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Cependant, peu après, il semble attacher moins d'importance à ces mêmes manuscrits, si l'on en juge d'après cette phrase d'une lettre adressée à la même personne: « Les fleuves remonteront à leur source avant que je recouvre la vigueur nécessaire pour les études philologiques, et, quand cette chose impossible arriverait, mes papiers, en repassant de vos mains aux miennes, ne feraient que perdre (1). Mais remarquons que, malgré les termes de la lettre à Pauline où il n'est question que de manuscrits philologiques, le dépôt confié à M. de Sinner contenait des ébauches de poësies, et aussi des pensées sur toute sorte de sujets que M. de Sinner ne semble pas avoir fidèlement gardées et intégralement transmises.

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En effet, les amis et les éditeurs de Leopardi ont fait à M. de Sinner deux reproches très-graves: d'abord de n'avoir ni publié ni laissé publier les manuscrits, ensuite d'avoir détruit ou perdu la plus grande partie des Pensieri.

Le premier reproche est assurément fondé pour ce qui est des lettres que M. de Sinner avait entre les mains : « Je ne puis taire, écrit en 1849 Prospero Viani, éditeur de l'Epistolario, que je crois qu'un grand nombre de lettres remarquables doit être en la possession de l'illustre professeur Louis de Sinner, de nationalité allemande, domicilié à Paris, lequel a là-dessus signifié sa volonté à Gioberti et à moi par un silence éloquent (2).

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Il est difficile de se prononcer sur le second grief relatif à la disparition des Pensées : « Quant aux Pensées, écrit Giordani le 20 octobre 1845, Ranieri m'écrivit, il y a plusieurs années, qu'elles étaient au nombre de 600. Après l'impression, il m'a écrit qu'il n'y en avait pas plus.

Sinner). En 1845, M. de Sinner écrit (en français) à Pellegrini, l'un des éditeurs de Leopardi: « Ce qui reste évident à mes yeux, c'est que Leopardi ne voulait passer à la postérité que comme auteur italien et non comme élève en philologie. » Il y a du vrai dans cette remarque, mais n'est-elle pas là pour les besoins de la cause de M. de Sinner?

(1) Lettre 16.
(2) Ep. I. p. 4.

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Je ne crois pas du tout que Leopardi les ait détruites. (1) L'accusation, comme on le voit, est assez vague: néanmoins elle piqua au vif M. de Sinner, sans le décider à sortir de son silence éloquent. Ce n'est qu'à la postérité qu'il confia son apologie, et on va lire, sur cette grave affaire, une note de sa main que nous avons trouvée dans les papiers de Leopardi : « Quand aux Pensieri, voici un fait important:

» A Florence même, en 1830, j'examinais avec l'auteur un immense portefeuille contenant plus de 4,440 pages grand in-4°. Mes extraits, faits de ma main, sont les feuilles 1 et 2, 4 pages petit in-4°. Ne pouvant terminer, vu mon départ du 10 novembre, l'auteur me remit deux petites feuilles que je fis copier à Paris par mon secrétaire M. Martin: elles forment le feuillet 8 ou 3 du même petit portefeuille, et les pages 29 à 35 papier de lettres grand in-4°.

>> La copic terminée par M. Martin et revue par moi, je renvoyai l'original à l'auteur. Voy. lettre 1.

>> En automne 1831, M. Castelnuovo me remit à Paris d'autres extraits des Pensieri, qui se trouvent marqués n, i, x, l, dans le n° 19 du petit portefeuille (2). Voy. de plus lettre 3.

» L'insinuation de Giordani du 20 octobre 1849 (3) n'est donc qu'un infâme mensonge.

» En 1837, Ranieri, lettre 2, possédait un «<zibaldone 'di pensieri filosofici, filologici, di ogni genere, composto di 4525 pagine. » C'était celui dont je n'avais parcouru en 1830 que 4,440 pages. >>

Nous n'avons pas besoin de faire remarquer l'invraisemblance et l'embarras de cette explication. M. de Sinner veut trop prouver et il nous fera difficilement croire que le portefeuille de Leopardi contînt « plus de 4,440 (4) pages ». Son argument le plus décisif serait celui qui est tiré de cette

(1) Epist. 1 p. 10.

(2) Exact. Le « petit portefeuille » est une enveloppe qui contient un certain nombre de petits manuscrits.

(3) 1849 est évidemment mis pour 1845. II s'agit du passage cité plus haut.

(4) Rapprocher ce chiffre des 600 Pensées dont Ranieri parlait (voir plus haut la citation de Giordani).

lettre 2 de Ranieri à laquelle il nous renvoie. On lit en effet en tête d'une des diverses couvertures qui renferment les manuscrits cette suscription: « 14 lettres de Ranieri du 28 juin 1837 au 7 août 1845. » Mais, malheureusement pour M. de Sinner, les 14 lettres manquent.

Cette disparition est assez difficile à expliquer : dans ces lettres, postérieures à la mort de Leopardi, il était évidemment question des manuscrits confiés à M. de Sinner: c'est là que doit se trouver la justification de M. de Sinner, si elle se trouve quelque part. M. de Sinner le sent bien, puisqu'il fait appel au témoignage de Ranieri, et c'est ce témoignage, si important pour son honneur, qu'il égare ou qu'il détruit! C'est apparemment par négligence que M. de Sinner perdit les Pensieri, si tant est qu'il les ait eus entre les mains. Mais qui nous empêche de croire qu'il fit disparaître les lettres de Ranieri pour se disculper d'avoir négligemment gardé des papiers qu'il savait précieux? Les personnes qui ont connu le correspondant du candide et confiant Leopardi n'estimeront pas qu'il ait pris, de son vivant, assez de soin de sa réputation ni même de son honneur pour qu'on puisse croire, sans hésitation, à la justification posthume qu'il a glissée dans les manuscrits. Etait-il bien scrupuleux l'homme qui, établi à Florence et négligé, non sans raison, par les philologues français, vendit à prix d'argent au gouvernement italien, vers 1866, les manuscrits de Leopardi? Il obtint, nous a-t-on dit à Florence (1), une rente assez considérable qui lui fut payée jusqu'à sa mort.

Les manuscrits déposés à la bibliothèque nationale de Florence ne furent catalogués et livrés au public que quelques années plus tard. Sainte-Beuve seul avait pu jadis les parcourir (2), pendant que M. de Sinner les détenait. Ce fait explique l'importance capitale de l'article qu'il publia

(1) Nous tenons ce détail de l'obligeance de l'un des neveux du célèbre Vieusseux.

(2) Sainte-Beuve souligna au crayon les passages qui l'intéressèrent nous avons mis entre crochets les phrases ainsi désignées.

dans la Revue des Deux-Mondes du 15 septembre 1844: cet article, plein de renseignements inédits, a servi comme de point de départ à presque toutes les études sur Leopardi qui ont paru jusqu'à ce jour.

On peut diviser les manuscrits en deux catégories : ceux qui ont trait à la philologie, et ceux qui ont un caractère plus particulièrement littéraire et biographique. Nous avons lu les premiers avec le plus grand soin, et nous n'y avons rien trouvé qui se rapportât à la philosophie et à la poésie de Leopardi, c'est-à-dire à notre sujet. Beaucoup de ces notes, transcrites avec un soin minutieux sur de petits fragments d'un papier grossier, témoignage éloquent de la pauvreté de Leopardi, sont très-courtes et n'ont pour objet que d'expliquer une expression ou une phrase antique: on n'en saurait trop louer la clarté et la concision, ces deux qualités qui se rencontrent à un si haut degré dans les excellentes annotations du Pétrarque (1). Nous publions plus loin, à titre de renseignement, une de ces notes, et nous donnons également le catalogue des manuscrits de Leopardi. Si jamais on se décide à publier en Italie toutes ces schedulæ, comme disait Leopardi, on sera frappé de rencontrer, au milieu de remarques peu intéressantes ou devenues banales, des vues d'une grande nouveauté pour l'époque : ainsi des observations sur la latinité de Celse, rapprochées du paragraphe xv des Pensieri que nous donnons à l'appendice, montrent que Leopardi avait presque deviné la théorie qui fait naître les langues romanes du latin rustique ou populaire

Les manuscrits qu'on peut appeler littéraires et biographiques comprennent 18 lettres à M. de Sinner, des ébauches de poésies et des pensées classées sous ce titre par M. de Sinner : « Supplementum ex variis: Pensieri. » Ce supplementum n'est pas de la main de Leopardi, mais d'un copiste de M. de Sinner qui hésite et tâtonne plus d'une fois,

(1) Rime di Francesco Petrarca, con l'interpretazione di Giacomo Leopardi, 4e édition, Florence, Le Monnier, 1854. La première édition avait paru en 1826, à Milan, chez Stella. Cf. Studi filologici, p. 297.

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comme le montrent certaines ratures, certains vides remplis après coup et par une autre main. Il comprend 6 pages 1/2 grand in-8, portant les numéros 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35. Les 28 premières pages manqueraient donc. Quelle était l'étendue du supplementum? Était-ce celle du portefeuille dont M. de Sinner parle dans sa note justificative? Voici en effet, au paragraphe xi, une note où l'on renvoie à la page 3441. Mais de qui est cette note? De Leopardi ou de M. de Sinner? Tout est obscurité dans cette affaire du manuscrit des Pensieri. Nous avons déjà fait remarquer l'invraisemblance de ce chiffre 4440 que rappelle, dans cette note, le chiffre 3441. On dirait que M. de Sinner a voulu exagérer la grosseur du zibaldone, afin de rendre plus invraisemblable qu'il eût pu le perdre, si on le lui avait confié.

Ce supplementum renferme des pensées de l'adolescence de Leopardi aussi bien que de son âge mûr. La première pensée, sur l'immortalité de l'âme, se rapporte évidemment à l'époque où il écrivait l'Essai sur les erreurs. Les autres ont un caractère plus littéraire, mais partent d'un esprit déjà mûr: on lira avec intérêt les jugements sur la poésie d'Anacréon et sur celle de Monti : la critique italienne avait rarement atteint cette finesse et cette mesure, que n'ont pas dépassées les écrivains de l'Italie contemporaine.

Nous n'avons pas à parler ici des ébauches de poésie, que nous étudions plus loin, et les 18 lettres à M. de Sinner sont surtout, en général, des documents à l'usage de ceux qui voudront compléter la biographie de Leopardi. Elles comblent une lacune considérable de l'Epistolario, qui est presque muet sur les dernières années de la vie du poète. Elles présentent en outre cet intérêt que Leopardi s'y exprime avec plus de liberté que quand il écrit à sa sœur ou à ses compatriotes. Nous y trouvons par exemple sur Tommaseo un curieux et injuste jugement que nous n'aurions pas osé publier du vivant de ce grand citoyen. Il était alors secrétaire et rédacteur de l'Antologia, et Leopardi l'avait connu chez Vieusseux. C'est la seule personne que Leopardi paraît avoir haïe, et on ne sait pas quel fut le motif de

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