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del? Il est vrai, dit M. Claude, que c'est la plus ancienne erreur de l'Eglise. Quatorze cents ans d'antiquité, Monsieur, c'est, lui dis-je, ce que nous accorde M. Blondel. Je ne dis pas ceci pour faire préjuger la vérité de notre doctrine; ce n'est pas de quoi il s'agit: mais je le dis pour montrer que nous ne sommes pas sans défense sur ces exemples d'erreurs insensiblement répandues, puisque déjà nous avons de votre consentement treize et quatorze cents ans. Venons donc à des faits constans dont je puisse convenir. Car pour vous, vous convenez que les ariens, les nestoriens, les pélagiens, et en un mot tous les hérétiques se sont établis comme j'ai dit. Ils n'ont point trouvé d'Eglise à laquelle ils se soient unis. Ils en ont érigé une autre qui s'est séparée de toutes les autres églises qui étoient alors. Cela est certain : n'est-il pas constant? J'attendis: M. Claude ne contredit pas; je ne crus pas le devoir presser davantage sur une chose constante et déjà avouée. Maintenant, lui dis-je, comment se sont établies les églises orthodoxes? Quand les particuliers et les peuples, par exemple les Indiens, se sont convertis, n'ont-ils pas trouvé une Eglise déjà établie à laquelle ils se sont unis? Il l'avoua. En avez-vous trouvé une dans toute la terre à laquelle vous vous soyez unis? Est-ce l'église grecque, ou arménienne, ou éthiopique que vous avez embrassée en quittant l'Eglise romaine? Ne peut-on pas vous marquer la date précise de vos églises, et dire à toute cette église, à toute cette société extérieure dans laquelle vous êtes ministre : « Vous n'étiez pas hier?»-Mais, dit ici M. Claude, n'étions-nous pas de cette Eglise? Nous n'en sommes pas sortis, on nous a chassés. On nous a excommuniés dans le concile de Trente. Ainsi nous sommes sortis : mais nous avons emporté l'Eglise avec nous. Quel discours, Monsieur, lui dis-je! Si on ne vous en eût pas chassés, y fussiez-vous demeurés? A quoi sert donc ce commandement tant répété parmi vous : « Sortez de Babylone, mon peuple?» De bonne foi, dites-moi, fussiez-vous demeurés dans l'Eglise, si elle ne vous eût pas chassés?—Non, Monsieur, assurément, dit M. Claude. Que sert donc, repris-je, de dire ici qu'on vous a chassés?-C'est, dit-il, que c'est un fait véritable.Ilé bien, Monsieur, poursuivis-je, il est véritable: cela vous est

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commun (ne vous fâchez pas du mot que je vais dire), cela, dis-je, vous est commun avec tous les hérétiques. L'Eglise où ils avoient reçu le baptême les a chassés, les a excommuniés. Ils eussent peutêtre bien voulu y demeurer pour corrompre et pour séduire; mais l'Eglise les a retranchés. Et quant à ce que vous dites, que vous étiez dans cette Eglise qui vous a chassés, et que vous avez emporté l'Eglise avec vous, quel hérétique n'en peut pas dire autant? Ce n'est pas des païens que les anciens hérétiques ont composé leur église; c'est des chrétiens nourris dans l'Eglise. Aussi n'avezvous pas formé la vôtre en amassant des mahométans; j'en conviens mais en cela vous ne sortez pas des exemples des anciens hérétiques; et ils ont tous pu dire, aussi bien que vous, qu'ils ont été condamnés par leurs parties. Car on ne les a pas fait asseoir au nombre des juges, quand on a condamné leur nouveauté. — Mais, Monsieur, reprit M. Claude, nous ne convenons pas de cette nouveauté. Ce qui est dans l'Ecriture n'est pas nouveau. Patience, Monsieur, je vous prie, lui répondis-je : aucun des anciens hérétiques n'est convenu de la nouveauté de sa doctrine; ils ont tous allégué pour eux l'Ecriture sainte : mais il y avoit une nouveauté qu'ils ne pouvoient contester; c'est que le corps de leur église n'étoit pas hier, et vous en êtes demeuré d'accord. - Hé bien, dit enfin M. Claude, si les ariens, si les nestoriens, si les pélagiens avoient eu raison dans le fond, ils n'eussent point eu tort dans la procédure. Tort ou non, lui dis-je, Monsieur, c'est le fond de la question: mais toujours demeure-t-il pour constant que vous avez le même procédé qu'eux, la même conduite, les mêmes défenses; en un mot, qu'en formant votre église vous avez fait comme ont fait tous les hérétiques, et que nous faisons tout ce qu'ont fait les orthodoxes. Chacun peut juger en sa conscience à qui il aime mieux ressembler, et je n'ai plus rien à dire.

M. Claude ne se tut pas en cette occasion, et il me dit que cet argument étoit excellent en faveur des Juifs et des païens, et qu'ils pouvoient soutenir leur cause par la raison dont je me servois. Voyons, lui dis-je, Monsieur, et souvenez-vous que vous nous promettez le même argument. — Le même, reprit-il, sans doute. Les Juifs et les païens ont reproché aux chrétiens, leur

nouveauté, vous le savez; les écrits de Celse en font foi, et tant d'autres. J'en conviens, lui dis-je, mais est-ce là tout? Et il étoit vrai, poursuivit-il, que le christianisme étoit nouveau, à le regarder dans l'état immédiatement précédent. — Quoi ! lui dis-je, quand Jésus-Christ commença sa prédication, on lui pouvoit dire, comme je vous dis, que dans l'Eglise où il étoit né, on ne parloit pas hier de lui ni de sa venue? Et qu'étoit-ce donc que ce saint Jean-Baptiste, et Anne la prophétesse, et Siméon, et les Mages, et les pontifes consultés par Hérode, lorsqu'ils répondirent que le lieu de sa naissance étoit Bethleem? Falloit-il remonter jusqu'à Abraham pour prouver l'antiquité des promesses? Y a-t-il eu un seul moment où le Christ n'ait pas été attendu dans l'Eglise où il est né; si bien attendu que les Juifs l'attendent encore? Il est bien vrai, Monsieur, qu'il falloit voir arriver une fois cette nouveauté, et ce changement du Christ attendu au Christ venu. Mais JésusChrist pour cela n'est pas nouveau : « Il étoit hier, il est aujourd'hui, et sera aux siècles des siècles'. » Il est vrai, repartit M. Claude, mais la Synagogue ne convenoit pas que ce Jésus fùt le Christ. Mais, repris-je, la Synagogue n'a point condamné saint Jean-Baptiste; mais la Synagogue a ouï, sans rien dire, et les Mages, et Siméon, et Anne. Jésus-Christ a recueilli dans la Synagogue, vraie Eglise alors, les enfans de Dieu qu'elle contenoit. La Synagogue à la fin l'a condamné. Mais Jésus-Christ avoit déjà fondé son Eglise. Il lui donne sa dernière forme aussitôt après sa mort, et le nouveau peuple a suivi l'ancien sans interruption : voilà des vérités incontestables. Et pour ce qui est du paganisme, il est vrai que les païens ont reproché aux chrétiens leur nouveauté. Mais qu'ont répondu les chrétiens? N'ont-ils pas fait voir clairement que les Juifs avoient toujours cru le même Dieu que les chrétiens adoroient et attendu le même Christ; que les Juifs croyoient tout cela hier, et avant-hier, et toujours sans interruption? — Mais, Monsieur, encore une fois, dit M. Claude, les Gentils ne convenoient pas de tout cela? Quoi! repris-je, y avoit-il parmi eux quelqu'un assez déraisonnable pour dire qu'il n'y eût jamais eu de Juifs, ou que ce peuple n'eût pas attendu un 1 Hebr., XIII, 8.

Christ, et n'eût pas adoré un seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre? Ne faisoit-on pas voir aux païens le commencement manifeste de leurs opinions et la date, je ne dis pas des auteurs de leurs sentimens, mais de leurs dieux mêmes, et cela par leurs propres histoires, par leurs propres auteurs, par leur propre chronologie? Croyez-vous qu'un païen eût pu faire avouer à un chrétien que la religion d'un chrétien étoit nouvelle, et qu'il n'y avoit jamais eu de société qui eût eu la même croyance que les chrétiens avoient alors, comme je vous fais avouer que tous les hérétiques que vous et moi reconnoissons pour tels, sont venus de cette sorte, et que vous avez fait comme eux? Voilà, Monsieur, comme vous prouvez que les Juifs et les païens pouvoient soutenir leur cause par le même argument dont je me sers: personne ne le pourra jamais, et personne ne pourra jamais nier le fait constant que j'avance qui est que nous faisons comme tous les orthodoxes, et vous comme tous les hérétiques.

Là finit la conversation. Elle avoit duré cinq heures avec une grande attention de toute l'assemblée. On s'étoit écouté l'un l'autre paisiblement : on parloit de part et d'autre assez serré; et à la réserve du commencement où M. Claude étendoit un peu son discours, dans tout le reste il alloit au fait, et se présentoit à la difficulté sans reculer. Il est vrai qu'il tendoit plutôt à m'envelopper dans les inconvéniens où je l'engageois, qu'à montrer comme il en pouvoit sortir lui-même; mais enfin tout cela étoit de la cause; et il a dit assurément tout ce que la sienne pouvoit fournir dans le point où nous nous étions renfermés.

Pour moi, je n'avois garde d'en sortir, puisque c'étoit celui sur lequel mademoiselle de Duras demandoit éclaircissement. Elle me parut touchée : je me retirai toutefois en tremblant, et craignant toujours que ma foiblesse n'eût mis son ame en péril et la vérité en doute.

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Je la vis le lendemain. Je fus consolé de voir qu'elle avoit parfaitement entendu tout ce que j'avois dit. C'est ce que je lui avois promis. Je lui avois représenté que parmi les difficultés immenses

que faisoit naître parmi les hommes l'esprit de chicane et la profondeur de la doctrine chrétienne, Dieu vouloit que ses enfans eussent un moyen aisé de se résoudre en ce qui regardoit leur salut; que ce moyen étoit l'autorité de l'Eglise; que ce moyen étoit aisé à établir, aisé à entendre, aisé à suivre; si aisé, disoisje, et si clair, que quand vous n'entendrez pas ce que je dirai sur cela, je consens que vous croyiez que j'ai tort. Cela', en effet, doit être ainsi, quand la matière est bien traitée: mais je n'osois pas me promettre de l'avoir dignement traitée. Je reconnus avec joie et avec action de graces, que Dieu avoit tout tourné à bien. Les endroits qui devoient frapper, frappèrent. Mademoiselle de Duras ne pouvoit comprendre qu'un particulier ignorant pût croire sans un orgueil insupportable, qu'il lui pouvoit arriver de mieux entendre l'Ecriture que tous les conciles universels et que tout le reste de l'Eglise. Elle avoit vu, aussi bien que moi, combien étoit foible l'exemple de la Synagogue, quand elle condamna Jésus-Christ, et combien il y avoit peu de raison de dire que les particuliers qui croyoient bien manquassent, pour se résoudre, d'une autorité extérieure, lorsqu'ils avoient en la personne de Jésus-Christ la plus grande et la plus visible autorité qu'il soit possible d'imaginer. Je repassai sur le doute où il falloit être touchant l'Ecriture, si on doutoit de l'Eglise. Elle dit qu'elle n'avoit jamais seulement songé qu'un chrétien pùt douter un moment de l'Ecriture; et au reste elle entendit parfaitement que rejetant le nom de doute, M. Claude avoit reconnu la chose en d'autres termes : ce qui ne servoit qu'à faire paroître combien cette chose étoit dure, et à penser et à dire, puisque forcé de l'avouer, il n'avoit pas cru le devoir faire en termes simples. Car enfin ne savoir pas si une chose est ou non, si ce n'est douter, ce n'est rien. Il parut donc clairement que les deux propositions dont il s'agissoit étoient établies; et je fis voir en peu de mots à mademoiselle de Duras, que son église en croyant deux choses aussi étranges, avoit changé tout l'ordre d'instruire les enfans de Dieu, pratiqué de tout temps dans l'Eglise chrétienne.

Il ne falloit pour cela que lui répéter en peu de mots ce qu'elle m'avoit ouï dire, et ce qu'elle avoit ouï accorder à M. Claude.

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