Immagini della pagina
PDF
ePub

TESTIMONIUM

AD L. ANNEI SENECE LIBRUM

DE CONSOLATIONE AD HELVIAM.

HELVIA était mère de Sénèque. Elle resta orpheline presque en naissant, et passa sous l'autorité d'une belle-mère'. Quelque indulgence qu'on suppose dans une belle-mère, ce n'est pas sans difficulté qu'on parvient à lui plaire. Un oncle qui la chérissait lui fut enlevé au moment où elle l'attendait, les bras ou

verts, à son retour d'Égypte : dans le même mois elle perdit son époux. L'absence de ses enfans la laissa seule sous le poids de cette affliction. Sa vie n'avait été qu'un tissu d'alarmes, de périls et de douleurs, lorsqu'elle recueillit les cendres de trois de ses petits-fils, dans le même pan de sa robe où elle les avait reçus en naissant. Vingt jours s'étaient écoulés depuis les funérailles du fils de Sénèque, lorsque le père fut séparé d'elle par l'exil. Ce dernier événement est le sujet de la Consolation.

Cet ouvrage, écrit dans la situation la plus cruelle et la contrée la plus affreuse, est plein d'ame et d'éloquence. Le beau génie et l'excellent caractère du philosophe s'y développent en entier. Il s'y montre sous une multitude de formes diverses : il est érudit, naturaliste, philosophe, historien, moraliste, religieux, sans s'écarter de son sujet. On ne saurait s'empêcher d'accorder de l'admiration et de l'estime à l'homme sensible qui réunit tant de vertus et tant de talens.

' Matre tantum orbata erat; nam hoc ipso de Consolatione libro Helviæ pater memoratur, illamque vivere obtestatur Noster ut patris senectutera foveat.

C'est parce que tout serait à citer de ce bel écrit, que j'en citerai peu de chose. Sénèque dit à sa mère :

"

J'espère que vous ne refuserez pas à un fils à qui vous n'a» vez jamais rien refusé, la grâce de mettre un terme à vos >> regrets. »

« Vous me croyez malheureux ; je ne le suis pas, je ne puis » le devenir. »

« Je ne me suis jamais fié à la fortune tous les avantages » que je tenais de sa faveur, les richesses, les honneurs, la gloire, je les ai possédés de manière qu'elle pût les reprendre » sans m'affliger ; j'ai toujours laissé entre elle et moi un grand » intervalle.

[ocr errors]
[ocr errors]

Si cela n'eût pas été vrai, comment aurait-il eu le front de le dire à sa mère? Et Helvia n'aurait-elle pas été dans le cas de lui répondre Mon fils, vous mentez?

«En quelque lieu que l'homme de bien soit relégué, il y » trouve la nature, la mère commune de tous les hommes, et sa » vertu personnelle.

[ocr errors]

» Dé tous les points de la terre, nos regards se dirigent éga»lement vers le ciel, et le séjour de l'homme est à la même » distance de la demeure des immortels.

[ocr errors]

«Est-on inalheureux dans un exil vers lequel on attire les » regrets des citoyens vertueux? Le beau jour pour Marcellus » exilé, que celui où Brutus ne pouvait le quitter, et César » n'osa l'aller voir! Brutus était affligé, et César honteux de » revenir sans Marcellus.

>>

[ocr errors]

« Un grand homme debout est encore un homme grand à

» terre. »

L'homme a un penchant naturel à se déplacer.... » Je ne le pensé pas; cette maxime contredit et les philosophes et les poètes, qui tous ont unanimement reconnu et préconisé l'attrait du sol. Ainsi que tous les animaux, l'homme ne s'éloigne du lieu de sa naissance que d'un assez court intervalle cet intervalle est limité par ses besoins et par ses forces; il le mesure sur la fatigue du retour. Il ne quitte son berceau que quand il

:

en est chassé. Le lièvre et le cerf, qui vont si vite, changent rarement de forêt; l'aigle plane presque toujours au-dessus des mêmes montagnes. Le sol rappelle l'homme des pays lointains, où l'intérêt ne l'a point transporté sans l'arracher des bras de son père, de sa mère, de ses frères, de sa femme, de ses enfans, de ses concitoyens : il s'est retourné plus d'une fois ; ses mains se sont portées, ses yeux baignés de larmes se sont fixés vers la ville, sur le rivage qu'il venait de quitter.

Sénèque ajoute : « De vos enfans, l'un est parvenu aux dignités par son mérite; la sagesse de l'autre les a dédaignées : » jouissez de la considération de celui-là, du loisir de celui-ci, de la tendresse de tous deux. Gallion a recherché la grandeur » pour vous honorer; Méla, le repos, pour n'être qu'à vous. » Le sort a voulu que l'un vous servît d'appui, l'autre de con» solateur. Vous êtes défendue par le crédit du premier ; vous » jouissez de la tranquillité du second : ils disputeront de zèlé, » et l'amour des deux suppléera à la perte d'un seul. »>

[ocr errors]
[ocr errors]

"

Le sexe n'est point une excuse pour celle qui n'en montra jamais aucune des faiblesses. »

Et Sénèque n'est pas pathétique, lorsqu'il fait dire à Helvia : « Je suis privée des embrassemens de mon fils ! je ne jouis plus » de sa présence, de sa conversation. Où est-il, le mortel chéri » dont la vue dissipait la tristesse de mon front, dont le sein » recevait le dépôt de mes inquiétudes? Que sont devenus ces » entretiens dont je ne sentis jamais la satiété ? ces études auxquelles j'assistais avec un plaisir si rare dans une femme ? Et » cette tendresse qu'on laissait éclater à ma rencontre, cette joie ingénue qui se déployait à mon approche, je lá cherche, » et je ne la trouve plus.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Et Sénèque n'est pas pathétique, lorsqu'il ajoute : « Vous » revoyez les lieux témoins de nos caresses et de nos repás! » ce dernier entretien, si capable de déchirer une ame, vous vous » le rappelez. Combien vous souffrites! combien vous ávieź souffert jusqu'à ce moment ! C'est à travers des cicatrices que » votre sang a recommencé de couler, »

[ocr errors]

>>

Et Sénèque n'est pas pathétique, lorsqu'il continue « Tour» nez vos yeux sur mes frères ! tant qu'ils vous resteront, vous » sera-t-il permis de vous plaindre de la fortune?... Tournez » vos yeux sur vos petits-enfans: quelles larmes ne suspen>>draient pas leur innocente gaieté ? quelle tristesse ne céde» rait pas à leurs jeux enfantins?... Puisse la cruauté du destin s'épuiser sur moi seul, victime expiatrice pour toute ma fa» mille !... Sérrez entre vos bras Novatilla..... Songez à votre père: tant que votre père vivra, ce serait un crime à sa fille » de croire qu'elle a trop vécu....... Je ne vous parlais pas » de votre sœur. C'est sur ses genoux que je suis entré dans >> Rome; ce sont ses soins maternels qui m'ont conservé la » vie ; c'est son crédit qui m'a conduit à la questure. Jetez vos » bras autour d'elle, réfugiez-vous dans son sein.............. Je sais » que vos pensées reviendront souvent sur moi, parce qu'il est naturel de porter la main à la partie douloureuse; mais, sur » ce que vous connaissez de mes principes et de l'emploi de » mes journées, jugez si je puis être malheureux. »

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Je ne m'aperçois de la pauvreté que par l'absence des soins » que la richesse entraîne..... Quand les sermens furent-il respectés? Ce fut au tems où l'on jurait par les dieux d'argile......... » Lequel des deux estimerai-je davantage, ou de celui qui sait » vivre d'un morceau de pain, ou de César, qui dépense en un » souper cent millions de sesterces?.... Tout se fait à tems. » C'est lorsque Apicius donne aux citoyens des leçons publiques » de gourmandise, que les philosophes sont chassés de Rome... Apicius se trouve indigent avec dix millions de sesterces, et » se tue. Peu de chose suffit à la nature, rien ne suffit à la cu» pidité. La nature a rendu facile ce qu'elle a rendu néces

[ocr errors]

» saire. »

Lorsque je commencai cet ouvrage, ou plutôt mes lectures, je ne me proposai pas seulement de recueillir quelques-unes des belles pensées de Sénèque ; j'avais encore le dessein d'y joindre les anecdotes historiques qui rendent ses ouvrages si intéressans et si précieux,

C'est dans cette Consolation à Helvia, si je ne me trompe, qu'il raconte que, dans la foule des citoyens qui gémissaient sur le sort d'Aristide, que l'on conduisait au supplice, il y eut un impudent qui lui cracha au visage. Phocion essuya la même avanie ; d'où je conclus que la populace d'Athènes était plus vile que la nôtre. On ne t'aurait pas fait la même insulte, à toi, ô le plus haï, le plus méprisable et le plus méprisé des hommes ! Je ne te nomme pas, mais tu te reconnaîtras, si tu me lis.... Tu rougis, tu pâlis! tu t'es reconnu.

L'histoire ancienne, qui nous entretient sans cesse de grands personnages, attache si rarement nos regards sur la multitude, que nous ne l'imaginons pas, dans les tems passés, aussi grossière, aussi perverse que de nos jours: peu s'en faut que nous ne croyions qu'on ne traversait pas une rue d'Athènes sans être coudoyé par un Démosthène ou par un Cimon. Et l'avenir pourrait bien croire, à moins que l'esprit philosophique ne s'introduise à la fin dans l'histoire, qu'on ne traversait pas une rue de Paris sans coudoyer un Necker, un Malesherbes ou un Turgot.

Sénèque n'aurait laissé que ce morceau, qu'il aurait droit au respect des gens de bien et à l'éloge de la postérité. Lorsqu'il s'occupait des chagrins de sa mère, il était bien plus à plaindre qu'elle.

FINIS LIBRI DE CONSOLATIONE AD HELVIAM.

« IndietroContinua »