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cette haine qui va jusqu'au mépris et à l'injure (1). Peutêtre Tommaseo s'opposa-t-il à la publication dans l'Antologia de quelque dialogue pessimiste. J'imagine que la seule différence des idées créa cette inimitié : le futur triumvir de la république de Venise dut être profondément blessé et irrité par la philosophie négatrice de l'auteur du Bruto minore. Nous aurons, d'ailleurs, à revenir plus d'une fois sur ce contraste singulier entre les idées de Léopardi et celles de la société où il a vécu, contraste auquel sa satire doit quelque chose de sa vivacité. Rappelons seulement que nous ne voulons point raconter sa vie, mais étudier le principal élément de son inspiration poétique, tâche difficile et qui paraîtrait impossible si l'on prenait à la lettre ce passage de l'Epistolario: : « Vous avez bien raison de dire (écrit Leopardi à l'abbé Melchiore Missirini, en 1825), bien que cela se rapporte peu à mes vers, qu'aujourd'hui quiconque en Italic veut écrire en prose ou en vers, avec profondeur et philosophie, doit toujours se mettre dans l'esprit qu'il ne doit ni ne peut en aucune façon être loué, ni goûté, ni même entendu des Italiens contemporains. Et les étrangers, qui seraient capables d'entendre les sentiments, sont peu aptes à entendre la langue. Ou ils n'entendent pas la langue, et ne peuvent entendre les sentiments; ou ils l'entendent mal et ne peuvent entendre les sentiments qu'à demi et souvent à rebours. Et combien y a-t-il aujourd'hui, même en Italie, de personnes qui entendent parfaitement leur langue dans un style vraiment italien? Si bien que ni les Italiens ni les étrangers ne peuvent aujourd'hui apprécier un poète italien digne de ce nom. Voilà qui n'est pas vraiment à encourager quelqu'un qui aurait la disgrâce de faire de bonne et convenable poésie » (2). Nous espérons qu'il se mêle beaucoup d'exagération à cette boutade cha

(1) Lettre 14: «... La profonda sapienza di uno asino italiano, anzi dalmata, chiamato Niccolo Tommaseo... » Et surtout, lettre 17: «.. Quella pazza bestia di Tommaseo... che è nemico mio personale, etc. >

(2) Ep. I, 347.

grine. Sans doute un étranger ne peut songer à étudier le style si savant des Canzoni; mais nous ne pouvons croire qu'il doive renoncer à « entendre les sentiments. » Il doit seulement apporter à une telle entreprise plus d'attention, plus de scrupule et plus de modestie que s'il parlait d'un auteur de sa nation. D'autre part, si un étranger ne peut saisir toutes les nuances du langage, il a peut-être sur les critiques indigènes l'avantage d'être plus indépendant et plus impartial.

CHAPITRE I°r

On a étudié Leopardi plutôt dans sa vie que dans ses œuvres. Examen et réfutation de la légende douloureuse formée par quelques-uns de ses biographes.

Ce qui a été écrit pour expliquer l'inspiration poétique de Leopardi semble pouvoir se résumer ainsi : Leopardi fut difforme, pauvre, mal compris et mal aimé de ses parents, en butte pendant toute sa jeunesse à l'ignorance malveillante des habitants de Recanati, et, pendant son âge mûr, aux contrariétés de la misère et de la maladie ; voilà le secret de ces chants désespérés où il nie la survivance de l'âme, Dieu, le progrès, et tout ce qui d'ordinaire donne aux hommes quelque force et quelque tranquillité. S'il s'était bien porté, s'il eût été beau, compris, aimé, comme Châteaubriand par exemple, il n'aurait pas étalé cette incrédulité, la plus monstrueuse peut-être à laquelle un homme ait jamais osé s'abandonner. Ce n'est pas un philosophe, c'est un malade. Il ne raisonne pas, il souffre. Dans un corps sain, au milieu du bien-être, son génie eût porté des fruits moins étranges, et sa pensée se fût écartée des routes excentriques où le jeta l'excès de la souffrance physique. On va plus loin. On regrette que Leopardi n'ait pas été heureux au lieu de cette plainte, qui fatigue par sa monotonie autant qu'elle étonne d'abord par son originalité, il eût laissé des chants plus variés, plus sympathiques, plus humains, plus vrais. Il eût été un Manzoni avee plus de profondeur, ou un

Foscolo avec plus de clarté ou encore un Niccolini avec plus d'esprit. De même que Leopardi voit partout sa douleur, de même ses critiques retrouvent ses maux personnels dans chacune des lignes qu'il a tracées. Riche, il n'eût pas fait l'Histoire du genre humain. Avec des reins plus solides et une poitrine plus large, il n'eût pas écrit Amore e morte. A les entendre, on se prend à remercier la Nature, pour parler comme notre poète, de n'avoir pas mis sur sa route un bon médecin : nous n'aurions pas eu la Ginestra.

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Nous croyons que cette explication du génie poétique de Leopardi est insuffisante et injuste însuffisante, parce qu'en admettant qu'elle donne les motifs de la mauvaise humeur qu'on attribue à Leopardi, elle n'entre pas dans le génie même du poète, qu'il faudrait cependant définir et mettre en lumière; injuste, parce que Leopardi passa sa vie à lutter, plus que ne le fit peut-être aucun homme, contre ce qu'il nommait la fatalité, qu'il ne se laissa jamais abattre par cette fatalité, sous quelque forme qu'elle s'offrît, maladie, pauvreté ou erreur; parce qu'enfin ces poésies, qu'il s'agit d'apprécier, sont les fruits mêmes des loisirs libres qu'il a conquis, par sa volonté, sur les circonstances. De son vivant même, il a demandé, en vingt endroits de ses œuvres et de ses lettres, qu'on voulût bien examiner sa pensée en laissant de côté ses souffrances personnelles. Cette grâce qui lui fut refusée par ceux de ses contemporains qui, surtout en Allemagne, voulurent le juger, il pouvait espérer que la postérité la lui accorderait. Il n'en a pas été ainsi : on s'est obstiné à n'étudier que les conditions dans lesquelles Leopardi s'est développé, sans vouloir étudier Leopardi, et l'on s'est de la sorte, croyons-nous, mépris sur l'inspiration de ses poésies.

Sans doute, il ne faut point laisser de côté l'étude de ces conditions, et c'est la gloire de la critique actuelle d'avoir cessé d'extraire, comme on le faisait, un écrivain du milieu où il a vécu mais la justesse même et la nouveauté de cette méthode ont par leur charme emporté certains esprits, principalement à propos de Leopardi, si loin de la personnalité

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