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mais ils ne s'en servent pas pour être éloquents. Implent quippe illa, quia sunt eloquentes, non adhibent ut sint eloquentes.

L'on marche naturellement, comme ce même père le remarque en un autre endroit, et en marchant on fait certains mouvements réglés du corps; mais il ne servirait de rien pour apprendre à marcher, de dire, par exemple, qu'il faut envoyer des esprits en certains nerfs, remuer certains muscles, faire certains mouvements dans les jointures, mettre un pied devant l'autre, et se reposer sur l'un pendant que l'autre avance. On peut bien former des règles en observant ce que la nature nous fait faire; mais on ne fait jamais ces actions par le secours de ces règles: ainsi l'on traite tous les lieux dans les discours les plus ordinaires, et l'on ne saurait rien dire qui ne s'y rapporte; mais ce n'est point en y faisant une réflexion expresse que l'on produit ces pensées ; cette réflexion ne pouvant servir qu'à ralentir la chaleur de l'esprit et à l'empêcher de trouver les raisons vives et naturelles, qui sont les vrais ornements de toute sorte de discours.

Virgile, dans le neuvième Livre de l'Énéide, après avoir représenté Euryale surpris et environné de ses ennemis, qui étaient près de venger sur lui la mort de leurs compagnons que Nisus, ami d'Euryale, avait tués, met ces paroles pleines de mouvement et de passion dans la bouche de Nisus:

Me, me, adsum qui feci: in me convertite ferrum,
O Rutuli! mea fraus omnis; nihil iste, nec ausus,
Nec potuit: cœlum hoc, et sidera conscia testor :
Tantùm infelicem nimiùm dilexit amicum.

C'est un argument, dit Ramus, à causâ efficiente; mais on pourrait bien juger avec assurance, que jamais Virgile ne songea, lorsqu'il fit ces vers, au lieu de la cause efficiente. Il ne les aurait jamais faits, s'il s'était arrêté à y chercher cette pensée; et il faut nécessairement que, pour produire des vers si nobles et si animés, il ait, non-seulement oublié ces règles, s'il les savait, mais qu'il se soit, en quelque sorte, oublié lui-même pour prendre la passion qu'il représentait.

Le

peu d'usage que le monde a fait de cette méthode des lieux depuis tant de temps qu'elle est trouvée et qu'on l'enseigne dans les écoles, est une preuve évidente qu'elle n'est pas de grand usage; mais quand on se serait appliqué à en tirer tout le fruit qu'on en peut tirer, on ne voit pas qu'on puisse arriver par là à quelque chose qui soit véritablement utile et estimable; car tout

ce qu'on peut prétendre par cette méthode, est de trouver sur chaque sujet diverses pensées générales, ordinaires, éloignées, comme les Lullistes en trouvent par le moyen de leurs tables: or, tant s'en faut qu'il soit utile de se procurer cette sorte d'abondance, qu'il n'y a rien qui gâte davantage le jugement.

Rien n'étouffe plus les bonnes semences que l'abondance des mauvaises herbes; rien ne rend un esprit plus stérile en pensées justes et solides, que cette mauvaise fertilité de pensées communes. L'esprit s'accoutume à cette facilité, et ne fait plus d'efforts pour trouver les raisons propres, particulières et naturelles, qui ne se découvrent que dans la considération attentive de son sujet. On devrait considérer que cette abondance, qu'on recherche par le moyen de ces lieux, est un très petit avantage. Ce n'est pas ce qui manque à la plupart du monde. On pèche beaucoup plus par excès que par défaut; et les discours que l'on fait ne sont que trop remplis de matière. Ainsi, pour former les hommes dans une éloquence judicieuse et solide, il serait bien plus utile de leur apprendre à se taire qu'à parler, c'est-à-dire à supprimer et à retrancher les pensées basses, communes et fausses, qu'à produire, comme ils font, un amas confus de raisonnements bons et mauvais, dont on remplit les livres et les discours.

Et comme l'usage des lieux ne peut guère servir qu'à trouver de ces sortes de pensées, on peut dire que s'il est bon de savoir ce qu'on en dit, parce que tant de personnes célèbres en ont parlé qu'ils ont formé une espèce de nécessité de ne pas ignorer une chose si commune, il est encore beaucoup plus important d'être très persuadé qu'il n'y a rien de plus ridicule que de les employer pour discourir de tout à perte de vue, comme les Lullistes font par le moyen de leurs attributs généraux, qui sont des espèces de lieux; et que cette mauvaise facilité de parler de tout, et de trouver raison partout, dont quelques personnes font vanité, est un si mauvais caractère d'esprit, qu'il est beaucoup au-dessous de la bêtise.

C'est pourquoi tout l'avantage qu'on peut tirer de ces lieux se réduit au plus à en avoir une teinture générale, qui sert peut-être un peu, sans qu'on y pense, à envisager la matière que l'on traite par plus de faces et de parties.

CHAPITRE XVIII.

Division des lieux en lieux de grammaire, de logique et de métaphysique.

Ceux qui ont traité des lieux, les ont divisés en différentes matières. Celle qui a été suivie par Cicéron dans les Livres de l'Invention et dans le 2o Livre de l'Orateur, et par Quintilien au 5o Livre de ses Institutions, est moins méthodique; mais elle est aussi plus propre pour l'usage des discours du barreau, auquel ils la rapportent particulièrement. Celle de Ramus est trop embarrassée de subdivisions.

En voici une qui paraît assez commode, d'un philosophe allemand fort judicieux et fort solide, nommé Clauberge88, dont la Logique m'est tombée entre les mains, lorsqu'on avait déjà commencé à imprimer celle-ci.

Les lieux sont tirés, ou de la grammaire ou de la logique, ou de la métaphysique.

Lieux de grammaire.

Les lieux de grammaire sont, l'étymologie, et les mots dérivés de même racine, qui s'appellent en latin conjugata et en grec παρόνιμα.

On argumente par l'étymologie, quand on dit, par exemple, que plusieurs personnes du monde ne se divertissent jamais, à proprement parler; parce que se divertir, c'est se désappliquer des occupations sérieuses, et qu'ils ne s'occupent jamais sérieu

sement.

Les mots dérivés de même racine servent aussi à faire trouver des pensées.

Homo sum, humani nil à me alienum puto.
Mortali urgemur ab hoste, mortales.

Quid tam dignum misericordiâ quàm miser?

Quid tam indignum misericordia quàm superbus miser?

Qu'y a-t-il de plus digne de miséricorde qu'un misérable? Et qu'y a-t-il de plus indigne de miséricorde qu'un misérable qui est orgueilleux?

Lieux de logique.

Les lieux de logique sont les termes universels, genre, espèce, différence, propre, accident, la définition, la division; et comme

tous ces points ont été expliqués auparavant, il n'est pas nécessaire d'en traiter ici davantage.

Il faut seulement remarquer que l'on joint d'ordinaire à ces lieux certaines maximes communes, qu'il est bon de savoir, non pas qu'elles soient fort utiles, mais parce qu'elles sont communes. On en a déjà rapporté quelques-unes sous d'autres termes; mais il est bon de les savoir sous les termes ordinaires.

1o Ce qui s'affirme ou se nie du genre, s'affirme ou se nie de l'espèce. Ce qui convient à tous les hommes, convient aux grands; mais ils ne peuvent pas prétendre aux avantages qui sont au-dessus des hommes.

2o En détruisant le genre, on détruit aussi l'espèce. Celui qui ne juge point du tout, ne juge point mal; celui qui ne parle point du tout, ne parle jamais indiscrètement.

3o En détruisant toutes les espèces, on détruit les genres. Les formes qu'on appelle substantielles (excepté l'âme raisonnable) ne sont ni corps ni esprit donc ce ne sont point des substances.

4o Si l'on peut affirmer ou nier de quelque chose la différence totale, on en peut affirmer ou nier l'espèce. L'étendue ne convient à la pensée : donc elle n'est pas matière.

pas

5o Si l'on peut affirmer ou nier de quelque chose la propriété, on en peut affirmer ou nier l'espèce. Étant impossible de se figurer la moitié d'une pensée, ni une pensée ronde et carrée, il est impossible que ce soit un corps.

6° On affirme ou on nie le défini de ce dont on affirme ou nie la définition. Il y a peu de personnes justes, parce qu'il y en a peu qui aient une ferme et constante volonté de rendre à chacun ce qui lui appartient.

Lieux de métaphysique.

Les lieux de métaphysique sont certains termes généraux convenant à tous les êtres auxquels on rapporte plusieurs arguments, comme les causes, les effets, le tout, les parties, les termes opposés. Ce qu'il y a de plus utile est d'en savoir quelques divisions générales, et principalement des causes.

Les définitions qu'on donne dans l'école aux causes en général, en disant qu'une cause est ce qui produit un effet, ou ce par quoi une chose est, sont si peu nettes, et il est si difficile de voir comment elles conviennent à tous les genres de cause, qu'on au ait aussi bien fait de laisser ce mot entre ceux que l'on ne définit point,

l'idée que nous en avons étant aussi claire que les définitions qu'on en donne.

Mais la division des causes en quatre espèces, qui sont la cause finale, efficiente, matérielle et formelle, est si célèbre, qu'il est nécessaire de la savoir 89.

On appelle CAUSE FINALE la fin pour laquelle une chose est.

Il y a des fins principales, qui sont celles que l'on regarde principalement, et des fins accessoires, qu'on ne considère que par

surcroît.

Ce que l'on prétend faire ou obtenir est appelé finis cujus gratiâ. Ainsi, la santé est la fin de la médecine, parce qu'elle prétend la procurer.

Celui pour qui l'on travaille est appelé finis cui. L'homme est la fin de la médecine en cette manière, parce que c'est à lui qu'elle a dessein d'apporter la guérison.

Il n'y a rien de plus ordinaire que de tirer des arguments de la fin, ou pour montrer qu'une chose est imparfaite, comme qu'un discours est mal fait, lorsqu'il n'est pas propre à persuader; ou pour faire voir qu'il est vraisemblable qu'un homme a fait ou fera quelque action, parce qu'elle est conforme à la fin qu'il a accoutumé de se proposer; d'où vient cette parole célèbre d'un juge de Rome, qu'il fallait examiner avant toutes choses, cui bono, c'està-dire quel intérêt un homme aurait eu à faire une chose, parce que les hommes agissent ordinairement selon leur intérêt, ou pour montrer, au contraire, qu'on ne doit pas soupçonner un homme d'une action, parce qu'elle aurait été contraire à sa fin.

Il y a encore plusieurs autres manières de raisonner par la fin que le bon sens découvrira mieux que tous les préceptes; ce qui soit dit aussi pour les autres lieux.

LA CAUSE EFFICIENTE est celle qui produit une autre chose. On en tire des arguments, en montrant qu'un effet n'est pas, parce qu'il n'a pas eu de ca se suffisante, ou qu'il est ou sera, en faisant voir que toutes ses causes sont. Si ces causes sont nécessaires, l'argument est nécessaire; si elles sont libres et contingentes, il n'est que probable.

Il y a diverses espèces de cause efficiente, dont il est utile de' savoir les noms :

Dieu créant Adam était sa cause totale, parce que rien ne concourait avec lui; mais le père et la mère ne sont chacun que causes partielles de leur enfant, parce qu'ils ont besoin l'un de l'autre.

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