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ont soin de nous prévenir qu'ils n'ont pas imprimé les lettres qui ne contenaient que de menus détails sur la vie intime de la famille, et il est permis de supposer que ces lettres, dont la suppression est regrettable, sont précisément cellcs que Leopardi écrivait à sa mère et recevait d'elle. Pourtant c'est une chose grave que dans les crises de sa vie, à son premier voyage à Rome et pendant son séjour à Florence, il n'ait point pris sa mère pour confidente de ses pensées; mais si elle manqua à son fils dans des circonstances où la tendresse d'une mère est le plus opportune, rien ne permet de croire qu'elle ne l'aimât point; elle était, j'imagine, moins dure de cœur que timorée d'esprit, moins égoïste que Recanatèse, et on ne peut guère lui en vouloir de n'avoir point troublé la vie intellectuelle de Leopardi d'une intervention qui se fût vraisemblablement manifestée par des reproches maladroits et irritants.

Leopardi trouva une tendresse vraiment intelligente et telle qu'il pouvait la souhaiter, dans sa sœur Pauline qui ne manquait ni d'esprit, ni de grâce, ni même d'instruction (1). Il nous montre bien le cas qu'il fait d'elle, dans une lettre écrite peu après son premier départ de Recanati : il l'y complimente ingénieusement et avec une sorte de coquetterie badine, dont plus d'un trait surprendrait dans une lettre française : « Véritablement, je ne sais vous répondre avec la grâce que mériteraient vos lettres. Je n'entends pas grand'chose à la galanterie, et de plus je crains que, si je voulais en user avec vous, maman ne brûlât mes lettres avant de vous les avoir données, ou tout au moins après. Si je vous disais que je vous aime de tout mon cœur, ce ne serait pas galant, mais ce ne serait pas non plus assez tendre. Si bien que, pour ce qui est de mes sentiments à votre égard, de peur de m'exprimer avec maladresse, je veux que vous en soyez vous-même l'interprète, et je vous fais ma plénipotentiaire dans cette affaire (2).» Elle aussi fut

(1) Siete sensibilissima, sapete amare, siete istruita, al di sopra di quatro quinti delle vostre pari. » (Ep., 1, 301. )

(2) Ep., 1, 275.

malade de coeur et d'imagination. Elle écrivit à son frère des lettres où ses douleurs et ses désillusions étaient peintes en termes ardents: « Je souffre, lui répondit Leopardi, de te sentir travaillée de la sorte par ton imagination..... Je voudrais pouvoir te consoler et assurer ton bonheur aux dépens du mien ; mais si je ne le puis, je t'avoue du moins que tu as en moi un frère qui t'aime de cœur et qui t'aimera toujours, qui sent la tristesse et l'amertume de ta situation, qui sait y compatir et qui, en somme, prend la moitié de tous tes maux. Je ne te répéterai pas que la félicité humaine n'est qu'un songe, que le monde n'est pas beau, qu'il n'est même pas supportable si on ne le voit comme tu le vois, c'est-à-dire de loin; que le plaisir n'est qu'un mot sans réalité, que la vertu, la sensibilité, la grandeur d'âme sont non-seulement les uniques consolations de nos maux, mais encore les seuls biens possibles en cette vie; que ces biens, quand on vit dans le monde et dans la société, ne procurent ni jouissance ni profit, comme le croient les jeunes gens, mais se perdent tout-à-fait, l'âme restant dans un vide épouvantable. Tu le sais déjà et non-seulement tu le sais, mais encore tu le crois: cependant tu as le besoin et le désir de le voir avec ton expérience propre et c'est ce désir qui te rend malheureuse. (1) L'admiration qu'elle avait pour son frère était mêlée de respect et de déférence. Il faut qu'il rassure son humilité et lui rappelle qu'avec un frère elle doit laisser de côté les formules de cérémonie. Elle eut sur lui, à son insu, une influence plus bienfaisante que le comte Monaldo et la marquise Antici. Sans doute, ce n'est pas d'elle que Leopardi recevra, dans ses désespoirs, les conseils fortifiants ni les douces réprimandes: c'est au contraire lui, le malade, l'inquiet, qui tâchera de faire entrer dans cette âme trop semblable à la sienne la sécurité réparatrice que lui-même passe pour n'avoir jamais connue. Cependant il dut, je suppose, se consoler parfois en la consolant: il ne parla pas sans profit pour ses

(1) Ep. 1, 287.

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propres douleurs de la nécessité de modérer son imagination, de mesurer les élans de sa pensée et de s'attacher fortement à la seule chose qui soit forte, c'est-à-dire au devoir.

Mais ce fut sur son frère Charles qu'il reporta le meilleur de son amitié et de sa confiance. Charles fut toute sa vie son confident, son conseiller, son consolateur, son ami; c'est lui, surtout à Recanati, qui comprit les souffrances morales du jeune poète; seul dans la famille il eut de l'indulgence et même une sympathie timide, mais profonde, pour cet extraordinaire développement intellectuel. Il avait luimême l'âme assez noble pour suivre les hautes aspirations du penseur, et assez saine pour lui être un exemple de bon sens et de sérénité. Il prit soin de la gloire de son aîné, et le nom de Charles Leopardi est honorablement mêlé aux incidents de la publication de l'Epistolario et des Studi giovanili. Il aima les lettres (1), peut-être un peu par amitié fraternelle, et les cultiva assez pour que ses conseils eussent du crédit, et pour que son admiration ne fût pas aveugle. « Si tu m'aimes, lui écrivait Leopardi, crois que je ne t'aime pas moins, et qu'en vérité chaque jour je désire davantage ta compagnie et je sens davantage le besoin que j'ai de toi. Mais à quoi bon chercher à te le persuader? Tu te connais assez, tu me connais également, tu sais qu'on ne trouve pas ton pareil et que je ne suis pas fait pour converser avec qui ne m'entend pas et encore moins pour aimer qui ne m'aime pas. Je te pourrais dire une infinité de choses pleines d'amour, ou plutôt je te les voudrais dire, mais je ne saurais; et, d'un autre côté, notre amour est si vrai et si naturel qu'il semble qu'il se dérobe et qu'il ne se soucie pas d'être exprimé avec des paroles.» « Ton amour, ta pensée et ta personne sont comme la colonne et l'ancre de ma vie. » (2)

On voit que Leopardi, qu'on représente volontiers comme abandonné par les siens, aurait trouvé même dans sa famille, même dans « l'horrible et inhabitable » Recanati,

(1) En 1823, il composait des sonnets (étant amoureux) et les envoyait à son frère à Rome.

(2) Ep. t. 1er, pass.

assez d'affection vraie, pour que ses maux en fussent soulagés. Même si le hasard n'avait pas mis sur son chemin tant de fidèles compagnons, parmi lesquels ces deux amis exquis, Giordani et Ranieri, il eût connu le bonheur d'être aimé plus peut-être que tel grand poète ou tel grand philosophe réputés heureux.

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Nous sentons bien que, pour plus d'un lecteur de l'Epistolario, ce mot de bonheur prononcé à propos du « pauvre Leopardi >> peut paraître un ironique paradoxe. Sans doute, quoi qu'on puisse dire de la famille et des amis du poète, le bonheur, tel qu'on l'entend, ne se rencontre guère dans sa vie à la considérer jour par jour, cette vie est une lutte incessante contre les deux maux que les hommes redoutent le plus: la maladie et la pauvreté. Quelques détails navrants, que nous ne pouvons pas chercher à atténuer, hantent malgré nous notre mémoire. Mais faut-il juger l'ensemble de sa vie et le degré de son infortune par quelques détails? Il y a dans la vie de Voltaire, surtout dans la première période, des incidents aussi douloureux : citera-t-on Voltaire comme un exemple d'infortune?— Mais Voltaire fut ensuite le roi de son siècle, l'arbitre de l'opinion. Sans doute,

et c'est précisément le genre de gloire qu'il avait le plus désiré. Toutefois si le bonheur réside pour l'homme dans la conformité de sa vie avec ses désirs, Leopardi fut-il si complétement malheureux ? Les besoins de son cœur et de son esprit ne furent-il pas, dans une grande mesure, satisfaits? Il avait désiré, dans son isolement, un ami expérimenté, lettré, en position de lui donner accès dans le seul monde où il souhaitât de vivre, c'est-à-dire dans celui où les choses de l'esprit ont leur prix, et, par une chance inespérée, il connut Giordani, l'aima, en fut aimé et trouva en lui son bon génie. Il voulait sortir de Recanati, il en sortit; vivre dans les villes intelligentes et célèbres de l'Italie, il y vécut la moitié de sa vie se passa à Rome, à Bologne, à Florence, où chez Vieusseux il assista et contribua, sans y croire, à la renaissance intellectuelle de son pays, à Naples où ses dernières années furent adoucies par la sollicitude et le dévoue

ment de Ranieri et de sa sœur, qui réalisèrent discrètement l'idéal d'amitié rêvé par Leopardi d'après les anciens, ces connaisseurs incomparables et ces maîtres divins dans toutes les choses du cœur qui ne sont pas l'amour. La gloire, j'entends la gloire éclatante des poètes nationaux, d'un Foscolo, d'un Niccolini, il n'y prétendait pas, il n'y avait pas droit, lui qui, à l'heure où luttaient au péril de leur vie les précurseurs de l'unité italienne, cessait de parler de l'Italie dans ses vers, niait le progrès, s'en moquait même, et lançait ses dures et froides épigrammes aussi bien contre les principes qui ont mené en définitive les Italiens à Rome que contre les théories oppressives des dominateurs étrangers. Mais il obtint, ce qu'il préférait sans doute, sinon l'approbation, du moins l'estime et souvent la sympathie des esprits les plus éminents de son temps, de Mai, de Gino Capponi, de Niccolini, de Gioberti, et de tout le cénacle illustre qui fonda ct dirigea cette Antologia, destinée à l'honneur de périr, comme étant un danger pour l'Autriche, après avoir envoyé bien au-delà des frontières du grand-duché de Toscane des idées qui devaient germer. Si l'auteur de l'Ottonieri n'aimait pas la gloire, assurément il ne fut pas insensible à la bonne renommée dont l'entoura son amour précoce de la science et à ce murmure flatteur d'étonnement que provoquèrent en Allemagne les éloges de Niebuhr et de Bunsen.

Ceux qui veulent à tout prix que la fortune ait épuisé sur Leopardi ses dernières rigueurs parlent d'« irréparables disgrâces » qui le rendirent ridicule auprès des femmes. On se répète tout bas en Italie plus d'une histoire irrévérencieuse sur ses mésaventures. La vérité est qu'on ne sait pas grand'chose sur les amours de Leopardi; ses premières poésies et sa correspondance nous montrent qu'il aima, dans son adolescence, à Recanati, une jeune fille qui quitta brusquement le pays sans prendre garde à l'amour de cet enfant maladif et studieux. Mais de telles douleurs sont communes; elles passent ou se transfigurent en beaux vers. Plus tard, à Florence, il aima, si l'on lit entre les lignes de

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