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avec ses hésitations et ses tâtonnements, vaut parfois mieux que les stériles copies des anciens styles. La rareté, selon Fechner, étant un des principes du beau, M. Lalo observe qu'il est heureux pour la gloire des tragiques grecs que nous ne possédions que quelques restes de leur génie ; si nous avions conservé les multiples œuvres de chaque tragique, la grandeur de leur art en serait quelque peu atteinte.

Que faut il entendre par sentiments d'harmonie ? L'harmonie des éléments d'une technique : elle réside dans l'usage rationnel de ces éléments préétablis, qui leur fait rendre avec supériorité le plus qu'ils peuvent donner. L'harmonie complexe dont se compose en grande partie la valeur d'une œuvre d'art, conclut M. Lalo, comporte des. conditions abstraites et subordonnées, d'ordre mathématique, physiologique et psychologique, mais ne se complète que par les conditions d'ordre sociologique, qui seules la rendent concrète, en faisant à chaque moment participer sa vie au devenir incessant dont se forme l'évolution de toutes choses humaines.

M. Lalo consacre le dernier chapitre à la conscience esthétique. Il distingue en effet trois formes normatives de la conscience humaine : la conscience morale, la conscience esthétique et la conscience scientifique. Elles sont toutes solidaires, mais non identiques; elles sont seulement parallèles. Aucune de ces activités ne saurait efficacement suppléer aux deux autres, chacune étant douée de qualités scientifiques. «Beauté, vérité et moralité ont chacune leurs caractères particuliers; on ne les confond que pour nuire à la fois aux trois. »

Nous avons tâché de résumer fidèlement, mais un peu longuement, la théorie du savant philosophe. Faut-il tout admettre? Nous ne le croyons pas. Quelques pensées nous semblent inadmissibles. Telle, la suivante : « Le vrai croyant ne voit pas la beauté des images pieuses, il ne voit que leur piété. Ce n'est pas en qualité de croyant qu'il les admire; et pour le faire, malgré lui il se dédouble, quitte à chercher avec sa conscience des accommodements. » Telle encore, celle-ci : « C'est une utopie que de vouloir créer un art populaire et sans luxe, qui se confondrait avec la vie même du peuple. » Faut-il davantage partager ces opinions : « Une copie du colossal Moïse de Michel-Ange est simplement ridicule, installée en miniature sur une cheminée de nos salons.» « La vérité n'est pas belle par elle même, mais par une qualification extrinsèque, et comme par un reflet de l'art. » Son jugement excessif sur l'art est également à signaler: « Presque universellement, dès qu'il est vraiment lui-même, l'art prend pour objets de prédilection les sentiments sexuels. » Et plus loin : « L'art est une sorte de lieu de refuge, où le criminel, devenu

chose sacrée, peut étaler ses crimes, pourvu qu'il nous les montre en beauté... Des actions immorales trouvent une certaine excuse en devenant belles. » Pour finir, relevons ce passage sur les hommes de génie « Êtres anormaux par leur fonction même, hétérogènes dans leur milieu bien que nécessaires à lui, ils ont quelque raison de prétendre que la règle de leur vie ne peut pas, ne doit pas être celle de tout le monde. Exception redoutable, certes; mais qui rencontre sa limite naturelle dans le nombre extrêmement restreint des grands génies nécessaires, qui ont le droit, le devoir même, d'imposer à l'humanité leurs manières individuelles de voir et d'agir. » Malgré ces remarques, nous pouvons recommander l'ouvrage de M. Lalo; initiés ou profanes en matière d'art y apprendront beaucoup, et tous le liront avec plaisir. J. FLEURIAUX.

197. J. Delvolvé, Rationalisme et tradition. Recherches des conditions d'efficacité d'une morale laïque. Paris, Alcan, 1910.

« Le but que j'ai poursuivi, écrit M. Delvolvé en terminant son livre, est d'apporter quelque contribution à la réforme, qui devra faire passer la morale laïque, vis-à-vis des formes confessionnelles d'éducation, à l'état d'indépendance réelle et de supériorité pratique. Je me suis borné à chercher pour la libre morale le moyen d'entrer en possession des vérités de pratique, où puisent tout ce qui leur reste de force, les anciennes disciplines d'autorité...» Les morales laïques, telles que les exposent les manuels, qui se succèdent combien vite! - dans l'enseignement français, ont ce défaut capital de proposer, des divers préceptes moraux, une justification rationnelle, distincte, propre à chacun d'eux, sans les rattacher à un précepte fondamental sur lequel toute la morale se fonde et qui en assure l'efficacité. Elles ne s'inquiètent pas des tendances psychologiques des individus humains auxquels elles s'adressent, et ne cherchent pas à mettre en relation le principe essentiel sur lequel toute l'éthique devrait reposer, avec les besoins et les orientations profondes de l'homme. A ce prix, seulement, elles pourraient être efficaces... Une doctrine morale éducative est un système de notions soutenant un système de tendances, comme le squelette soutient un organisme vivant; notre morale laïque, en général, s'acharnant à l'analyse, aligne savamment des ossements détachés ». La morale catholique, elle, vérifie les conditions qui rendent les préceptes moraux agissants. Elle groupe tous les devoirs autour d'un centre : l'idée de Dieu, qui, par l'obéissance et l'amour, fait réaliser le devoir. Aussi, pour M. Devolvé, afin de permettre aux morales laïques, de supporter la concurrence avec avantage, il s'agit de découvrir un

équivalent à l'idée de Dieu, tout comme Guyau recherchait des équivalents de l'obligation. Il faut découvrir un principe n'ayant pas le même contenu que l'idée de Dieu, tout en gardant son action efficace sur l'agent moral. Et M. Delvolvé croit l'avoir trouvé dans une conception panthéiste qui nous fait vivre de la vie de l'Univers et nous subordonne à lui comme le théisme nous subordonne à Dieu.

Dans cet ouvrage, la pars destruens est excellente. Les critiques que M. Delvolvé adresse aux morales laïques, sont d'un homme clairvoyant que les tirades des politiciens n'illusionnent pas. Venant d'un esprit indépendant et vivant dans les milieux universitaires français, elles ont, il faut le reconnaître, un certain poids. Quant à la pars aedificans, je crains que M. Delvolvé n'ait, au sujet de sa valeur pratique, quelques illusions les illusions de tout inventeur. Pense-t il vraiment que l'univers conçu à la manière panthéiste, puisse exercer sur l'activité humaine, le même efficace que la notion du Dieu, principe et fin de toutes choses, le monde et l'âme humaine : « l'évolution vers des fins pleinement aimées, écrit-il, est un équivalent pratique de la perfection actuelle : le fieri plus réellement peut-être que l'esse, est objet d'amour, mobile d'action, stimulant d'énergie ». Mais dans cet univers qui se fait et dont notre individualité est une apparition éphémère, il n'y a ni une Pensée infinie, ni une Volonté parfaite, ni un Créateur sujet de droits absolus, ni un Amour sans bornes. Et c'est à ce quadruple titre que Dieu est, en même temps que la base de l'obligation, le principe de l'efficacité du devoir. Le panthéisme de M. Delvolvé est loin de donner un équivalent d'une idée-force telle que celle-là.

Au surplus, dans cette conception panthéiste, n'est-il pas légitime de se considérer comme plus parfait que l'univers aveugle où nous sommes plongés nous sommes le « roseau pensant ». Et, par suite, nous devons considérer notre pensée propre et notre intérêt personnel comme supérieurs en droits. L'Univers n'a point à nous commander, c'est à nous de nous le soumettre, de nous subordonner les activités et les forces qui s'agitent en lui. Le fondement du devoir ei de la pratique morale est singulièrement faible chez M. Delvolvé: car de fin suprême, le voici qui devient moyen. Et nous sommes ainsi ramenés à la morale de l'intérêt personnel, c'est-à-dire pratiquement à l'immoralisme, à quoi les morales laïques nous acheminent. ED. JANSSENS.

198. Mgr Baunard, Le vieillard. La vie montante. Pensées du soir. Paris, Gigord (Poussielgue), 1911. 1 vol. in-8° de vi-508 pp. Voici un livre admirable, écrit avec l'âme tout entière, comme

aurait dit Ollé Laprune. C'est la méditation d'un vieillard qui, au soir de sa vie, se recueille pour noter ce qu'une longue expérience des hommes et des choses inspire à son esprit et à son cœur. Quand on ferme le livre, on a l'impression que les considérations qu'il fait valoir pour établir que la vieillesse n'est pas un déclin, mais une ascension et une vie montante, que ces considérations sont superflues chez l'écrivain de ce livre qui témoigne d'une intelligence singulièrement pénétrante et sûre d'elle-même, d'un cœur singulièrement sensible et fécond en sympathies et l'on se prend à penser que Mgr Baunard est l'illustration vivante de ce mot profond de M. Bergson: «maturité et vieillesse ne sont, à proprement parler, que des attributs de mon corps; c'est par métaphore que je donne le même nom aux changements correspondants de ma personne consciente. >>

On dira peut-être que Mgr Baunard a quelque chose du laudator temporis acti, et l'on alléguera la sévérité des jugements qu'il porte sur les hommes et les choses du temps présent. L'on dénoncera peut être aussi la prolixité de certaines de ces études. Nous n'y contredirons pas, mais nous ferons remarquer que cet admirateur d'un autre âge a connu un âge meilleur à beaucoup d'égards, aux égards qui concernent le croyant convaincu, le patriote sincère qu'est Mgr Bau. nard, et nous dirons aussi qu'il est, par sa formation intellectuelle et morale d'un temps dans lequel on trouvait, comme il le dit lui-même, plus de dignité et certainement plus de bonheur. « Il y avait autrefois... plus de poésie dans les âmes, plus de politesse dans les mœurs, plus de charme dans les relations, plus d'enthousiasme dans les cœurs .. Combien la vie était plus délectable avant d'être emportée par le tourbillon et secouée de ces convulsions et de ces épouvantes. >>

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Le tourbillon qui nous emporte nous a fait changer de mesure; tout ce qui n'est pas la hâte et la concision que notre vie déjetée et trépidante nous impose dans l'expression de nos idées et de nos sentiments est pour nous de la prolixité. Nous ne comprenons plus le charme de la méditation que l'on fait la plume à la main; nous ignorons les délices de la flânerie intellectuelle. Or, voici un penseur qui a beaucoup lu, beaucoup appris, et qui réfléchit. Et ce qu'il nous livre ce n'est pas seulement l'indication des aboutissants de cette réflexion théories ou conseils, c'est aussi la description des étapes que cette réflexion parcourt et des objets sur lesquels elle porte,

Le livre de Mgr Baunard est bien exactement cela : le fruit de lạ réflexion d'une âme riche d'idées, d'expérience, de sentiments. C'est

pourquoi ce livre est utile à d'autres encore qu'aux « frères » auxquels il s'adresse. Les jeunes y trouveront peut-être moins d'intérêt que ces frères puisqu'ils ne sont plus de la génération de celui qui la raconte ; ils ont d'autres idoles et de nouveaux ennemis. Mais ce que les uns et les autres y trouveront c'est l'exemple d'une vie admirable -- idéal pour le jeune, modèle pour le vieillard dont l'autorité s'accroît de la valeur d'une intelligence dont les années n'ont fait qu'accroître la richesse et dont la séduction se renforce de la beauté d'une langue qui a su respecter la tradition du génie français jusque dans sa forme.

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Ce livre aura-t-il raison du préjugé si tenace à l'endroit de la valeur intellectuelle du vieillard? On estime qu'on n'en peut faire de plus bel éloge qu'en disant qu'elle est dans les vieux jours ce qu'elle était dans l'âge mûr. Or voici qu'un vieillard achève sa carrière en affirmant et en prouvant que la vieillesse a été pour lui une ascension, un accroissement de cette valeur intellectuelle. On expliquera sans doute de diverses manières cette exception aux lois générales de la vie. Quant à nous, nous pensons que la raison n'en peut se trouver dans la discipline qu'exerce sur une àme l'idéal religieux disque cipline qui non seulement réalise constamment son effort vers la perfection, mais qui la prépare peut-être à recevoir des lumières inconnues qui annoncent pour elle l'aube de l'au-delà.

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PAUL NEVE.

199.- Eug. Bernier, Coups d'ail métaphysiques. Édition transformée. Paris, Henri Falque, 1910. I vol. in-8° de x11-298 pp. Sans doute, il n'est pas défendu aux poètes de porter leurs regards du côté de la philosophie, mais ce serait une illusion de croire qu'ils gagneront à son contact plus qu'une certaine coloration dans l'inspiration ou une certaine ordonnance dans la verve. On pourra parler à leur sujet de poésie philosophique ; ce ne sera jamais de la philosophie.

M. Eugène Bernier est la victime de cette illusion. Il a eu le tort de croire que ses « coups d'œil », pour métaphysique que soit l'objet sur lequel il les jette, sont devenus métaphysiques. La critique que nous formulons ici n'est pas seulement une chicane préliminaire au sujet du titre ridicule que porte le livre de M. Bernier; il s'agit du livre tout entier. Si nous n'étions que bienveillant, nous dirions que ce n'est pas là œuvre de philosophe et nous passerions, en saluant le talent du poète. Mais la livrée philosophique dont M. Bernier a revêtu son travail nous force à dire plus complètement notre pensée. Assurément tout n'est pas mauvais dans ce livre; les coups d'œil

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