. Les pêcheurs de phoques, de morues et de baleines qui circulent dans ces parages n'abordent jamais à Jean Mayen; ils se contentent d'amarrer leur bâtiment à une énorme glace flottante, et, tout en vaquant à leurs travaux, ils la suivent dans ses capricieuses ondulations.

Nous avons eu le soin de nous faire accompagner, dans notre excursion, par un vapeur anglais, le Saxon, chargé de charbon, et que, dans l'intérêt principal de notre locomotion, nous avons loué à Liverpool. Sans le charbon du Saxon, il eût été plus que téméraire d'entreprendre une aussi longue traversée. Les premiers deux jours de notre navigation furent assez heureux. Le troisième jour, nous nous vimes enveloppés d'une brume tellement épaisse, que du gaillard d'arrière on ne pouvait pas apercevoir l'avant du navire. Les mâts et les vergues s'effaçaient dans le brouillard. Cet état dura douze heures; mais ce fut bien pire encore quand un timide et blafard rayon vint percer la voûte cotonneuse suspendue au-dessus de notre tête nous nous vimes entourés de glaces; au déclin de l'horizon se découpait la célèbre banquise, hérissée de pics de glaces, cette terrible banquise contre laquelle sont venus s'échouer tant de navigateurs. Nous fùmes forcés de dévier de notre direction. Débarrassés des glaces, nous songeâmes pourtant à reprendre notre route, car, après tout, il fallait arriver à Jean Mayen. Six fois nous pénétrâmes dans les golfes de la banquise, et six fois nous fùmes forcés de virer de bord. Enfin, à la septième fois, nous nous sentimes arrêtés par les glaces. La mer devint houleuse, très-houleuse; des blocs immenses se balançaient autour de notre navire en le menaçant de leurs pics aigus. C'est à peine si, après quatre heures d'efforts, nous sommes parvenus à nous dégager. Il ne fallait plus penser à Jean Mayen. La banquise l'entourait de tous les côtés, des fortifications de glace nous en interdisaient l'approche. Nous retournâmes en Islande.

DE LA MARINE

ET DES COLONIES.

OCTOBRE 1956.

VOYAGES DE TERRE ET DE MER.-GÉOGRAPHIE.

VOYAGE DU PRINCE NAPOLÉON.

Nouveaux détails sur l'excursion au Groënland.

Le 15 juillet, la Reine-Hortense, de retour de son exploration dans les parages de Jean-Mayen, avait repris son mouillage de Reikiavik. Les deux jours qui suivirent furent consacrés avec la plus grande activité aux préparatifs du voyage au Groënland. Il fut décidé que le Cocyte y prendrait part. Il est fort difficile, pour un vapeur à roues, de naviguer au milieu des glaces, le moindre glaçon engagé sous un tambour étant susceptible de briser les palettes et la roue elle-même. Aussi le commandant Jonnard et l'état-major de son bâtiment avaient-ils dû se résoudre, quoique avec un vif sentiment de regret, à voir la Reine-Hortense partir seule pour l'exploration de la banquise sur la côte orientale. Le voyage au Groenland se présentait sous un tout autre aspect. Il ne s'agissait plus, cette fois, d'aller chercher les glaçons, mais au contraire de les éviter; et comme la banquise, après avoir doublé le cap Farewell, ne longe pas, en général, la côte occidentale au delà de Frederikshaab, il était permis d'espérer que le Cocyte pourrait la tourner en naviguant au large et atterrir, soit au N. de ce point, soit à ce point même. Il est vrai que, dans tous les cas, nous ne pouvions éviter que les glaces appelées en termes de marine bourguignons, que les vents et les courants détachent

ANN. MAR. 1856.-T. XVI.

13

de la banquise fixe, et qui en annoncent les approches. Ces glaces sont les plus dangereuses, parce qu'elles sont fort rapprochées les unes des autres, et que leur petitesse les dérobe souvent à l'œil des vigies en temps de brume ou par une grosse

mer.

Quant aux montagnes de glace proprement dites, ou icebergs, on les rencontre dans toute la largeur de la baie de Baffin et du détroit de Davis, jusqu'à la hauteur de TerreNeuve. Ces glaces, incomparablement plus grosses que les bourguignons, ont aussi une composition, une origine et une forme différentes; elles descendent de l'océan Arctique, du bassin polaire, par l'ouverture encore inexplorée qui existe entre le Groënland et l'Amérique, ou bien des immenses glaciers qui, sur les deux côtes de la baie de Baffin, baignent leur pied dans la mer, et s'enfoncent même sous les eaux jusqu'à une grande profondeur. Ces glaces, que leur éclatante blancheur et leur volume signalent de loin au navigateur, atteignent souvent une hauteur de 50 ou même de 80 mètres, ce qui leur suppose une effrayante dimension au-dessous de l'eau, quintuple au moins de celle que l'œil peut mesurer.

Mais ces grands écueils flottants ne sont pas les seuls périls de ces parages inhospitaliers. Le cap Farewell, comme toutes les pointes qui terminent les grands continents, le cap de Bonne-Espérance, le cap Horn, est battu par une mer éternellement orageuse. Du haut de ses pics glacés, battus par une tempête perpétuelle, descendent des vents furieux qui semblent défendre à l'homme l'accès d'un monde auquel sa propre nature ne l'a pas destiné. Qu'aux difficultés de ces mers furieuses, au péril de ces glaces flottantes, on joigne la présence presque continuelle des brumes, une côte à pic, d'une prodigieuse hauteur, précédée par des récifs et des écueils sur une étendue de plus de trois cents lieues, enfin l'absence de toute donnée hydrographique qui permette de reconnaître les mouillages dans les anfractuosités de cette muraille uniforme, et l'on comprendra comment la navigation de la baie de Baffin et l'at terrissement sur la côte du Groënland sont des entreprises exceptionnelles, difficiles, dignes par elles-mêmes de fixer la curiosité et de piquer l'amour-propre du voyageur et du marin.

Le 16 juillet, le Cocyte quitta la baie de Reikiavik, ayant pour instruction de se rendre à Frederikshaab, si ce port n'était pas fermé par les glaces, ou à Godthaab, à 60 lieues plus au N., si la banquise lui interdisait le premier atterrissement, d'at

tendre d'ailleurs la Reine-Hortense à l'un ou à l'autre de ces deux mouillages. Le Cocyte voyageait de concert avec le Tasmania, vapeur de commerce anglais, porteur de l'approvisionnement de charbon qui devait nous permettre de revenir du Groënland aux îles Féroë.

Le 17, à cinq heures du soir, la Reine-Hortense lève l'ancre. Ses mâts sont dépassés, sa grande vergue amenée sur les bastingages, ses ancres saisies à l'intérieur, son rouf étançonné, son pont couvert de sacs de charbon. L'œil d'un marin reconnait que l'élégante corvette a pris sa tenue de voyage et qu'elle est parée pour le mauvais temps et pour une longue et sérieuse navigation. Frémissant sous l'impulsion de son puissant moteur, elle s'arrête un moment devant la proue de l'Artémise, reçoit avec la grâce hautaine d'une reine accoutumée aux hommages le salut de la frégate, lui répond par trois cris de Vive l'Empereur! puis tout à coup, s'élançant loin de ces lieux animés par sa présence, elle ne laisse derrière elle que son sillage d'argent, un nuage de fumée et l'écho des canons qui ont salué son départ.

Les trois premiers jours de la traversée s'écoulèrent sans autres incidents que ceux qui accompagnent habituellement les navigations en haute mer, alors que le vaisseau étant isolé sur l'immensité de l'Océan, les variations de l'état du ciel et de la mer sont les seuls jalons d'un déplacement qui ne laisse pas de trace, et dont on ne voit les points extrêmes ni fuir ni se rapprocher. Quant à la journée du 20 juillet, elle fut marquée par une rencontre pleine d'intérêt et vraiment émouvante, un de ces épisodes maritimes assez communs dans les romans, mais fort rares dans la réalité. Il était cinq heures du soir, le temps était admirable, la mer unie comme un lac, quand à l'horizon, noyé dans la lumière du soleil, la vigie signala une voile. Ce ne pouvait être ni le Cocyte ni le Tasmania; la supériorité de notre marche nous assurait déjà sur eux une avance considérable. Quel vaisseau pouvait naviguer dans ces parages, qui ne sont sur la route ni du commerce ni de la pêche ? Pendant longtemps, armés de nos longues-vues, nous ne pûmes rien distinguer dans le point noir, objet de notre avide curiosité, si ce n'est l'étrangeté du gréement et de la voilure, que personne ne pouvait définir. Enfin, le Prince s'écria: « C'est un navire désemparé ! » En effet, à mesure que l'on approche, tous les doutes se dissipent. C'est d'abord la mâture qui apparaît dans un état de désorganisation complète, le beaupré

enlevé, le grand mât rasé, le mât d'artimon et le mât de misaine à moitié brisés, soutenant une vergue d'où pendent des lambeaux de toile et des bouts de cordage; puis le bastingage complétement enfoncé, et laissant voir le pont balayé par la lame; enfin le corps du navire, bas sur l'eau, tournoyant sur lui-même, présentant à l'avant une ouverture énorme où ia vague s'engouffre et d'où elle ressort en écumant. C'est bien un navire perdu, abandonné, que nous avons sous les yeux. Rien ne saurait rendre l'impression pénible que cause un pareil spectacle; c'est celle que l'on éprouverait en mettant le pied sur un cadavre humain. Ces tronçons de mât et de vergue qui se dressent complétement dépouillés, ces membres du navire mis à nu, rappellent les os d'un squelette, et la teinte blanchâtre que les embruns de la vague ont répandue sur ces débris ajoute encore à cette affreuse ressemblance. On met les canots à la mer; nous nous élançons à l'envi sur le pont du bâtiment naufragé; nous en fouillons toutes les parties, recherchant avec anxiété dans les moindres indices le secret du sinistre qui l'a si horriblement mutilé et la trace des malheureux qui l'ont abandonné. Le navire est un beau trois-mâts, du port de 400 tonneaux, chargé de bois de construction. La nature de son chargement, encore intact, et dont la valeur est estimée à plus de 200,000 fr., l'a empêché de couler bas, bien qu'il fasse eau de toutes parts. Du reste, sur son pont rasé, dans sa cale remplie d'eau, de bois et de débris de toute espèce, nous ne trouvons rien qui nous renseigne sur le sort de l'équipage.

Quelques restes de dorure informe encore apparents à la poupe et dans lesquels nous croyons reconnaitre les lettres des mots James Sunderland, le nom d'une usine de Newcastle, inscrits sur une pièce de fer avec un numéro d'ordre, sont des indices qui nous font, dès à présent, soupçonner que le navire est anglais, et qui pourront peut-être un jour servir à le faire reconnaître. Quant à l'équipage, il est présumable qu'il a aban. donné, dans ses embarcations, le navire désemparé et dématé par une tempête. La solitude de ces parages, l'immense éloignement de la terre, dont la côte la plus rapprochée est défendue par une impénétrable ceinture de glaces, laissent bien peu d'espoir sur la destinée de ces pauvres marins, et font même entrevoir la probabilité d'une longue agonie, plus alfreuse encore que la mort.

Nous arrachons au navire quelques lambeaux de bois et de

« IndietroContinua »