Immagini della pagina
PDF
ePub

Les calvinistes ne peuvent souffrir que nous enseignions que la vie éternelle est rendue aux mérites des bonnes œuvres; et c'est pour cela principalement que le ministre que nous combattons, accuse le sacré concile de Trente de ruiner la confiance en notre Sauveur.

J'ai promis de lui faire voir que la foi de la sainte Eglise est un héritage ancien qu'elle a reçu des pieux docteurs qui ont fleuri dans les premiers siècles; par où le catéchiste reconnoîtra que sous le nom des Pères de Trente, il condamne l'antiquité chrétienne qui prononce nettement en notre faveur.

Pour entendre cette vérité, comprenons les raisons solides par lesquelles l'Eglise ancienne a vaincu l'hérésie des pélagiens.

La malice de cette hérésie consistoit en ce que, niant la grace de Dieu, elle attribuoit tout le bien à notre mérite. Pour détruire cette superbe doctrine, il n'y avoit rien de plus nécessaire que d'abattre le mérite insolent par lequel ces hérétiques enfloient notre orgueil. Si l'Eglise n'eût pas cru le mérite, il étoit temps alors de le déclarer, pour confondre les pélagiens qui s'y confioient excessivement. Mais au contraire elle se propose de renverser le mérite pélagien, en établissant le mérite. Elle ruine un mérite insolent par un mérite respectueux; elle oppose au mérite qui prévient la grace un mérite qui est un fruit de la grace, et c'est ce mérite que nous croyons.

Le seul témoignage de saint Augustin est capable de convaincre les plus obstinés. Car qui ne sait que ce grand évêque est celui de tous les saints Pères qui a disputé le plus fortement contre ce mérite pélagien qui s'élève contre la gloire de Dieu ? Et toutefois cet humble docteur, ce puissant défenseur de la grace, dans les lieux où il foudroie les pélagiens, prêche si constamment le mérite, qu'il est impossible de ne voir pas que le mérite établi par les vrais principes, bien loin d'être contraire à la grace, en prouve clairement la nécessité et en fait éclater la vertu.

Ecoutons parler ce grand personnage dans cette Epitre si forte, qu'il écrit à Sixte contre l'hérésie des pélagiens : « De quels mérites se vantera celui qui a été délivré, auquel si l'on rendoit selon

TOM. XIII.

28

ses mérites, il n'éviteroit jamais la damnation ? » Quelle arrogance pélagienne pourroit se défendre contre ces paroles? Mais de peur que les ignorans n'estimassent qu'en s'opposant à ce faux mérite il voulût combattre le véritable, il ajoute aussitôt après ces beaux mots : « Les justes n'ont-ils donc aucuns mérites? Ils en ont certainement, parce qu'ils sont justes : mais ils n'avoient pas mérité que Dieu les fit justes. »

Qui ne voit ici que saint Augustin ruine le mérite qui prévient la grace par le mérite qui est un fruit de la grace; et qu'autant qu'il déteste ce premier mérite, autant approuve-t-il le second?

Mais celui qui voudra connoître sans obscurité les sentimens de saint Augustin touchant le mérite des bonnes œuvres, il n'a qu'à considérer attentivement de quelle sorte ce grand homme emploie contre les ennemis de la grace ce passage de l'Epitre aux Romains: « Le paiement du péché, c'est la mort : la grace et le don de Dieu, c'est la vie éternelle 2. » Nos adversaires ignorans de l'antiquité ou déférant peu à ses sentimens, estiment que le mot de grace ne se peut accorder avec le mérite. Mais l'excellent prédicateur de la grace raisonne par des principes bien opposés; il enseigne que la vie éternelle est donnée aux mérites des saints; il confesse que l'apôtre saint Paul pouvoit dire qu'elle est le paiement des bonnes œuvres, comme la mort est le paiement du péché. « Et il en est ainsi, dit saint Augustin, parce que, de même que la mort est rendue au mérite du péché comme son véritable loyer, aussi la vie éternelle est rendue comme paiement AU MÉRITE DE LA JUSTICE. » Peut-on prêcher plus clairement le mérite? Toutefois ce grand docteur passe bien plus loin; il reconnoît qu'il y a en l'homme une « véritable justice, à laquelle il ne craint point d'assurer que la vie éternelle EST DUE. » D'où vient donc, demande saint Augustin, que cette vie bienheureuse est appelée grace? Voici la raison de ce saint évêque : « La vie éternelle, dit-il,

1 « Quæ igitur sua merita jactaturus est liberatus, cui si digna suis meritis redderentur, non esset nisi damnatus? Nullane igitur sunt merita justorum? Sunt planè, quia justi sunt: sed ut justi fierent merita non fuerunt. » Epist. cv, nunc cxcIV, n. 6. — 2 Rom., VI, 23. — 3 « Et verum est, quia sicut merito peccati tanquam stipendium redditur mors, ita merito justitiæ tanquam stipendium vita æterna.» Epist. cv, nunc cxciv, n. 20. — « Cui debetur vita æterna, vera justitia est.» Ibid, n. 21.

est rendue aux mérites précédens : toutefois à cause que ces mérites ne sont point en nous par nos propres forces, mais y ont été faits par la grace, de là vient que la vie éternelle est appelée grace, sans doute parce qu'elle est donnée gratuitement; et ce qu'elle est donnée gratuitement, ce n'est pas qu'elle ne soit donnée AUX MÉRITES; mais c'est à cause que les mérites AUXQUELS LA VIE ÉTERNELLE EST DONNÉE sont eux-mêmes des dons de la grace 1. »

Tous les écrits de saint Augustin enseignent constamment la même doctrine; et pour faire voir à nos adversaires qu'il l'a défendue jusqu'à la mort, produisons un des derniers livres qu'il a composés, et dans lequel il a ramassé tout ce qu'il y a de fort et de concluant pour faire plier l'arrogance humaine sous l'aimable joug de la grace. C'est de là que je veux tirer un témoignage authentique pour notre créance, afin qu'il demeure certain que jamais cet admirable docteur n'a prêché plus hautement le mérite que lorsqu'il entreprend d'établir la sainte humilité du christianisme. « Puisque la vie éternelle, dit saint Augustin, laquelle CERTAINEMENT est rendue aux bonnes œuvres, COMME CHOSE QUI LEUR EST DUE, est appelée grace par le grand Apôtre, quoique la grace soit donnée gratuitement et non point rendue à nos bonnes œuvres: il faut confesser SANS AUCUN DOUTE que la vie éternelle est appelée grace, parce qu'elle est RENDUE AUX MÉRITES qui nous sont donnés par la grace 2. » Donc selon la doctrine de saint Augustin, Dieu ne donne pas seulement, mais il rend la vie éternelle aux mérites de cette vie; et il ne la rend pas seulement, mais il la rend comme chose due. Que les ministres murmurent tant qu'il leur plaira, qu'ils déclament contre les mérites, qu'ils disent que c'est l'orgueil qui les a produits : à Dieu ne plaise que nous croyions que les seuls calvinistes soient humbles, et que saint Augustin ait été su

1 « Undè est ipsa vita æterna, quæ utique in fine sine fine habebitur; et ideò meritis præcedentibus redditur; tamen quia eadem merita quibus redditur, non à nobis parata sunt per nostram sufficientiam, sed in nobis facta per gratiam, etiam ipsa gratia nuncupatur, non ob aliud nisi quia gratis datur; nec ideò quia meritis non datur, sed quia data sunt et ipsa merita quibus datur. » Epist. cv, nunc CXCIV, n. 19.2 « Quia et ipsa vita æterna, quam certum est bonis operibus debitam reddi, à tanto Apostolo gratia Dei dicitur, cùm gratia non operibus reddatur, sed gratis detur; sine ullà dubitatione confitendum est, ideò gratiam vitam æternam vocari, quia his meritis redditur quæ gratia contulit homini. » De correct. et grat., cap. XIII, n. 41.

perbe; qu'eux seuls établissent la grace, et que ce soit saint Augustin qui l'ait renversée; qu'eux seuls mettent leur confiance en notre Sauveur, et que saint Augustin ait perdu cette bienheureuse espérance!

Ce qui me semble ici le plus remarquable, c'est que l'Eglise toujours constante n'a jamais vu les pélagiens s'élever contre la grace de Dieu qu'elle ne les ait défaits par les mêmes armes. Car il y a près de douze cents ans que les restes de cette hérésie infectant la France, nos pères, assemblés à Orange, les condamnèrent par ce beau chapitre : « La récompense est due aux bonnes œuvres, si l'on en fait; mais la grace, qui n'est point due, précède afin qu'on les fasse 1. » Tant il est véritable que l'ancienne Eglise ne croyoit pas assez honorer la grace, si elle n'enseignoit les mérites; et en effet on pourra connoître par la suite de ce discours qu'il n'y a rien qui relève plus le prix et la dignité de la grace, que les mérites fidèlement expliqués selon les sentimens de l'Eglise.

Toutes ces choses bien considérées doivent faire comprendre à nos adversaires qu'il est impossible que cette doctrine ne fût reçue très-constamment par toute l'Eglise, puisqu'ainsi que j'ai déjà observé, dans un temps où les hérétiques abusoient si arrogamment du mérite, elle se croit obligée de le soutenir en termes si clairs et si décisifs. D'où je tire deux conséquences notables contre le Catéchisme du sieur Ferry. Je dis premièrement, qu'il a tort de rapporter l'établissement du mérite entre ces autres grands changemens qu'il prétend avoir été faits à Trente. Il y a de l'infidélité ou de l'ignorance de vouloir faire passer pour nouveau ce qui a des fondemens si certains dans l'antiquité, par le témoignage d'un si grand docteur et par l'oracle d'un de nos conciles approuvé universellement par toute l'Eglise. De là en second lieu je conclus qu'il est ridicule de dire que le mérite des bonnes œuvres ruine cette confiance au Sauveur, sans laquelle il n'y a point de christianisme, puisqu'on ne peut sans une extrême impudence charger l'Eglise ancienne d'un crime si noir, et que le catéchiste confesse lui-même, qu'il n'y a rien dans la foi de saint

1 « Debetur merces bonis operibus, si fiant; sed gratia, quæ non debetur, præcedit ut fiant. » Conc. Araus. II, cap. XVIII. Labbe, tom. IV, col. 1670. — 2 P. 104.

Augustin qui détruise les vérités essentielles, et qui donne une juste cause de séparation 1.

CHAPITRE XIII.

Que la doctrine du concile de Trente touchant le mérite des bonnes œuvres honore la grace de Jésus-Christ, et nous apprend à nous confier en lui seul.

Je sais bien que nos adversaires, pour se défendre de ces autorités anciennes qui accablent leur nouveauté, ne manqueront pas de nous repartir que nous prêchons le mérite en un autre sens que les premiers docteurs orthodoxes. Mais l'explication de notre créance fera voir que le même esprit qui a si bien éclairé les Pères, a présidé au concile de Trente.

Certes le mérite que nous enseignons n'est pas ce mérite superbe par lequel les pélagiens flattoient l'amour-propre; c'est un mérite soumis et respectueux, qui ne prétend qu'encourager l'homme et honorer la grace de Dieu.

Pour établir le mérite des bonnes œuvres, il faut que ces trois choses concourent : la coopération du libre arbitre, la vérité de notre justice par la grace de Jésus-Christ, la vie éternelle proposée aux œuvres comme leur couronne et leur récompense.

Premièrement nous croyons en l'homme le libre arbitre de la volonté, par lequel il peut choisir le bien et le mal. Notre foi est si clairement fondée sur les Ecritures, qu'il est impossible de la contredire. « J'appelle à témoin le ciel et la terre, disoit Moïse aux Israélites, que je vous ai proposé la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisissez donc la vie, afin que vous viviez. » De là vient que l'antiquité chrétienne a cru d'un consentement unanime le libre arbitre de nos volontés, sans que personne s'y soit opposé que les hérétiques: tellement que les sectateurs de Pélage objectant à saint Augustin que la doctrine catholique détruisoit le libre arbitre de l'homme, il défend l'Eglise contre ce reproche, et déclare hautement à ces hérétiques que « Dieu a révélé par les Ecritures qu'il y a dans l'homme le libre 2 Deuter., XXX, 19.

1 P. 44.

[ocr errors]
« IndietroContinua »