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CHAPITRE PREMIER.

Analyse des Institutions oratoires de Quintilien.

SECTION PREMIERE.

Idées générales sur les premières études, sur l'enseignement, sur les règles de l'art.

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I quelque chose peut donner un nouveau prix à ce livre immortel, c'est l'époque où il fut composé. C'était celle de l'entiere corruption du goût, et ce qu'entreprit Quintilien fait autant d'honneur à son courage qu'à ses talens. Né sous Claude, il avait vu finir les beaux jours de l'éloquence, long-tems portée à son plus haut degré par Cicéron et Hortensius, et soutenue ensuite par Messala et Pollion, mais bientôt précipitée vers sa décadence par la foule des rhéteurs qui ouvraient de tous côtés des écoles d'un art qu'ils avaient dégradé. Il faut avouer aussi que la chute de la République avoit dû entrainer celle des beaux-arts. L'eloquence qu'on nomme délibérative, celle qui traitait des plus grands objets dans le sénat ou devant le peuple, était nécessairement devenue muette. lorsqu'il ne fut plus permis à la liberté de monter dans la tribune, et lorsque dans un sénat esclave il ne fut plus question que de déguiser avec plus ou moins d'esprit la bassesse des adulations que l'on prodiguait au despote, dont la volonté était la premiere des lois, ou d'envenimer avec plus ou moins d'art les lâches

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accusations que des délateurs à gages intentaient contre quelques citoyens vertueux que le regard ou le silence du tyran avait désignés pour victimes. Il y avoit encore des tribunaux, mais ils se sentaient, comme tout le reste, de la dépravation générale. Les grandes affaires ne s'y traitaient plus il ne s'agissait plus d'y déférer un Verrès, un Clodius à l'indignation publique. On n'y portait que ces controverses obscures, où les avocats songeaient plus au gain qu'à la renommée. Ce n'était plus le tems où le barreau était la première arêne ouverte au talent qui voulait se faire connaître; où les défenses et les accusations judiciaires étant un des grands moyens d'illustration, les hommes les plus considérables de l'État ne demandaient qu'à se signaler de bonne heure en dénonçant d'illustres coupables, en défendant des accusés contre les plus puissans adversaires; où une ambition honorable cherchait des inimitiés éclatantes. L'art des orateurs n'était plus qu'un métier de jurisconsulte et d'avocat. L'éloquence s'éleve ou s'abaisse en proportion des objets qu'elle traite, et du théâtre où elle s'exerce. Ainsi, pour se faire remarquer dans cette lice obscure, on eut recours à de petits moyens. Les minces ressources du bel-esprit, la puérile affectation des antitheses, la froide profusion des lieux communs, le ridicule abus des figures, en un mot, toute l'afféterie d'un art dépravé qui veut relever de petites choses, voilà ce qu'on admirait dans cette Rome, autrefois la rivale d'Athènes. Les déclamations (1) des écoles avaient achevé

(1) On les nommait ainsi, parce que ces discours étaient déclamés dans les écoles avec emphase, et s'exercer chez soi au débit et à l'action oratoire s'appelait aussi déclamer, declamare.

de tout gâter. On appeloit de ce nom des discours sur des sujets feints, qui étaient les exercices journaliers des jeunes étudians. Ces sortes de discours, prononcés publiquement par les maîtres de rhétorique où par leurs écoliers, avaient une vogue incroyable. On se portait en foule à cette espèce de spectacle, le seul qui offrît du moins le fantôme de l'éloquence à ces mêmes Romains qu'elle ne pouvait plus appeler au barreau ni aux assemblées du peuple. Comme les sujets communs des discussions judiciaires ne paraissaient pas aux rhéteurs assez importans pour y faire briller leur esprit et piquer la curiosité, ils imaginaient à plaisir les questions les plus bizarres, les causes les plus extraordinaires, et telles qu'elles ne pouvaient que trèsrarement se présenter devant les tribunaux. Nous avons encore des essais de ces controverses imaginaires, les uns de Senèque, le père du philosophe; d'autres très-faussement et trèsridiculement attribués à Quintilien. En voici quelques-uns du premier, qui peuvent faire juger des autres. Premier sujet : la loi ordonne que celui qui aura fait violence à une fille libre, soit condamné à la mort ou à l'épouser sans dot. Un jeune homme en viole deux dans une nuit. L'une veut l'épouser, l'autre demande sa mort. Plaidoyer pour l'une et pour l'autre. Second sujet : la loi ordonne qu'une vestale coupable d'une faiblesse, sera précipitée du haut d'un rocher. Une vestale, accusée de ce crime, invoque Vesta, se précipite et n'en meurt pas. On veut lui faire subir le même supplice une seconde fois. Plaidoyer pour et contre. Troisième sujet la loi permet à quiconque surprendra sa femme en commerce adultère avec un homme, de les tuer tous les deux. Un soldat qui avait perdu ses deux bras à la guerre, sur

prend ainsi sa femme, et ne pouvant se faire justice à lui-même, il doune ordre à son fils de percer de son épée les deux coupables. Le fils le refuse, et le père le déshérite. La cause est portée en justice: plaidoyer pour le père et pour le fils.

Voilà les frivoles jeux d'esprit où les rhéteurs et leurs disciples épuisaient toutes les subtilités de la dialectique et toutes les finesses de leur art. Qu'arrivait-il? C'est que les jeunes gens, après avoir passé des années entieres à exalter leur imagination et à se creuser la tête sur des chimeres, arrivaient au barreau presque entiérement étrangers aux affaires qui s'y traitaient et au ton qu'elles exigeaient. C'étaient de froids et pointilleux sophistes, et non de bons avocats, encore moins de grands orateurs; car on imagine bien que le style de ces compositions bizarres se ressentait du vice des sujets rien de vrai, rien de senti, rien de sain; des raisonnemens captieux, des pointes, de faux brillans, des tours de force, c'est tout ce qu'on remarque dans ce qui nous reste de ces étranges plaidoiries. Tout l'esprit qu'on y a perdu, ne vaut pas une page de Cicéron ou de Démosthene.

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C'est de là qu'est venu parmi nous l'usage d'appeler déclamation, en vers et en prose, ce défaut aujourd'hui presque général, qui consiste à exagérer ambitieusement les objets, à s'échauffer hors de propos, à se perdre dans des lieux communs étrangers à la question. Dans tous ces cas, plus on veut élever et animer son style, plus on le rend déclamatoire, parce qu'au lieu de montrer un orateur rempli de son sujet, ou un personnage pénétré de sa situation, on nous montre à peu près ce même jeu d'esprit qui était propre aux anciens déclamateurs.

Malheureusement il parut à cette époque un

écrivain célèbre, qui, ayant assez de mérite pour mêler de l'agrément à ses défauts, contribua beaucoup à la perte du bon goût. Ce fut Séneque, qui, né avec beaucoup plus d'esprit que de véritable talent, était plus intéressé que personne à ce que l'esprit tînt lieu de tout, et qui trouva plus commode de décrier l'ancienne éloquence, que de chercher à l'égaler. Il ne cessait, dit Quintilien, de se déchaîner contre ces grands modèles, parce qu'il sentait que sa manière d'écrire était bien différente de la leur, et qu'il se défiait de la concurrence. Son style haché, sentencieux, sautillant, eut aux yeux des Romains le charme de la nouveauté, et ses écrits eurent une vogue prodigieuse, que sa longue faveur et sa grande fortune dûrent augmenter encore. Pour être à la mode, il fallait écrire comme Séneque. « Rien n'est si dange» reux, dit judicieusement l'abbé Gédoyn, que » l'esprit dans un écrivain qui n'a point de » goût. Les traits de lumière dont il brille, frap» pent les yeux de tout le monde, et ses défauts »> ne sont remarqués que d'un petit nombre de » gens sensés. » Ils n'échapperent point à Quintilien, qui conçut le projet courageux de faire revivre la saine éloquence décréditée, et de la faire rentrer dans tous ses droits. Il commença par la plus efficace de toutes les leçons, mais la plus difficile de toutes, l'exemple. Il parut au barreau avec éclat, et ses plaidoyers que nous avons perdus, furent regardés comme les seuls qui rappelassent le siècle d'Auguste. On retrouva, on reconnut avec plaisir, cette diction noble, naturelle, intéressante, qui depuis si long-tems était oubliée. Son livre des Causes de la Corruption de l'éloquence, qui ne nous est pas parvenu, ouvrit les yeux des Romains; car il y a toujours un grand nombre

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