Immagini della pagina
PDF
ePub

TROISIÈME PARTIE.

L'IMMORTALité.

CHAPITRE PREMIER.

PREUVES DE L'IMMORTALITÉ DE L'AME.

«L'immortalité de l'âme est une chose qui nous importe si fort, qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indiffé – rence de savoir ce qui en est. >>

Pensées de Pascal, art. IX, éd. Havet, p. 133.

Il en est de l'immortalité de l'âme comme de l'existence de Dieu. Depuis que la philosophie existe, on s'est efforcé de démontrer par les meilleurs arguments possibles, que cette vie terrestre n'est qu'un épisode dans notre vie, et qu'après la tragédie qui la termine, nous devons nous trouver pour la première fois en véritable possession de nous-mêmes. Il est tout simple que les vérités les plus importantes soient celles que l'esprit humain a étudiées et approfondies

les premières. Celle-ci est au premier rang avec l'existence de Dieu, la liberté et le principe de la justice. Pour ne pas parler de l'Orient dont l'histoire reste enveloppée d'obscurité, aussi haut qu'on remonte dans la philosophie grecque on voit les écoles partagées sur ces grands problèmes. Déjà, dans les disciples immédiats de Pythagore, lorsque la pensée humaine ne faisait pour ainsi dire que de s'éveiller, on est surpris de rencontrer des doctrines qui ne demandent qu'un peu plus de précision pour prendre définitivement place dans la science. Socrate, qui se montra toujours préoccupé de l'utilité pratique de la philosophie, ne pouvait manquer d'appliquer toutes les forces de son génie, à la fois hardi et prudent, à l'élucidation de ces trois ou quatre problèmes dont la destinée humaine dépend tout entière. Telle était, à cette époque, l'activité de l'intelligence chez les Grecs que la doctrine de l'immortalité de l'âme se trouve presque achevée dans le Phédon. On y trouve déjà, avec les formes d'une dialectique pressante et serrée, toutes les démonstrations de ce dogme capital; toutes les objections y sont prévues et réfutées; et, résultat peut-être plus surprenant encore, Platon sépare avec force la démonstration de l'immortalité de l'âme, de la seconde partie du problème, qui roule sur la nature et les conditions de cette immortalité; il montre que la démonstration de l'immortalité de l'âme appartient irrévocablement à la science, tandis qu'on est condamné, peut-être pour toujours, à des tâtonne

ments sur le reste du problème; et, tout en donnant cette preuve de bon sens supérieur, il jette sur ce monde inconnu, que nous ne pouvons ni cesser de rêver, ni achever de connaître, les vives lueurs de son génie.

Cette perfection des résultats obtenus pour ainsi dire du premier coup, sur cette question et sur quelques autres, est une des objections qu'on a coutume de faire contre la philosophie. Elle n'a plus, dit-on, rien de nouveau à nous apprendre; elle se traîne sur des lieux communs. Plût à Dieu qu'un tel reproche fût fondé! Il est heureusement vrai que, sur quelques points, et l'immortalité de l'âme est de ce nombre, la philosophie est une science faite. Que ne dirait-on pas, s'il en était autrement, de la stérilité d'une science qui, après plus de deux mille ans, ne serait même pas parvenue à nous éclairer sur la durée de notre être! La Providence nous a en quelque sorte donné une force particulière pour la solution des problèmes qui nous importaient le plus, et elle a livré le reste en pâture à notre curiosité. C'est pour cela qu'il ne peut guère être question aujourd'hui d'ajouter quelque chose aux preuves de l'existence de Dieu, de l'immortalité de l'âme, de la liberté humaine; on ne doit même pas se flatter de donner aux démonstrations une netteté et une précision supérieures. Il ne nous reste qu'à marcher pieusement sur les traces de nos devanciers, en nous félicitant de trouver la route toute tracée et toute battue. Le vrai philosophe ab

horre l'originalité; il ne se résigne qu'en tremblant à être seul. Il faut qu'il soit toujours prêt à rompre en visière à la tradition et à l'autorité, si l'évidence de la raison l'y contraint; mais il faut surtout qu'il désire toujours avec passion de n'avoir pas à subir cette redoutable nécessité.

En disant que la démonstration de l'immortalité de l'âme est achevée, et que la science n'a plus de progrès à faire sur ce point, nous ne voulons pas assimiler cette démonstration à celles, par exemple, de la géométrie, qui forcent l'assentiment des esprits les plus rebelles. Aucune démonstration historique ou philosophique ne peut avoir le caractère d'évidence particulier aux sciences déductives; et l'une des raisons qui propagent le scepticisme, c'est qu'on s'habitue trop souvent à demander à une science un genre de lumière qu'elle ne peut donner. La grande importance du résultat concourt d'ailleurs à rendre les adhésions difficiles; ce n'est pas peu de chose que d'établir par un raisonnement que notre âme est immortelle, cela vaut la peine d'y regarder à deux fois, et de rechercher avec soin si les raisonnements sont solides et les objections réfutables. On se montrerait moins difficultueux s'il ne s'agissait que de l'égalité de deux angles opposés par le sommet.

Ajoutons encore ceci : les raisonnements spéciaux qui servent à établir ces grandes vérités fondamentales ne doivent être pris que comme le résumé d'une

doctrine. Quand bien même ils n'auraient pas la force que l'école leur attribue, on ne serait pas en droit pour cela de douter des principes qu'ils sont destinés à établir. Ces principes ont une solidarité étroite avec l'ensemble d'une doctrine, et ne peuvent subsister ni périr qu'avec cette doctrine tout entière. Là est la véritable utilité des systèmes dont le vulgaire s'effraye à tort. Si une philosophie enchaîne ses diverses parties, l'existence de Dieu, la Providence, la liberté, l'immortalité de l'âme, le principe de la justice, de telle sorte qu'elles se supposent l'une l'autre, et que l'on ne puisse en supprimer une, sans renoncer à tout le reste, tous ces dogmes trouvent dans cette solidarité une force, une consistance que ne leur donneraient jamais les raisonnements les plus inattaquables. Je crois invinciblement à l'immortalité de l'âme, parce que je ne puis renoncer à y croire sans renoncer du même coup à tout ce que je crois.

Ne dédaignons pas cependant de passer en revue les arguments de l'école. Le plus ferme croyant a ses moments de langueur et de doute. Ces formules précises, dans lesquelles vient se concentrer une croyance, ont au moins la vertu de la rendre en quelques instants présente à l'esprit.

La première bataille qu'il faut gagner contre le doute se livre sur un autre terrain; car il n'est permis de parler d'immortalité que quand l'immatérialité est démontrée. Tout ce qui est corps est mortel.

« IndietroContinua »