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déclinaisons de l'aiguille aimantée. Nous rapporterons deux lettres qu'il écrivit à Balzac vers cette époque, pour donner une idée du bien-être qu'il goûtait à Amsterdam, et pour montrer que le style de Descartes, sur d'autres matières que la philosophie, était plein de graces et d'enjouement.

«

MONSIEUR,

A M. DE BALZAC.

«< 29 mars 1631.

«

Encore que, pendant que vous avez été à Balzac, je susse bien que tout autre entretien que celui de vous-même vous devait être importun, si est-ce que je n'eusse pu m'empêcher de vous y envoyer parfois quelque mauvais compliment, si j'eusse cru que vous y eussiez dû demeurer si long-temps comme vous avez fait. Mais ayant eu l'honneur de recevoir une de vos lettres, par laquelle vous me faisiez espérer que vous seriez bientôt à la cour, je fis un peu de scrupule d'aller troubler votre repos jusque dans le désert, et crus qu'il valait mieux que j'attendisse à vous écrire que vous en fussiez sorti: c'est ce qui m'a fait différer d'un voyage à l'autre, l'espace de dix-huit mois, ce que je n'ai jamais eu intention de différer plus de huit jours; et, ainsi, sans que vous m'en ayez obligation, je vous ai exempté tout ce temps-là de l'importunité de mes lettres. Mais puisque vous êtes maintenant à Paris, il faut que je vous demande ma part du temps que vous avez résolu d'y perdre à l'entretien de ceux qui vous iront visiter, et que je vous dise que', depuis deux ans que je suis dehors, je n'ai pas été une seule fois tenté d'y retourner, sinon depuis qu'on m'a mandé que vous y étiez: cette nouvelle m'a fait connaître que je pourrais être maintenant quelqu'autre part plus heureux que je ne suis ici; et si l'occupation qui m'y retient n'était, selon mon petit jugement, la plus importante en laquelle je puisse jamais être employé, la seule espérance d'avoir l'honneur de votre conversation, et de voir naître naturellement devant moi ces

fortes pensées que nous admirons dans vos ouvrages, serait suffisante pour m'en faire sortir. Ne me demandez point, s'il vous plaît, quelle peut être cette occupation que j'estime si importante, car j'aurais honte de vous la dire: je suis devenu si philosophe, que je méprise la plupart des choses qui sont ordinairement estimées, et en estime quelques autres dont on n'a point accoutumé de faire cas; toutefois, pour ce que vos sentimens sont fort éloignés de ceux du peuple, et que vous m'avez souvent témoigné que vous jugiez plus favorablement de moi que je ne méritais, je ne laisserai pas de vous en entretenir plus ouvertement quelque jour, si vous ne l'avez point désagréable. Pour cette heure, je me contenterai de vous dire que je ne suis plus en humeur de rien mettre par écrit, ainsi que vous m'y avez autrefois vu disposé: ce n'est pas que je ne fasse grand état de la réputation, lorsqu'on est certain de l'acquérir bonne et grande comme vous avez fait; mais pour une médiocre et incertaine, telle que je la pourrais espérer, je l'estime beaucoup moins que le repos et la tranquillité d'esprit que je possède. Je dors ici dix heures toutes les nuits et sans que jamais aucun soin me réveille. Après que le sommeil a longtemps promené mon esprit dans des bois, des jardins et des palais enchantés, où j'éprouve tous les plaisirs qui sont imaginés dans les fables, je mêle insensiblement mes rêveries du jour avec celles de la nuit; et si je m'aperçois d'être éveillé, c'est seulement afin que mon contentement soit plus parfait, et que mes sens y participent: car je ne suis pas si sévère que de leur refuser aucune chose qu'un philosophe leur puisse permettre, sans offenser sa conscience. Enfin il ne manque rien ici que la douceur de votre conversation; mais elle m'est si nécessaire pour être heureux, que peu s'en faut que je ne rompe tous mes desseins, afin de vous aller dire de bouche que je suis de tout mon cœur,

«

Monsieur,

« Votre très humble et très obéissant serviteur,

« DESCARTES.

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J'ai porté ma main contre mes yeux pour voir si je r dormais point, lorsque j'ai lu dans votre lettre que vou aviez dessein de venir ici; et maintenant encore je n'os me réjouir autrement de cette nouvelle, que comme si je l' vais seulement songée: toutefois je ne trouve pas fort étrang qu'un esprit grand et généreux comme le vôtre ne se puiss accommoder à ces contraintes serviles auxquelles on es obligé dans la cour; et puisque vous m'assurez tout de bo que Dieu vous a inspiré de quitter le monde, je croirais pe cher contre le Saint-Esprit si je tâchais à vous détourne d'une si sainte résolution. Même vous devez pardonner mon zèle, si je vous convie de choisir Amsterdam pour vo tre retraite, et de le préférer, je ne dirai pas seulement tous les couvens des capucins, et des chartreux, où forc honnêtes gens se retirent, mais aussi à toutes les plus bel les demeures de France et d'Italie, et même à ce célèbre er mitage dans lequel vous étiez l'année passée. Quelque ac complie que puisse être une maison des champs, il y man que toujours une infinité de commodités qui ne se trouven que dans les villes, et la solitude même qu'on y espère n s'y rencontre jamais toute parfaite. Je veux bien que vous trouviez un canal qui fasse rêver les plus grands parleurs et une vallée si solitaire qu'elle puisse leur inspirer du trans port et de la joie; mais malaisément se peut-il faire qu vous n'ayez aussi quantité de petits voisins qui vous von quelquefois importuner, et de qui les visites sont encore plus incommodes que celles que vous recevez à Paris: au lieu qu'en cette grande ville, où je suis, n'y ayant aucun homme (excepté moi) qui n'exerce la marchandise, chacun y est tel lement attentif à son profit, que j'y pourrais demeurer toute ma vie sans être jamais vu de personne. Je vais me prome

ner tous les jours parmi la confusion d'un grand peuple, avec autant de liberté et de repos que vous sauriez faire dans vos allées; et je n'y considère pas autrement les hommes que j'y vois que je ferais les arbres qui se rencontrent en vos forêts, ou les animaux qui y paissent. Le bruit même de leur tracas n'interrompt pas plus mes rêveries que ferait celui de quelque ruisseau; que si je fais quelquefois réflexion sur leurs actions, j'en reçois le même plaisir que vous feriez de voir les paysans qui cultivent vos campagnes: car je vois que tout leur travail sert à embellir le lieu de ma demeure, et à faire que je n'y aie manque d'aucune chose. Que s'il y a du plaisir à voir croître les fruits en vos vergers et à y être dans l'abondance jusques aux yeux, pensez-vous qu'il n'y en ait pas bien autant à voir venir ici des vaisseaux qui nous apportent abondamment tout ce que produisent les Indes, et tout ce qu'il y a de rare en l'Europe? Quel autre lieu pourrait-on choisir au reste du monde, où toutes les commodités de la vie, et toutes les curiosités qui peuvent être souhaitées soient si faciles à trouver qu'en celui-ci? quel autre pays où l'on puisse jouir d'une liberté si entière, où l'on puisse dormir avec moins d'inquiétude; où il y ait toujours des armées sur pied, exprès pour nous garder; où les empoisonnemens, les trahisons, les calomnies soient moins connues, et où il soit demeuré plus de restes de l'innocence de nos aïeux? Je ne sais comment vous pouvez tant aimer l'air d'Italie, avec lequel on respire si souvent la peste, et où toujours la chaleur du jour est insupportable, la fraîcheur du soir mal saine, et où l'obscurité de la nuit couvre des larcins et des meurtres. Que si vous craigniez les hivers du Septentrion, dites-moi quelles ombres, quel éventail, quelles fontaines vous pourraient si bien préserver à Rome des incommodités de la chaleur, comme un poêle et un grand feu vous exempteront ici d'avoir froid. Au reste, je vous dirai que je vous attends avec un petit recueil de rêveries qui ne vous seront peut-être pas désagréables; et soit que vous veniez ou que vous ne veniez pas, je serai toujours passionnément, » etc.

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Tout le temps que Descartes passa dans Amsterdam se partagea entre l'anatomie, la chimie et les mathématiques.

par se

Il allait jusque chez les bouchers de la ville pour voir tuer les animaux, et se faisait apporter chez lui les membres qu'il voulait disséquer. Les parhélies observées à Rome lui firent commencer son Traité des météores. Mersenne, qu'il avait établi son agent scientifique à Paris, lui envoyait des problèmes de mathématiques et recevait ceux que Descartes proposait à son tour. Mais notre philosophe finit goûter de ce qu'il appelait les stériles opérations de l'arithmétique et de la géométrie. Il ne proposa plus de questions et se contenta de répondre à celles qui lui étaient envoyées. Ce fut à cette époque qu'il eut un démêlé avec son ancienne connaissance, le professeur Beeckmann, auquel il avait remis son traité, intitulé: Compendium musicæ, et qui voulait s'en attribuer l'invention dans un petit ouvrage qu'il venait de publier. Descartes lui redemanda ce manuscrit en le tançant d'une manière assez verte: « Je ne trouve rien « dans votre écrit, lui dit-il, qui vaille mieux que sa cou« verture.» Mais, à la prière d'un collègue de Beeckmann, il ne demanda pas mieux que de le recevoir en grace. Ce fut aussi vers ce temps que le comte de Marcheville, nommé ambassadeur à la Porte, lui fit demander d'être de sa compagnie, avec Gassendi et d'autres savans. Notre philosophe, ne se livrant pas à l'étude des antiquités ni des langues, n'avait pas beaucoup de profit à tirer d'un voyage en Orient, pour ses observations anatomiques et physiques, ni pour ses méditations sur Dieu et sur l'ame; il refusa donc la proposition. Il reçut pendant son séjour à Amsterdam la visite du père Mersenne, et vit arriver, en 1632, un jeune médecin nommé Villebressieux, qu'il avait connu chez le cardinal de Bérulle, qui était plein de talens pour la mécanique et la chimie, et qui voulut être pendant plusieurs anhées le disciple et pour ainsi dire le domestique de Descartes. Il eut avec ce jeune homme un débat fort différent de celui qu'avait suscité Beeckmann: Villebressieux lui at. tribuait avec obstination beaucoup de découvertes dont son maître lui renvoyait l'honneur.

Au printemps de 1633, Descartes alla demeurer à Deventer, auprès du professeur Reperi, qui le premier s'était dé,

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