Immagini della pagina
PDF
ePub

la correspondance, et dut fuir à Rome ses déceptions et ses ennuis. Mais son caractère était formé, ses écrits philosophiques avaient paru, son œuvre était faite. Il semble être redevenu très-vite maître de son cœur et n'avoir plus songé qu'aux seuls plaisirs qu'il pût raisonnablement souhaiter, ceux de l'amitié. Quoi qu'il en soit, s'il eût aimé, s'il eût, comme Musset, connu la trahison et le cortége de maux que les poètes attachent à l'amour, n'aurait-on pas vu là aussi une nouvelle source d'infortune pour Leopardi ? et, s'il est vrai de dire qu'il ne connut pas l'amour, ne peut-on pas ajouter aussi qu'il en fut préservé ?

Lui-même, qui n'aimait pas qu'on parlât de ses maux, eût protesté avec indignation contre cette légende lamentable qu'une pitié indiscrète a formée avec quelques phrases de ses lettres intimes où il répond souvent à des questions précises que sa famille lui pose sur sa santé et son état moral, et où il est ainsi contraint de mettre en lumière, pour un instant, des ennuis que, comme penseur et comme poète, il laissa d'ordinaire dans l'ombre. Il est certain qu'il ne fut jamais dominé par les souffrances physiques ni par la misère. Au milieu des contrariétés, il s'appartient, il maitrise la douleur, s'il ne peut l'anéantir. Il se sert, contre la destinée, de cette sagesse antique dans laquelle il s'est trempé, et ainsi armé contre les choses, il peut dire à ceux qui le plaignent à l'excès: « Je n'ai pas jusqu'ici de motifs de larmes, non ho fino a qui cagion di pianto » (1).

(1) Canto d'un pastore.

CHAPITRE II

PHILOSOPHIE DE LEOPARDI.

Théorie de l'infelicità.— Nature de l'incrédulité religieuse de Leopardi.— Leopardi et Schopenhauer.

THÉORIE DE L'INFELICITA.

Infelicità est le mot qu'il faut écrire en tête d'un résumé de la philosophie de Leopardi C'est de l'infélicité, si on nous permet d'emprunter ce mot à l'italien, que partent, ses observations, c'est à l'infélicité qu'elles aboutissent et qu'elles reviennent. L'infélicité est la seule explication qu'il puisse donner des choses humaines. L'infélicité est universelle et irrémédiable: telle est la seule certitude que nous puissions avoir. Elle ne résout pas les divers problèmes qui agitent l'esprit de l'homme, car ils sont insolubles, mais elle les ramène à un seul qui est le problème de la douleur. Résoudre ce dernier et suprême problème, Leopardi n'y songe pas Arrivé à ces limites, son esprit s'arrête, non qu'il n'y ait rien au-delà, mais il ne trouverait encore qu'infélicité. La douleur s'explique par la douleur, et il est aussi inutile qu'impossible de porter plus loin ses réflexions. Cette idée se trouve au premier plan dans les œuvres morales, dans les Dialogues, dans les Traités, dans les Pensées. La forme seule varie. Ce n'est qu'un cri de douleur jusqu'à la dernière ligne. « L'âme humaine est créée pour être grande et malheureuse. »« Le plus heureux est de ne pas vivre. » « L'homme est bien sot de souhaiter

de prolonger ses jours qu'il trouve auparavant l'art de vivre heureux. » « L'ennui n'est que le sentiment de l'infélicité et le désir du bonheur. » « Quand finira l'infélicité? quand tout finira. » Telles sont les principales conclusions des dialogues. Voici maintenant tout un éloge des oiseaux composé ironiquement pour montrer qu'ils sont plus heureux que les hommes. Les œuvres morales commencent par une Histoire satirique du genre humain écrite à l'antique et comme par un Lucrèce railleur, où l'on suit pas à pas les progrès de l'infélicité humaine que la civilisation semble avoir portée à sa perfection. Enfin, dans l'Ottonieri, ces sombres réflexions ne marquent-elles pas d'un trait ineffaçable le sentiment de Leopardi sur cette éternelle infélicité? « On lui demandait quel était le pire moment de la vie humaine. Il répondit: En exceptant le temps de la douleur et celui de la crainte, je croirais pour ma part que les pires moments sont ceux du plaisir; car l'espérance et le souvenir de ces moments, qui occupent le reste de la vie, sont choses meilleures et bien plus douces que les plaisirs mêmes.....

» Il disait que chacun de nous, dès qu'il vient au monde, est comme quelqu'un qui se couche dans un lit dur et incommode; à peine s'y trouve-t-il que, se sentant mal à son aise, il commence à se retourner sur chaque flanc, à changer sans cesse de place et d'attitude. Il passe de la sorte toute la nuit à toujours espérer de pouvoir prendre à la fin un peu de sommeil et à se croire parfois sur le point de s'endormir. L'heure arrive, et, sans s'être jamais reposé, il se lève.

» Observant avec quelques personnes des abeilles occupées à leur besogne, il dit: Vous êtes heureuses si vous ne comprenez pas votre malheur.

» Il ne croyait pas que l'on pût ni raconter toutes les misères des hommes, ni en déplorer une seule suffisamment.

» A cette question d'Horace: Comment se fait-il que personne ne soit content de sa condition? il répondait : La cause en est que personne n'a été heureux.

» Il remarquait qu'il n'y a pas de situation si malheureuse qu'elle ne puisse empirer, et qu'aucun mortel, si misérable qu'il soit, ne peut avoir la consolation de se vanter d'être dans une telle infortune qu'elle ne comporte pas d'accroissement..... La fortune a beau faire; elle ne perd jamais la faculté de nous infliger de nouveaux malheurs capables de vaincre et de rompre la fermeté même du désespoir.

[ocr errors]

Rien n'est à l'abri de l'infélicité, pas même ces prétendues retraites que l'homme croit pouvoir se créer en luimême. Les plus secrets sentiments, les plus fières et les plus fermes dispositions de l'âme humaine sont à la merci de la fortune. L'orgueil même n'est que vanité. C'est une chimère présomptueuse que cette idée que les hommes se font de la dignité et de l'importance de leur race. Cette race viendrait à disparaître que le monde n'en continuerait pas moins sa vie ordinaire. Quant à la supériorité dont nous nous targuons, comme elle est rabattue par l'histoire de la Gageure de Prométhée! Il parie avec Momus que les hommes sont les plus parfaits des animaux. Il s'ensuit un voyage philosophique à travers l'humanité qui mène successivement les parieurs chez les anthropophages d'Amérique, près du bûcher d'une veuve indienne, devant le cadavre d'un suicidé pour cause de spleen, à Londres, si bien que Prométhée perd son pari. La seule conclusion qu'on tire de ce voyage, c'est que les hommes sont plus malheureux que les autres animaux; car l'infélicité ne comprend pas seulement la souffrance, mais toutes les imperfections de la nature humaine. L'orgueil est un des éléments; il nous donne une estime exagérée du globe que nous habitons. Hercule a tort de plaindre Atlas des fatigues qu'il endure à porter le monde : Atlas en sent à peine le poids et s'en servirait comme d'une balle, s'il ne craignait de le briser.

en

Sots et malheureux, tels sont les hommes, non sans quelque grandeur toutefois, mais cette grandeur n'est qu'un présent ironique de la nature : « Vis, ma fille, dit la Nature à une âme, pour être grande et malheureuse. » Cette gran

« IndietroContinua »