Immagini della pagina
PDF
ePub

CHAPITRE VII.

De la Poésie lyrique chez les Anciens.

SECTION PREMIÈRE.

Des lyriques grecs.

Ox convient que l'ode était chantée chez les

Anciens. Le mot d'ode lui-même signifie chant. Je ne prétends point m'enfoncer dans des discussions profondes sur la lyre des Grecs et celle des Latins, sur l'accord de la musique, de la danse et de la poésie chez ces peuples; sur la strophe, l'antistrophe et la péristrophe, qui marquaient les mouvemens faits pour accompagner celui qui maniait l'instrument; sur la mesure des vers lyriques, sur cette liberté d'enjamber d'une strophe à l'autre, de maniere qu'un sens commencé dans la premiere, ne finissait que dans la seconde ; sur la possibilité d'accorder ces suspensions de sens avec les phrases musicales et les pas des danseurs : toutes ces difficultés ont souvent exercé les savans, et plusieurs ne sont pas encore éclaircies. On peut se représenter l'histoire des arts chez les Anciens, comme un pays immense, semé de monumens et de ruines, de chefs-d'œuvre et de débris. Nous avons mis notre gloire à imiter les uns et à étudier les autres. Mais le génie a été plus loin que l'érudition, et il est plus sûr que l'Iphigénie de Racine est au dessus de celle d'Euripide, qu'il n'est sûr que nous ayons bien compris la combinaison et les

procédés de tous les arts qui concouraient chez les Grecs à la représentation d'Iphigénie.

D'ailleurs, les Anciens n'ont rien fait pour nous conserver une tradition exacte de leurs connaissances et de leurs progrès. Ils n'ont point pris de précaution contre le tems et la barbarie. Il semblait qu'ils ne redoutassent ni l'un ni l'autre, et peut-être doit-on pardonner à ces peuples qui jouerent long-tems dans le Monde un rôle si brillant, d'avoir été trompés par le sentiment de leur gloire et de leur immortalité.

Les différences dans les mœurs, dans la religion, dans le gouvernement, dans la langue ont dû nécessairement en amener aussi dans les arts que nous avons imités, et qui ont pris sous nos mains de nouvelles formes. Ainsi les mêmes mots n'ont plus signifié les mêmes choses. Nous avons continué d'appeler une action héroïque, dialoguée sur la scene, du nom de tragédie ( qui signifie chanson du bouc, parce qu'autrefois un bouc en était le prix ), quoique nos tragédies ne soient plus chantées, et que l'auteur du Siége de Calais ait reçu, au lieu d'un bouc, une médaille d'or. Ainsi nous avons des odes, quoique nos odes ne soient point des chants, et ces odes ont des strophes, des conversions, quoiqu'on n'ait encore jamais imaginé de mettre l'Ode à la For tune en ballet.

Tout ce que je me propose ici, c'est de rendre compte des différences les plus essentielles que j'ai cru remarquer entre les odes, les chants des Anciens et les vers qu'on nomme parmi nous odes, qui ne sont point chantés, et qui souvent même, ne sont pas lus.

Un chant m'offre en général l'idée d'une inspiration soudaine, d'un mouvement qui ébranle notre ame, d'un sentiment qui a besoin de se produire au dehors. Il semble que rien de ce qui

est étudié, réfléchi, rien de ce qui suppose l'opé ration tranquille de l'entendement, n'appartienne au chant conçu de cette maniere. Le chanteur m'offrira donc beaucoup plus de sen-tinens et d'images que de raisonnemens, et parlera bien plus à mes organes qu'à ma raison. Si le son de l'instrument qui raisonne sous ses doigts, si l'impression irrésistible de l'harmonie, si le plaisir qu'il éprouve et qu'il donne, vient à remuer plus fortement son âme, et ajoute de moment en moment à la premiere impulsion qu'il ressentait, alors il s'éleve jusqu'à l'enthousiasme; les objets passent rapidement devant lui, et se multiplient sous ses yeux, comme les accords se pressent sous son archet. Ses chants portent dans les âmes le trouble qui paraît être dans la sienne: c'est un oracle, un propbete, un poëte; il transporte et il est transporté; il semble maîtrisé par une puissance étrangere qui le fatigue et l'accable; il halete sous le dieu qui le remplit, et, semblable à un homme emporté par une course rapide, il ne s'arrête qu'au moment où il est délivré du génie qui l'obsédait.

C'est précisément sous ces traits que les Anciens devaient se représenter le poëte lyrique, si l'on veut se souvenir que leur poésie, qui par elle-même était une espece de musique vocale, ne se séparait point de la musique d'accompagnement, et que l'harmonie produit un enthousiasme réel dans tous les hommes qui ont des organes sensibles, soit qu'ils composent, soit qu'ils écoutent. Tel était Pindare, du moins s'il en faut croire Horace. Ecoutons uu poëte qui parle d'un poëte.

Ah! que jamais mortel, émule de Pindare,
Ne s'expose à le suivre en son vol orgueilleux
Sur des ailes de cire élevé dans les cieux,
11 retracerait à nos yeux

L'audace et la chute d'Icare.
Tel qu'un torrent furieux
Qui, grossi par les orages,

Se souleve en grondant et couvre ses rivages;
Tel ce chantre impérieux,

Ivre d'enthousiasme, ivre de l'harmonie,
Des vastes profondeurs de son puissant génie
Précipite à grand bruit ses vers impétueux;
Soit que plein d'un bouillant délire
Et de termes nouveaux inventeur admiré,
Il laisse errer sur sa lyre

Le bruyant dithyrambe 1 à Bacchus consacré;
Soit que, soumis aux lois d'un rhythme plus sévere,
Il chante les immortels,

Et ces enfans des dieux, vainqueurs de la Chimere
Et des Centaures cruels;

Soit qu'aux champs de l'Elide, épris d'une autre gloire,
Il ramene triomphaus

L'athlete et le coursier qu'a choisis la Victoire,
Qui mieux que sur l'airain revivront dans ses chants;
Soit qu'enfin sur des tons plus doux et plus touchans,

(1) Le dithyrambe des Anciens était originairement, ainsi que la tragédie, consacré à Bacchus, comme son nom l'indique; il s'étendit ensuite à la louange des héros. L'antiquité ne nous en a laissé aucun modele, et nous ne pouvons en avoir d'autre idée que celle qu'Horace nous donne ici en parlant des dithyrambes de Pindare. Sur ce qu'il en dit, on doit croire que c'était un genre de poésie hardi (audaces), qui n'était assujetti à aucune mesure de vers déterminée, et pouvait les admettre toutes; que ce genre, plus que tout autre, autorisait le poète à la création de nouvelles expressions (nova verba); ce qui, dans la langue grecque dont il s'agit ici, ne pouvait signifier qu'une nouvelle combinaison en un seul mot de plusieurs mots connus, telle que la comportait l'idiôme grec, dont nous avons, ainsi que les Latins, emprunté presque tous nos termes combinés. On sent qu'il serait d'ailleurs trop facile de forger au hasard des expressions baroques au mépris de toutes les regles de l'analogie, comme ont fait taut de mauvais écrivains, à l'exemple de Ronsard, et de nos jours plus que jamais. Ce ridicule néologisme, noté par tous les bons juges comme un vice de style, ne saurait, en aucun tems ni dans aucune langue, être une beauté ni une preuve de talent.

calme les regrets d'une épouse éplorée,
Et dérobe à la nuit des tems

D'un fils ou d'un époux la mémoire adorée, etc.

Si quelqu'un, d'après ce portrait, va lire Pindare ailleurs que dans l'original, il croira qu'Horace avait apparemment ses raisons pour exalter ce lyrique grec; mais quant à lui, il s'accommodera fort peu de tout ce magnifique appareil de mythologie qui remplit les odes de Pindare de ces digressions éternelles qui semblent étouffer le sujet principal, de ces écarts dont on ne voit ni le but ni le point de réunion. Quelques grandes images qu'il apercevra cà et là, malgré la traduction qui en aura ôté le coloris; quelques traits de force qui n'auront pas été tout-à-fait détruits; ne lui paraîtront pas un mérite suffisant pour lui faire aimer des ouvrages où d'ailleurs rien ne l'attache. Il s'ennuiera, il quittera le livre, et il aura raison. Mais s'il juge Pindare et contredit Horace sur cette lecture, je crois qu'il aura tort.

Rappelons-nous d'abord ce principe trèsconnu, qu'on ne peut pas juger un poëte sur une version en prose; et cet autre qui n'est pas moins incontestable, qu'en le lisant, même dans sa langue, il faut, pour être juste à son égard, se reporter au tems où il écrivait. Cette théorie n'est pas contestée; mais la pratique est plus difficile qu'on ne pense. Nous sommes si remplis des idées, des mœurs, des préjugés qui nous entourent, que nous avons une disposition trèsprompte à rejeter tout ce qui nous paraît s'en éloigner. J'avoue que la famille d'Hercule et de Thésée, les aventures de Cadmus et la guerre des Géans, les Jeux olympiques et l'expédition des Argonautes ne nous touchent pas d'aussi près que les Grecs, et que des odes qui ne contiennent guere que des allusions à toutes ces fables,

« IndietroContinua »