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» sommes battus tous les jours. Nicias. Ah! qu'il >périsse, le coquin de paphlagonien, avec ses » mensonges! Dém. Pauvre camarade! com» ment te trouves-tu? Nic. Fort mal, ainsi que » toi. Dém. Viens çà, chantons ensemble la » complainte d'Olympus. » (Tous deux se mettent à chanter sur un air connu, du musicien Olympus. ) « Hélas! hélas!.... mais pourquoi >> nous lamenter inutilement? Ne vaudrait-il pas » mieux trouver quelque moyen de salut? Nic. >> Eh! quel moyen? dis. Dém. Dis toi-même, >> afin que je sorte d'embarras. Nic. Non, par >> Apollon; mais parle le premier, je te suivrai. » Dém. Ne pourrais-tu pas trouver quelque ma>> niere de me dire ce que je veux dire? Nic. Je » n'en ai pas le courage. Voyons pourtant si je » ne pourrai pas te le dire adroitement et à » la maniere d'Euripide. Dém. Eh! laisse là » Euripide et les marchandes d'herbes. »> (Ici des risées qui ne finissent pas. Pendant qu'on rit, je demande si cet Euripide dont on se moque, est l'auteur de la tragédie qui m'a fait verser tant de larmes, et qu'on a tant applaudie. «< Eh! oui. » C'est lui-même. Il est fils d'une marchande » d'herbes. » Je reste un peu étonné. Mais la piece continue. Il faut écouter.) « Dém. Trouve » plutôt un petit air, là, une chanson de départ, >> afin de quitter notre maître. Nic. Dis donc tout » de suite, sans tant de façons: Fuyons. Dém. » Eh bien! oui, je dis : Fuyons. Nic. Ajoute >> maintenant une syllabe, et dis: Enfuyons-nous. » Dém. Enfuyons-nous. Nic. Fort bien!» (Ici j'entends des paroles de la plus grossiere obscénité, de plats quolibets, dignes de la plus vile canaille, et que jamais je n'aurais cru qu'on prononçât devant une assemblée d'honnêtes gens, encore moins devant des femmes. Je me demande où est le bon goût des Athéniens, où est

cet atticisme si vanté. Mais poursuivons.) « Nic. » Ce qu'il y a de mieux à faire actuellement, >> c'est de nous retirer auprès de la statue de quel» que dieu. Dém. Quelle statue? Tu crois donc » qu'il y a des dieux? Nic. Sans doute, je le crois. » Dém. Et par quelle raison? Nic. Parce qu'ils >>> me tourmentent beaucoup plus qu'il ne faut. » Dém. Je suis de ton avis.» (Icí j'admire de quel ton les Athéniens souffrent qu'on parle des dieux sur le théâtre.) « Nic. Parlons d'autre » chose. Dém. Oui, veux-tu que nous disions » aux spectateurs ce qui en est? Nic. C'est fort >> bien fait. Mais prions-les de nous faire con>> naître si ce que nous disons leur fait plaisir. » (On bat des inains, et je suis surpris que les spectateurs fassent un rôle dans la piece.) « Dém. » Je vais leur dire le fait. Nous avons pour maître >> un vieillard fâcheux, colere, mangeur de féves, » sujet à l'humeur; c'est le peuple Pnycéen, qui >> aime tant le barreau, et qui est un peu sourd. >> Aux dernieres kalendes, il a acheté un esclave, » un corroyeur paphlagonien, un fourbe, un >> calomniateur fieffé. Ce corroyeur, connaissant » l'humeur du bonhomme, s'est emparé de son » esprit en le flattant, en le caressant, en le » choyant, en le trompant. Peuple, lui dit-il, » allez au bain quand vous aurez jugé; prenez >>ce gâteau, mangez, déjeûnez, recevez vos trois >> oboles : voulez-vous que je vous serve quelque » chose à manger? Ensuite il prend ce que cha» cun de nous a apprêté, et le donne à notre » maître. Derniérement, n'avais-je pas pétri ce » gâteau de Pyle, et n'a-t-il pas si bien fait, » qu'il me l'a escamoté et la servi au vieillard?» Ici les rires et les applaudissemens redoublent. C'est bien pis quand le paphlagonien, le corroyeur, vient à paraître. Cléon, Cléon, tout le mande répete: Cléon. — Qui? Cléon ? ce général

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qui vous a rendu un si grand service en prenant l'île de Sphactérie, et délivrant votre garnison assiégée dans Pyle? Oui, c'est lui. — En vérité, vous traitez fort bien vos poëtes et vos généraux. J'écoute pourtant jusqu'à la fin, et toujours sans rien comprendre. Tout est aussi obscur, aussi indéchiffrable pour moi que le commencement. C'est une suite de farces grotesques, où tout le monde paraît entendre finesse, et qui sont pour moi un mystere impénétrable. L'esclave paphlagonien s'enivre, et s'endort sur un cuir pendant son sommeil, on lui dérobe subtilement ses oracles; car c'est un charlatan qui en a toujours ses poches pleines. Ces oracles disent qu'un chaircuitier remplacera le corroyeur. Il ne manque pas de s'en présenter un, avec une boutique portative, où il étale des viandes cuites. Démosthene et Nicias lui persuadent qu'il est appelé par le ciel à gouverner le peuple Pnycéen. Il a d'abord quelque peine à le croire; mais enfin il se rend, et commence une lutte de charlatan avec le paphlagonien, disputant à qui saura mieux amadouer le vieillard. Cette lutte de bouffonnerie dure pendant trois actes, jusqu'à ce que le chaircuitier l'emporte sur le corroyeur, et le fasse chasser. Alors je prie mon voisin de vouloir bien avoir pitié d'un pauvre étranger, et de m'expliquer charitablement ce que signifie ce singulier spectacle, où je n'ai pas trouvé le mot pour rire.

Rien

n'est plus simple, dit-il, et je vais vous mettre au fait. L'auteur de la piece est ennemi mortel de Cléon, qui lui a contesté les droits de bourgeoisie, et qui n'avait pas grand tort; car on ne sait au juste de quel pays est Aristophane. Il a eu beaucoup de peine à s'en tirer, et s'est bien promis de prendre sa revanche, en se servant de ses armes ordinaires, c'est-à-dire, en

mettant Cléon sur la scene, comme il y a déjà mis Socrate. Il y a cette différence, que Socrate est un honnête homme, un bonhomme, quoiqu'un peu visionnaire, et que Cléon est un intrigant qui a trouvé moyen, on ne sait trop comment, de se rendre agréable au peuple. Son expédition de Pyle lui a donné surtout un trèsgrand crédit; mais il y a plus de bonheur que de mérite. Avant qu'il arrivât pour prendre le commandement, Démosthene avait déjà fort avancé les affaires, et Cléon n'a eu qu'à recueillir le fruit des travaux et de l'habileté d'autrui. Voilà ce que signifie ce gâteau de Pyle qu'il a escamoté, et qu'un autre avait pétri. C'est là le fin de l'emblême. On l'appelle paphlagonien, non pas qu'il soit de Paphlagonie: c'est un jeu de mots qui veut dire qu'il a une voix forte, et qu'il crie toujours; cela vient, comme vous savez, de waphalen, bouillir avec bruit. On l'appelle aussi corroyeur, parce qu'originairement c'était son métier. Ah! c'est donc pour cela que, dans la piece, il est si souvent question de cuir, et qu'on riait tant dès qu'on parlait de cuir. Justement, c'est une des meilleures plaisanteries de la piece. En effet, il faut que l'auteur l'ait crue bien bonne; car il y revient Vous voyez maintenant toute sa marche. Le paphlagonien, qui a supplanté auprès de son maître les deux esclaves ses camarades, c'est Cléon, qui a su écarter Nicias et Démosthene, les desservir auprès du peuple athénien, et se faire donner les récompenses qui leur étaient dues. Quoi! ce vieillard imbécille, dont on se moque pendant toute la piece; ce peuple Pnycéen? C'est le peuple d'Athenes, c'est nous: est le nom du lieu où se tiennent nos assemblées. Oh! c'est un brave citoyen, que cet Aristophane. Savez-vous que c'est lui qui a

souvent.

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joué sous le masque de Cléon? Comment ? Est-ce l'usage chez vous, que les auteurs jouent dans leurs pieces? Non, il n'y en avait point d'exemples; mais comme aucun comédien n'a osé se charger du rôle de Cléon ni s'attirer un ennemi si puissant, il a pris le parti de jouer lui-même. Ne conviendrez-vous pas que c'est là ce qui s'appelle aimer sa patrie? — C'est au moins hair beaucoup Cléon. Mais que lui a fait Euripide? C'est un disciple d'Anaxagore, un ami de Socrate; et Aristophane les hait également tous les trois, parce qu'ils méprisent ses comédies, qu'ils n'y viennent jamais, et disent tout haut que ce sont des farces scandaleuses. Ces philosophes n'aiment pas la gaîté. Mais vous l'aimez beaucoup, vous autres, puisque vous trouvez fort bon qu'on se moque de vous. Oui, pourvu qu'on nous fasse rire. Il y a quelque tems qu'Aristophane nous amusa hieu aux dépens de Périclès. Quoi! ce grand Périclès, dont le nom est si révéré dans toute la Grece et jusque dans l'Asie, à qui votre république doit aujourd'hui sa splendeur et sa puissance? - Nous lui avons de grandes obligations, il est vrai; mais c'est pour cela même que nous savons meilleur gré à l'auteur de ne pas l'épargner plus qu'un autre. C'est là le symbole de l'égalité républicaine. Tous ces grands personnages seraient trop fiers si notre Aristophane ne nous en faisait pas raison. Un des grands priviléges de la liberté, c'est de se moquer de ceux qui nous font du bien; mais pourtant nous ne les en estimons pas moins. Croyez-vous que les plaisanteries d'Aristophane nous empêchent de sentir le mérite de Périclès, d'Euripide, de Socrate? Après tout, qui aurait droit de se plaindre, puisque nous ne nous faisons pas grace à nous-mêmes? Vous avez vu quel portrait il fait du vieillard, mangeur de

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