Immagini della pagina
PDF
ePub

abattit ses adversaires, comme elle fit des Gracques, soit qu'elle les achetât, comme elle fit de Carbon; cette faction, dis-je, s'assura des chevaliers par la communauté d'intérêts, des tribuns et du peuple par la corruption ou l'intimidation, et finit, tout en paraissant respecter les formes anciennes, par substituer au pouvoir du peuple le pouvoir du sénat, c'està-dire le sien.

Dès le milieu du sixième siècle on peut étudier le déclin des anciennes institutions et du vieil esprit romain. Scipion, malgré l'auréole de gloire qui l'entoure, est un citoyen dangereux et ennemi de la constitution, comme furent plus tard Sylla et Pompée. Sa pensée n'allait pas sans doute à l'empire; mais le vainqueur de l'Afrique, qui dès sa jeunesse ne se sentait à l'aise qu'au milieu des légions où il vivait en souverain (1), ne pouvait plus souffrir les gênes de la constitution, et quand le peuple, dont il avait été l'idole, lui demanda compte de son administration, il préféra s'exiler que de répondre : Major animus, dit Tite-Live, et natura erat ac majori fortunæ assuetus, quam ut reus esse sciret, et submitteret se in humilitatem causam dicentium (2). Il y a loin de ce dédain aristocratique à la vertu du vieux Caton, qui, accusé quarante-quatre fois et toujours acquitté, ne s'effraya jamais de cette susceptibilité populaire sans laquelle une démocratie n'est pas possible (3). Scipion ne fut pas le seul à se plaindre de l'importunité des lois. Toute la noblesse s'irrita comme lui d'entraves devenues insupportables pour leur orgueil. Scipion s'exilait et ne se vengeait du peuple, qui le poursuivait, que par un mépris su

[blocks in formation]

perbe ; ceux qui vinrent après lui poussèrent plus loin les choses et détruisirent la constitution. Cette lutte de la noblesse et du peuple dura jusqu'à l'empire; le sénat voulut prendre la haute main dans la distribution des commandements et dans les jugements, ce qui rendait la responsabilité des magistrats tout à fait illusoire; les tribuns, de leur côté, par des mobiles divers, essayèrent de mettre à la raison et les magistrats et le sénat même. Ce fut sur ce terrain qu'on combattit pendant tout le septième siècle; c'est la lutte que nous allons étudier et qui fait l'objet principal de ce livre. Elle porta, en effet, tout entière sur les moyens d'empêcher les brigues et les violences des candidats à Rome, leurs rapines, leurs extorsions, leurs cruautés dans les provinces. La lutte se compliqua de la question du droit de cité, des besoins du peuple, des ambitions personnelles et de la corruption générale; mais le fond de la querelle porta sur les lois criminelles destinées à modérer le pouvoir du sénat et à assurer la responsabilité des magistrats. Tous ces hommes dont nous admirons le génie, même en le maudissant, les Scipion, les Caton, les Gracques, les Marius, les Sylla (4), les Cicéron, les Hortensius, les Pompée, les César, se disputèrent la puissance dans le Forum, non moins que dans les comices. Les guerres civiles ne furent que l'explosion de mécontentements accumulés, de rivalités longtemps contenues; mais avant d'en venir aux armes on s'était longtemps taté sur le Forum, on avait longtemps essayé

(1) Tac. Ann. xi, 60. Claudius (procuratoribus suis) omne jus tradidit, de quo toties seditione aut armis certatum, cum Semproniis rogationibus equester ordo in possessione judiciorum locaretur, aut rursum Serviliæ leges senatui judicia redderent, Mariusque et Sylla olim de eo vel præcipue bellarent. -Cic. Phil. vIII, 2, '

7.

de supplanter ses rivaux par des lois et des accusations criminelles, et quand César passa le Rubicon, il fit cette tentative désespérée, moins peut-être par ambition du souverain pouvoir que par crainte du sort de Milon dont Caton le menaçait (1).

Au milieu de cette agitation, les lois criminelles ne furent qu'une arme aux mains des partis, et ce serait en vain que le jurisconsulte chercherait dans cette confusion le triomphe de quelque grand principe de justice ou d'humanité. Aussi ces lois, toutes politiques, ne s'expliquent-elles que par l'histoire, et n'ont de physionomie qu'autant qu'on ne les détache de l'ensemble du tableau. Elles y peuvent pas prendre la première place quand on veut en faire une étude spéciale, mais on ne peut les en séparer entièrement; car, isolées, elles n'ont plus de caractère ni de sens. Ni les Gracques, ni Sylla, ni César n'essayèrent de réaliser une réforme des lois criminelles dans le sens que nous attachons aujourd'hui à ce mot; l'amélioration des mœurs publiques, la répression des crimes, n'entraient dans leur plan qu'indirectement et en second lieu. Caius Gracchus, dans un projet qui accuse une profondeur de vues admirable et qui fait de son auteur une des plus fortes têtes de l'antiquité, Caius Gracchus voulut fonder une classe moyenne, relever le peuple épuisé, li

(1) Suétone, Cæsar, c. 31. Alii timuisse dicunt, ne eorum quæ primo cousulatu adversus auspicia, legesque et intercessiones gessisset, rationem reddere cogeretur: cum M. Cato identidem, nec sine jurejurando denuntiaret : delaturum se nomen ejus, simul ac primum exercitum demisisset : cumque vulgo fore prædicarent ut si privatus reddidisset, Milonis exemplo, circumpositis armatis causam apud judices diceret. Quod probabilius facit Asinius Pollio, Pharsalica acie casos profligatosque adversarios prospicientem, hæc eum ad verbum dixisse referens: Hoc voluerunt: tantis rebus gestis C. Cæsar condemnatus essem, nisi ab exercitu auxilium petiissem. Appien, Guerre civile, II, 23.

miter le pouvoir du sénat, assurer la responsabilité des magistratures; toutes ces lois, qui s'éclairent l'une par l'autre, tendirent au même but. Le parti de Marius reprit les lois des Gracques dans un intérêt d'ambition; Sylla, par une réaction terrible, abattit, je ne puis pas dire le parti populaire, car il n'y avait plus de peuple romain, mais le parti qui se servait des institutions démocratiques pour combattre le parti de la noblesse qui s'appuyait sur le sénat; les réformes de Sylla, trop admirées par Montesquieu, n'étaient point viables, et ses successeurs et ses partisans furent obligés de rétablir les anciennes institutions. Sylla, ramenant la constitution aux premiers jours de la république, avait voulu rétablir dans l'État un ordre privilégié, comme autrefois celui des patriciens, en donnant au sénat la direction absolue des affaires; mais le sénat, composé des chefs de la noblesse, des hommes qui se partageaient les provinces à dévorer, le sénat, sans le contre-poids des tribuns et des tribunaux populaires, ne fut plus qu'une insupportable oligarchie. Pompée essaya quelques réformes, marquées de la timidité et de l'indécision qui font le cachet de son caractère ; César, dans son consulat, et plus tard dans sa dictature, prépara les voies à l'empire; Octave, ce grand politique, acheva ce que son père avait commencé; il anéantit les derniers vestiges des institutions républicaines, et assura au sénat une juste prépondérance, en lui confiant une part importante dans l'administration, mais limitée par la toutepuissance impériale. Ces lois, si sagement calculées qu'elles durèrent jusqu'à la chute de l'empire, eussent fait le bonheur du monde, si les successeurs d'Auguste eussent imité sa prudence et sa modération; mais le despotisme perdit tout, et le monde

n'échappa aux cruautés des proconsuls que pour être le jouet des folies et du délire impérial.

Telles furent les phases de la révolution qui détruisit la république et amena l'empire. Ces grandes querelles judiciaires sont restées incomprises tant que dans notre vie politique nous n'avons pas connu les agitations de la démocratie, et il est incroyable avec quel dédain et quelle légèreté les historiens et les jurisconsultes ont traité des questions qui ont tenu une si grande place dans l'histoire de Rome. Mais aujourd'hui les Romains sont plus près de nous. L'expérience de la vie publique, l'habitude du jugement par jurés, l'exemple d'un pays voisin, l'Angleterre, dont la constitution aristocratique offre plus d'un rapport avec la constitution romaine, nous donneront, sur le rôle qu'ont joué les tribunaux romains, des lumières que l'étude attentive des textes ne pouvait donner à des hommes plus savants que nous, mais dont les yeux n'étaient point dessillés par la pratique de la démocratie.

Ajoutons qu'une telle étude n'est peut-être pas sans utilité immédiate, et que nous entrons dans une époque où l'érudition ne doit pas gagner seule à l'étude des démocraties anciennes. Nos institutions sont sans doute fort différentes des institutions romaines; mais enfin, dans un pays libre, où la nation gouverne par ses délégués et juge par ellemême, il ne peut être sans intérêt et sans profit de savoir comment le peuple de l'antiquité considéré comme le plus parfait modèle dans l'art du gouvernement, avait réglé les pouvoirs publics et l'administration, et comment s'est pervertie une constitution qui, en peu de temps, avait élevé Rome au faite de la puissance. Une des causes principales de la décadence romaine fut, comme nous le montrerons, la

« IndietroContinua »