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peut-être et qui transmettait alors même à la seconde Renaissance les philosophies rectifiées, les produits esthétiques de la Grèce, son génie défiguré, mais reconnaissable dans sa décrépitude. Pour notre curiosité blasée par la variété des points de vue, des formes et des couleurs, par le multiple aspect des civilisations que soumet à l'analyse une érudition de jour en jour élargie et plus profonde, le tableau de cette société garde un attrait. Complexe, artificielle dans ses contrastes séniles d'obstination et de faiblesse, en ses superstitions césariennes et théologiques, elle s'impose à notre étude et offre avec l'époque présente des points de comparaison dont il ne faudrait pas abuser toutefois à notre désavantage. Produit de deux facteurs, le catholicisme et la féodalité, notre Moyen-Age (par conséquent la société moderne) n'est pas sans attache à ce monde caduc, expression prolongée de l'esprit hellénique, auquel Gémiste essaya de remonter directement.

Aussi bien n'avons-nous pas à le chercher, cet esprit, sève d'un renouveau polythéiste, au centre du BasEmpire, réduit (sauf quelques enclaves) à la ville de Justinien, mais dans un milieu plus propice à la pensée de Pléthon, car il conserva moins altérée la tradition des sages du paganisme.

Le temps amène entre les situations historiques d'étranges rapprochements. Stamboul aux abois rappelle Byzance expirante entourée d'un cercle de fer et de feu. Devant l'Osmanli destructeur, on s'attache à ce débris

d'une civilisation refoulée dans son suprême asile, à ce gigantesque écrin de richesses, muséum des trésors d'art, archives des chefs-d'œuvre écrits de l'antiquité, à la métropole de marbre, assise entre les mers... Et, du sérail d'Andrinople, sultan Mahmoud convoite, ultime proie, « la grande escarboucle entourée des diamants de l'onde et de l'émeraude des vallées! >>

Dans ce cadre étincelant, malgré ses abaissements et les ruines accumulées par les Croisés, ses conquérants du treizième siècle, Constantinople brillait encore de l'éclat de ses constructions de marbre serties d'or comme une parure et relevées de tons polychromes. Entassement des chefs-d'œuvre de l'art antique, au milieu des fantaisies composites d'une décadence où le mauvais goût n'exclut pas toujours l'élan d'une originale grandeur. L'impériale basilique projette dans le ciel la majesté de son dôme. A l'intérieur, près des mosaïques où trônent, colosses nimbés d'or, le Christ, la Panagie et les Apôtres, Sainte-Sophie affecte un luxe provoquant de courtisane, diaprée et comme tatouée de couleurs, d'ornements et de joyaux. Elle rappelle ses fondateurs, le lubrique et solennel Justinien, César de cirque et de sacristie, et la vieille hétaïre fardée et pénitente, l'exvirtuose aux savantes pratiques des priapées de l'Embolum. Reine de la mode et de l'Hippodrome, protectrice du cocher en vogue et du thaumaturge en renom, l'épouse du caprice césarien, oracle des questeurs, des archimandrites et des mimes, Théodora traite avec Tri

bonien de la réforme du code, avec la bonne faiseuse de l'avenir d'une chlamyde ou d'un peplum. Elle fait et défait les stratèges. Les coiffeurs la consultent sur les volutes d'une frisure, les anges (moines) sur le défini d'une hypostase.

Depuis le temps décrit par Procope, ce Tallemand des Réaux des ana de Byzance, la cour et la ville ne sont plus que l'ombre d'elles-mêmes, l'illusion de moins en moins imposante de ce qu'était devenue, échappant aux transformations et aux morcellements de notre occident, la région orientale demeurée l'empire romain. Ce chef resté sans membres, cette tête amputée de tout le corps par l'invasion, subsistait comme une île au milieu des flots battants de la domination ottomane, aujourd'hui menacée d'une fortune analogue.

Il faut suivre dans les annales byzantines les péripéties de cette décadence. Les historiens dégénèrent comme l'histoire! Les conquêtes de la barbarie sur la langue de Sophocle et de Thucydide semblent correspondre aux envahissements territoriaux de l'infidèle, aux incursions du Serbe et du Bulgare. Mais, quand le chroniqueur du quinzième siècle suit avec une émotion soutenue les progrès du Turc, la note mélancolique et résignée de sa plainte attendrit parfois jusqu'au charme sympathique la pauvreté de sa période indécise. Son grec désossé et traînant est presque du romaïque. Transition à cet idiome populaire dans lequel le palikare exhalera contre l'Ottoman sa revendication héroïque et l'espoir de la

délivrance. Le souffle énergique témoigne de sa persistance en cette race, dont une vue superficielle a trop exagéré l'énervement. Le récit d'aventures coudoie parfois le narré des intrigues et des crimes de palais, le béat engrainement des pieux prodiges et des controverses de couvent. Telle, au douzième siècle, l'odyssée de cet Andronic Comnène, cousin de l'empereur Manuel. Ce Latude infatigable, qui finit par usurper le trône, déjoue, par ses fréquentes évasions, la vigilance de son rival couronné. Il excite au plus haut point, par son adresse et son courage, l'enthousiasme des contemporains. << Enchaîné par les pieds dans une tour, conte Nicétas >> Acominato, cet homme plein d'audace et d'énergie » s'échappa par une ouverture qu'il découvrit dans un >> mur de briques. » Pendant qu'ils le cherchent de tout côté, lui, n'ayant pu trouver d'issue au dehors, est contraint de rentrer dans sa prison et s'y retrouve en présence de sa compagne « qui le prend pour un fan» tôme. Il l'embrasse et commence à pleurer, mais non » pas autant que le demandait la grandeur présente de » leur calamité, pour n'être pas entendus de leurs » geôliers. Dans ce cachot il vécut longtemps avec elle, >> et de leurs embrassements naquit son fils Jean, depuis » associé sous lui à l'empire. A la fin il sortit de capti› vité, grâce à la négligence volontaire de ses gardiens >> attendris par son épouse1».

1. NICETE ACOMINAT., Histor., lib. II; Venetia.

Par ce goût d'un romanesque accueilli avec prédilection dans leurs récits par les historiens de Byzance, cette société n'est pas tout à fait sans annexion avec celle de notre Moyen-Age occidental, si diverse à tant d'égards, si haïe des sujets de l'empire romain-grec. Ces deux mondes se touchent d'ailleurs par les Croisades, ils communiquent par les Vénitiens, les Génois et la GrandeGrèce. Les architectes, les iconographes de Constantinople, ont bâti et décoré San Vitale de Ravenne, SaintMarc de Venise. Les chevaliers normands de Sicile ont importé les tournois en Orient. Et le paisible Nicétas, décrivant une de ces joutes où l'empereur Manuel, à Antioche, abattit deux champions: « Là, on pouvait voir, » dit-il, qui tombant à la renverse, les deux jambes en » l'air, jeté bas par ses adversaires, qui renversé de sa » selle, qui, tournant le dos, fuir à toute bride, qui, >> blanc de peur, se musser sous son pavois, d'autres >> s'enflammer, voyant que l'adversaire a peur. Frappé >> par la furieuse impétuosité des chevaux, l'air fait » voleter les étendards 1. >>

C'est qu'aussi les grands heurts des hommes d'armes du Nord, leur tactique primitive, leurs luttes corps à corps, contrastent trop avec la stratégie des Byzantins, servie par la mécanique et la chimie, les catapultes et le feu grégeois de Callinique, lancé par des tubes de bronze!

1. NICETE ACOMINAT., Hist., lib. II, p. 22, 23.

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