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IV..

Origine du faux culte des anges, condamné par l'apôtre saint Paul, par les anciens docteurs et par le concile de Laodicée.

M. Noguier nous avoue « que les chrétiens qui servoient les anges comme entremetteurs entre Dieu et nous, avoient puisé ce sentiment dans la même source de l'école de Platon 1. » Il est certain que dans cette école on n'entendoit non plus la création, que dans les autres écoles des païens. Dieu avoit trouvé la matière toute faite, et s'en étoit servi par nécessité; c'est pour cela qu'on suivoit dans cette école le sentiment (d'Anaxagore), qui mettoit pour causes du monde la nécessité et la pensée. Dieu donc avoit seulement paré et arrangé la matière, comme feroit un architecte ou un artisan. Encore n'avoit-il pas jugé digne de sa grandeur de former et d'arranger par lui-même les choses sublunaires (d'ici-bas); il en avoit donné la commission à de certains petits dieux, dont l'origine est fort difficile à démêler. Quoi qu'il en soit, ils avoient eu ordre de travailler au bas monde, c'est-à-dire de former les hommes et les autres animaux; ce qu'ils avoient exécuté en joignant à quelque portion de la matière je ne sais quelles particules de l'ame du monde, que Dieu avoit trouvées toutes faites, aussi bien que la matière, mais qu'il avoit fort embellies. Voilà ce que nous voyons dans le Timée de Platon et dans quelques autres de ses dialogues. Je n'empêche pas que ceux qui adorent toutes les pensées des anciens ne sauvent ce philosophe à la faveur de l'allégorie ou de quelque autre figure : toujours est-il certain que la plupart de ses disciples ont pris ce qu'il a dit de la formation de l'univers au pied de la lettre. Au reste on peut bien juger que s'il n'est pas digne de Dieu de faire les hommes, il n'étoit pas moins au-dessous de lui de se mêler de leurs affaires, et de recevoir par lui-même leurs prières et leurs sacrifices. Aussi, dans cette opinion des Platoniciens, Dieu étoit inaccessible pour les hommes, et ils n'en pouvoient approcher que par ceux qui les avoient faits.

La religion chrétienne ne connoît point de pareils entremetteurs qui empêchent Dieu de tout faire, de tout régir, de tout 1 Nog., p. 46.

écouter par lui-même. Si elle donne aux hommes un Médiateur nécessaire pour aller à Dieu, c'est-à-dire Jésus-Christ, ce n'est pas que Dieu dédaigne leur nature qu'il a faite; mais c'est que leur péché, qu'il n'a pas fait, a besoin d'être expié par le sang du Juste. Mais le monde n'est sorti que par degrés de ces opinions du paganisme, qui avoient fasciné tous les esprits. Ainsi quelquesuns de ceux qui reçurent l'Evangile dans les premiers temps, ne pouvoient entièrement oublier ces petits dieux de Platon et les servoient sous le nom des anges. Il est certain par saint Epiphane et par Théodoret, que Simon le Magicien, que Ménandre et tant d'autres, qui à leur exemple mêloient les rêveries des philosophes avec la vérité de l'Evangile, ont attribué aux anges la création de l'univers. Nous voyons même dans saint Epiphane une secte qu'on appeloit la secte des Angéliques, ou « parce que, dit ce Père, quelques hérétiques ayant dit que le monde a été fait par les anges, ceux-ci l'ont cru avec eux; ou parce qu'ils se mettoient eux-mêmes au rang des anges1: » et Théodoret au livre V Contre les fables des hérétiques, exposant la doctrine de l'Eglise contre les hérésies qu'il a rapportées, parle ainsi dans le chapitre des Anges: « Nous ne les faisons point auteurs de la création ni coéternels à Dieu, comme font les hérétiques; » et un peu après: « Nous croyons que les anges ont été créés par le Dieu de tout l'univers. » Il le prouve par le Psalmiste, qui ayant exhorté les anges à louer Dieu, ajoute «qu'il a parlé et que par cette parole ils ont été faits 3. » Il produit encore pour le faire voir, un passage de l'Epitre aux Colossiens, où saint Paul assure que « tout l'univers, les choses visibles et invisibles, les Trônes, les Dominations, les Principautés et les Puissances ont été créés par le Fils de Dieu.» Il est raisonnable de croire que le soin que prend saint Paul en ce lieu, d'expliquer si distinctement que tous les esprits célestes doivent leur être au Fils de Dieu, marque un dessein de combattre ceux qui les égaloient à lui, et qui les faisoient créateurs plutôt que créatures : et quand le même saint Paul condamne

1 Hæres. LX, tom. I, p. 505; Tertullien dit la même chose De Præscrip., ex quo Hier. adv. Lucif— Lib. V, Hæretic. fab., cap. VII, De angelis, édit. 1642, tom. IV, p. 266.- Psal. CXLVIII, 2, 5. * Coloss., 1, 16.

encore, dans la même Epitre, ceux qui par une fausse humilité s'adonnoient « au service des anges', » il avoit en vue quelque erreur semblable; car comme il n'explique point en quoi consiste l'erreur de ces adorateurs des anges, nous ne pouvons rien faire de mieux que de rapporter ces paroles aux fausses opinions que nous voyons établies dès l'origine du christianisme.

Il faut dire la même chose du canon xxxv du concile de Laodicée, où il est porté « qu'il ne faut point que les chrétiens abandonnent l'Eglise de Dieu, et se retirent, et qu'ils nomment les anges, et qu'ils fassent des assemblées illicites, lesquelles sont choses défendues. Que si on découvre quelqu'un qui soit attaché à cette idolâtrie cachée, qu'il soit anathème, parce qu'il a laissé Notre-Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu, et s'est adonné à l'idolâtrie 2. >>

Ce concile n'ayant non plus expliqué que saint Paul les sentimens de ces idolâtres, les interprètes des canons ont rapporté celui-ci aux erreurs qui couroient en ce temps. Nous avons dans le Synodicon des Grecs, imprimé depuis peu à Londres, les doctes et judicieuses remarques d'Alexius Aristenus, ancien canoniste grec, très-estimé dans l'Eglise orientale. Voici comme il explique ce canon de Laodicée. «Il y a, dit-il, une hérésie des Angéliques, appelée ainsi, ou parce qu'ils se vantent d'être de même rang que les anges, ou parce qu'ils ont rêvé que les anges ont créé le monde. Il y en avoit aussi qui enseignoient, comme il paroît par l'Epitre aux Colossiens, qu'il ne falloit pas dire que nous eussions accès auprès de Dieu par Jésus-Christ; car Jésus-Christ, disoientils, est trop grand pour nous; mais seulement par les anges. Dire cela, c'est renoncer sous prétexte d'humilité à l'ordre que Dieu a établi pour notre salut. Celui donc qui va à des assemblées illicites, ou qui dit que les anges ont créé le monde, ou que nous sommes introduits par eux auprès de Dieu, qu'il soit anathème, comme ayant abandonné Jésus-Christ et approchant des sentimens des idolâtres. >>

Tout le monde sait le passage de Théodoret, où il explique celui de saint Paul, et à l'occasion de celui-là le canon de Laodicée : 1 Coloss., II, 18. Conc. Laod., cap. xxxv; Labb., tom. I, col. 1503. 9

TOM. XIII.

« Ceux qui soutenoient la loi, dit-il, leur persuadoient aussi d'honorer les anges, disant que la loi avoit été donnée par leur entremise. Cette maladie a duré longtemps en Phrygie et en Pisidie. C'est pourquoi le concile de Laodicée en Phrygie défendit par une loi de prier les anges, et encore à présent on voit parmi eux et dans leur voisinage des oratoires de saint Michel. Ils conseilloient ces choses par humilité, disant que le Dieu de l'univers étoit invisible, inaccessible, incompréhensible, et qu'il falloit ménager la bienveillance divine par le moyen des anges1. >>

Quand on verra dans la suite les passages de Théodoret, où de l'aveu des ministres il soutient avec tant de force l'invocation des saints telle qu'elle se pratique parmi nous, on ne croira pas qu'il veuille défendre d'invoquer les anges dans le même sens. On voit assez par ces paroles quelle étoit l'invocation qu'il rejefte. C'étoit d'invoquer les anges comme les seuls qui nous pouvoient approcher de la nature divine, inaccessible par elle-même à tous les mortels. Cette vision est connue de ceux qui ont lu les Platoniciens, et ce que saint Augustin a écrit dans le livre de la Cité de Dieu contre la médiation qu'ils attribuoient aux démons. C'est une erreur insupportable de faire la Divinité naturellement inaccessible aux hommes plutôt qu'aux anges. Les chrétiens, qui séduits par une vaine philosophie, ont embrassé cette erreur, soit qu'ils aient regardé les anges comme leurs créateurs particuliers, soit qu'ayant corrigé peut-être (car personne n'a expliqué toute leur opinion) cette erreur des platoniciens, ils en aient retenu les suites, n'ont connu comme il faut ni la nature divine, ni même la création. C'est ignorer l'une et l'autre que de reconnoître quelqu'un qui ait plus de bonté pour nous, ou qui ait un soin plus particulier et une connoissance plus immédiate de nous et de nos besoins, que celui qui nous a faits. Si ces adorateurs des anges avoient bien compris que Dieu a tout également tiré du néant, jamais ils n'auroient songé à établir ces deux ordres de natures intelligentes, dont les unes soient par leur nature indignes d'approcher de Dieu, et les autres par leur nature si dignes d'y avoir accès, que personne ne puisse l'avoir que par leur moyen. Au 1 Theodor., in Epist. ad Coloss., cap. II, 18, tom III, p. 355.

contraire ils auroient vu que ce grand Dieu, qui de rien a fait toutes choses, a pu à la vérité distinguer ses créatures en leur donnant différens degrés de perfection; mais que cela n'empêche pas qu'il ne les tienne toutes à son égard dans un même état de dépendance et qu'il ne se communique immédiatement, quoique non toujours en même degré, à toutes celles qu'il a faites capables de le connoître. En effet si on présuppose que les hommes soient par leur nature indignes d'approcher de Dieu, ou que Dieu dédaigne de les écouter, on doit croire par la même raison qu'il dédaigne aussi et de les gouverner et de les faire. Car il ne méprise pas ce qu'il fait, ou plutôt il n'auroit pas fait ce qu'il auroit jugé digne de mépris. Aussi voyons-nous que quand le péché dont la nature humaine a été souillée, a fait qu'elle a eu besoin nécessairement d'un Médiateur auprès de Dieu, il a voulu que ce Médiateur fût homme, pour montrer que ce n'étoit pas notre nature, mais notre péché qui le séparoit de nous. Il a si peu dédaigné la nature humaine, qu'il n'a pas craint de l'unir à la personne de son Fils. C'est ce que devoient entendre ces adorateurs des anges, et croire qu'il n'y avoit que le seul péché qui pût empêcher les hommes d'avoir accès par eux-mêmes auprès de Dieu, la nature humaine étant capable de le posséder aussi bien que la nature angélique et tenant sa félicité avec son être, non des anges ou de quelques autres esprits bienheureux, mais de celui qui les a faits.

Ainsi on peut bien attribuer aux anges un amour sincère envers les hommes et un soin particulier de les secourir, dans un esprit de société et de charité fraternelle, comme leurs chers compagnons, destinés au même service et appelés à la même gloire. Mais on ne peut point en faire, comme faisoient ces philosophes et ces hérétiques, des médiateurs nécessaires entre Dieu et nous, sans rompre la sainte union que Dieu même a voulu avoir avec l'homme, qu'il a créé aussi bien que l'ange à son image et ressemblance.

Après cela je n'ai que faire de rapporter ce qu'ont dit et les catholiques et les protestans, touchant ces adorateurs des anges. Il me suffit que si on remonte à la source de leurs erreurs, qui de l'aveu de M. Noguier se trouve dans le Platonisme, on verra

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