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blime. « Il y a, dit-il, une différence essentielle » entre ce dernier et les deux autres. Celui qui >> compose dans le genre simple, s'il a de l'es» prit, de la finesse, de la délicatesse, sans cher» cher rien au-delà, peut passer pour un bou » orateur. Celui qui travaille dans le genre tem» péré, pourvu qu'il ait suffisamment de cette >> sorte d'ornemens qui lui conviennent, ne peut >> courir de grands hasards; car lors même qu'il » sera inférieur à lui-même, il ne tombera pas » de très-haut. Mais celui qui prétend au premier >> rang dont il s'agit ici, s'il veut toujours être » vif, ardent, impétueux, si son génie le porte » toujours au graud, s'il en fait son unique » étude, s'il ne s'exerce qu'en ce genre, et qu'il >> ne sache pas le tempérer par le mélange des » deux autres, il n'est digne que de mépris.

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L'arrêt peut nous sembler sévere, mais ce sont les propres expressions de l'auteur, et si nous nous souvenons que, dans l'éloquence comme dans la poésie, la convenance du style au sujet est la qualité sans laquelle toutes les autres ne sont rien, et que de plus il est ici question de l'orateur du barreau, nous entrerons aisément dans la pensée de Cicéron. Voici comme il la développe, en prouvant que celui qui est toujours dans l'extrême, n'est bon à rien, et ne mérite par conséquent aucune estime. « L'orateur, dit-il, qui joint à la simplicité de » la diction la finesse des pensées, plaît par la >> raison et la sagesse; l'orateur dont le style est » orné, plaît par l'agrément; mais celui qui » veut n'être que sublime, ne parait même pas >> raisonnable. Que penser en effet d'un homme » qui ne peut traiter aucune matiere d'un air >> tranquille, qui ne sait mettre dans son dis» cours ni méthode, ni définition, ni variété; »> ni douceur ni enjoûment quand sa cause de

>> mande à être traitée de cette maniere en tout » ou en partie? Que penser de lui si, sans avoir » préparé les esprits, il s'enflamme dès le com>> mencement ? C'est absolument un frénéti» que parmi des gens de sens rassis; c'est un >> homme ivre parmi des gens à jeun et de sang>> froid. >>

Au reste, il ne faut pas s'étonner de trouver Cicéron si sévere. « Je suis dit-il, si difficile à >> contenter, que Démosthene même ne me satis>> fait pas entièrement. Non, ce Démosthene qui >> a effacé tous les autres orateurs, n'a pas tou>> jours de quoi répondre à toute mon attente et » à tous mes desirs, tant je suis, en fait d'élo» quence, avide et comme insatiable de per

>>fection. >>

Il ne s'épargne pas lui-même sur les productions de sa premiere jeunesse, et sa sévérité est d'autant plus louable, que les fautes qu'il reconnaît, pouvaient lui paraître justifiées par le succès. Mais Cicéron n'était pas de ces hommes qui croient qu'on n'a rien à leur répliquer lorsqu'ils ont dit : J'ai été applaudi, donc j'ai raison. Cicéron nous dit au contraire en homme qui aime encore mieux l'art que son talent: J'ai été applaudi et j'avais tort. Il rappelle un morceau de son premier plaidoyer prononcé à l'âge de vingtquatre ans, pour Roscius d'Amerie, et que nous avons encore. Ce discours, quoique très-inférieur à ce qu'il fit depuis, annonçait déjà tout ce qu'il pouvait faire, il fut extrêmement applaudi, non pas tant, dit l'auteur, à cause de ce qu'il était, qu'à cause de ce qu'il promettait. Il y eut surtout un endroit qui excita beaucoup d'acclamations, et qu'il condamne formellement comme une composition de jeune homme, qu'on n'excuserait pas dans la maturité. Il s'agit du supplice des parricides, qui, comme l'on sait

étaient liés vivans dans un sac et jetés à la mer. « Qu'y a-t-il, disait le jeune avocat, qui soit >> plus de droit commun que l'air pour les vivans, >> la terre pour les morts, l'eau de la mer pour >> ceux qui sont submergés, le rivage pour ceux » que la tempête y a rejetés? Eh bien! les par»ricides vivent, et ils ne jouissent point de » l'air; ils meurent, et le sein de la terre leur >> est refusé; ils flottent au milieu des vagues, et » n'en sout point baignés; ils sont poussés par >> les rochers; et ne peuvent s'y reposer. »

L'éclat de ce morceau est encore relevé dans le latin par un arrangement de mots et un nombre qui appartiennent à la langue. Mais il ne faut qu'un moment de réflexion pour voir que cette description séduisante n'est qu'un vain cliquetis de mots qui éblouissent en se choquant, un assemblage d'idées frivoles ou fausses. Qu'est-ce que cette distinction de l'air qui est commun aux vivans, et de la terre qui est commune aux morts? Est-ce que la terre n'est pas aussi commune aux vivans? De plus, il est faux qu'un homme jeté à la mer dans un sac ne soit pas mouillé par les flots, et ne puisse pas être porté sur un rocher. Mais quand tout cela serait vrai, qu'importe? Et qu'est-ce que cela prouve? Ce défaut paraîtra bien plus choquant si l'on se rappelle qu'il était question de défendre un fils accusé de parricide. Est-ce là le moment de s'amuser à un vain jeu d'esprit et de symmetriser des antitheses ?

On ne trouve rien de pareil dans les autres discours de Cicéron; mais il était dans l'âge où il est pardonnable de s'égarer en montrant de l'imagination. Il s'était livré à la sienne dans ce morceau, et comme il dit fort bien : « Il con» vient qu'un jeune homme donne l'essor à son esprit, et que la fécondité s'épanche sous sa

>> plume. J'aime qu'il y ait à retrancher dans ce » qu'il fait. »

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La conclusion de ce traité, c'est que l'orateur le plus parfait est celui qui sait le mieux proportionner sa composition aux objets qu'il traite, qui sait traiter les petits sujets avec simplicité, les sujets médiocres avec agrément, les grandes choses avec noblesse. C'est la conclusion du traité précédent, c'est celle de Quintilien, c'est dans tous les tems celle de tous les bons critiques.

Les autres ouvrages de Cicéron sur l'art oratoire sont, 1o. deux livres intitulés de l'Invention, qui ne sont, à ce qu'il nous apprend lui-même, que le résumé des leçons qu'il avait prises dans les écoles et les cahiers de sa rhétorique. Comme il était déjà très-distingué, ses camarades les publierent par un excès de zele, qu'il trouva indiscret et mal-entendu.

2o. Un petit traité des Topiques, mot grec qui ne signifie plus aujourd'hui qu'un remede local, mais qui, dans la langue des anciens rhéteurs, signifiait les lieux communs du raisonnement, où les sources générales où l'on pouvait puiser des argumens pour toutes sortes d'occasions. Cet ouvrage est tiré d'Aristote et purement scholastique.

3o. Un traité des Partitions oratoires, ou de la division des parties du discour, emprunté aussi d'Aristote, qui, dans tout ce qui regarde les élémens des arts de l'esprit, a servi de guide à tous ceux qui sont venus après lui. Ce livre est de la même nature que le précédent, et n'est fait que pour être étudié par les gens de l'art.

Enfin, le livre intitulé Brutus ou des Orateurs célebres, qui n'est qu'une histoire raisonnée de l'éloquence chez les Grecs et chez les Latins. Ce que j'en pourrai extraire ici me ser

vira mieux d'introduction quand j'aurai à parler des orateurs d'Athenes et de Rome.

APPENDICE

ou Observations sur les deux chapitres précédens.

Il ne faut pas donner à ces divisions et subdivisions élémentaires que vous avez vues dans Quintilien et Cicéron, plus d'importance qu'elles n'en doivent avoir. Il est sans doute très-aisé de. les ignorer et de s'en moquer; mais il est utile de les connaître et de les réduire à leur juste valeur. Il convient d'abord de remarquer pourquoi les Anciens se sont attachés ces sortes de définitions et de subdivisions : c'est que les premiers maîtres de l'art, les premiers rhéteurs, ont été des sophistes; que par conséquent ils ont apporté jusque dans les arts d'imagination les termes scholastiques, dont la rigoureuse précision ne semble pas faite pour ces sortes d'objets. La grande réputation d'Aristote, qui surpassa tous ces rhéteurs, qui réunit tous leurs principes et les perfectionna dans sa rhétorique, le nom et l'exemple de Cicéron et de Quintilien, qui suivirent la même route en y semant les fleurs de leur génie, tout a servi à consacrer cette méthode, dont ces grands-hommes ont su couvrir les inconvéniens. Elle n'est pourtant pas tout-à-fait inutile: tout ce qui sert à classer les objets, sert aussi à les éclaircir; mais il n'y a point de procédé didactique qui soit si près de l'abus. Si ces classifications même dans les sciences sont souvent insuffisantes et même

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