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pas les logiques ordinaires assez courtes, ni assez nettes, on eut la pensée d'en faire un petit abrégé qui ne fût que pour lui.

C'est l'unique vue qn'on avait lorsqu'on se mit en devoir d'y travailler, et l'on ne pensait pas y employer plus d'un jour; mais quand on voulut s'y appliquer, il vint dans l'esprit tant de réflexions nouvelles qu'on fut obligé de les écrire pour s'en décharger ainsi, au lieu d'un jour, on y en employa quatre ou cinq, pendant lesquels on forma le corps de cette logique, à laquelle on a depuis ajouté diverses choses.

Or, quoiqu'on y ait embrassé beaucoup plus de matières qu'on ne s'était engagé de faire d'abord, néanmoins l'essai en réussit comme on se l'était promis; car ce jeune seigneur l'ayant luimême réduite en quatre tables, il en apprit facilement une par jour, sans même qu'il eût presque besoin de personne pour l'entendre. Il est vrai qu'on ne doit pas espérer que d'autres que lui y entrent avec la même facilité; son esprit étant tout-à-fait extraordinaire dans toutes les choses qui dépendent de l'intelligence.

Voilà la rencontre qui a produit cet ouvrage mais, quelque sentiment qu'on en ait, on ne peut, au moins avec justice, en désapprouver l'impression, puisqu'elle a été plutôt forcée que volontaire : car plusieurs personnes en ayant tiré des copies manuscrites, ce qu'on sait assez ne pouvoir se faire sans qu'il s'y glisse beaucoup de fautes, on a eu avis que les libraires se disposaient à l'imprimer de sorte qu'on a jugé plus à propos de le donner au public correct et entier, que de permettre qu'on l'imprimât sur des copies défectueuses; mais c'est aussi ce qui a obligé d'y faire diverses additions qui l'ont augmenté de près d'un tiers, parce qu'on a cru devoir étendre ces vues plus loin qu'on n'avait fait en ce premier essai. C'est le sujet du discours suivant, ой l'on explique la fin qu'on s'y est proposée, et la raison des matières qu'on y a traitées.

AVERTISSEMENT

DE LA CINQUIÈME ÉDITION.

On a fait diverses additions importantes à cette nouvelle édition de la logique, dont l'occasion a été que les ministres se sont plaints de quelques remarques qu'on y avait faites; ce qui a obligé d'éclaircir et de soutenir les endroits qu'ils ont voulu attaquer. On

verra, par ces éclaircissements, que la raison et la foi s'accordent parfaitement, comme étant des ruisseaux de la même source, et que l'on ne saurait guère s'éloigner de l'une, sans s'écarter de l'autre. Mais quoique ce soient des contestations théologiques qui ont donné lieu à ces additions, elles ne sont pas moins propres, ni moins naturelles à la logique ; et l'on aurait pu les faire, quand il n'y aurait jamais eu de ministres au monde qui auraient voulu obscurcir les vérités de la foi par de fausses subtilités.

PREMIER DISCOURS

OU L'ON FAIT VOIR LE DESSEIN DE CETTE NOUVELLE LOGIQUE.

Il n'y a rien de plus estimable que le bon sens et la justesse de l'esprit dans le discernement du vrai et du faux. Toutes les autres qualités d'esprit ont des usages bornés; mais l'exactitude de la raison est généralement utile dans toutes les parties et dans tous les emplois de la vie. Ce n'est pas seulement dans les sciences qu'il est difficile de distinguer la vérité de l'erreur; mais aussi dans la plupart des sujets dont les hommes parlent, et des affaires qu'ils traitent. Il y a presque partout des routes différentes, les unes vraies, les autres fausses, et c'est à la raison d'en faire le choix. Ceux qui choisissent bien sont ceux qui ont l'esprit juste; ceux qui prennent le mauvais parti sont ceux qui ont l'esprit faux; et c'est la première et la plus importante différence qu'on peut mettre entre les qualités de l'esprit des hommes.

Ainsi, la principale application qu'on devrait avoir serait de former son jugement et de le rendre aussi exact qu'il peut l'être; et c'est à quoi devrait tendre la plus grande partie de nos études. On se sert de la raison comme d'un instrument pour acquérir les sciences, et l'on devrait se servir, au contraire, des sciences comme d'un instrument pour perfectionner sa raison; la justesse de l'esprit étant infiniment plus considérable que toutes les connaissances spéculatives auxquelles on peut arriver par le moyen des sciences les plus véritables et les plus solides : ce qui doit porter les personnes sages à ne s'y engager qu'autant qu'elles peuvent

servir à cette fin, et à n'en faire que l'essai et non l'emploi des forces de leur esprit.

Si l'on ne s'y applique dans ce desein, on ne voit pas que l'étude de ces sciences spéculatives, comme de la géométrie, de l'astronomie et de la physique, soit autre chose qu'un amusement assez vain, ni qu'elles soient beaucoup plus estimables que l'ignorance de toutes ces choses, qui a au moins cet avantage, qu'elle est moins pénible, et qu'elle ne donne pas lieu à la sotte vanité que l'on tire souvent de ces connaissances stériles et infructueuses.

Non-seulement ces sciences ont des recoins et des enfoncements fort peu utiles; mais elles sont toutes inutiles, si on les considère en elles-mêmes et pour elles-mêmes. Les hommes ne sont pas nés pour employer leur temps à mesurer des lignes, à examiner les rapports des angles, à considérer les divers mouvements de la matière leur esprit est trop grand, leur vie trop courte, leur temps trop précieux pour l'occuper à de si petits objets; mais ils sont obligés d'être justes, équitables, judicieux dans tous leurs discours, dans toutes leurs actions et dans toutes les affaires qu'ils manient, et c'est à quoi ils doivent particulièrement s'exercer et se former.

Ce soin et cette étude sont d'autant plus necessaires, qu'il est étrange combien c'est une qualité rare que cette exactitude de jugement. On ne rencontre partout que des esprits faux, qui n'ont presque aucun discernement de la vérité; qui prennent toutes choses d'un mauvais biais; qui se paient des plus mauvaises raisons, et qui veulent en payer les autres; qui se laissent emporter par les moindres apparences; qui sont toujours dans l'excès et dans les extrémités; qui n'ont point de serres pour se tenir fermes dans les vérités qu'ils savent, parce que c'est plutôt le hasard qui les y attache qu'une solide lumière; ou qui s'arrêtent, au contraire, à leur sens avec tant d'opiniâtreté, qu'ils n'écoutent rien de ce qui pourrait les détromper; qui décident hardiment ce qu'ils ignorent, ce qu'ils n'entendent pas, et ce que personne n'a peut-être jamais entendu ; qui ne font point de différence entre parler et parler, ou qui ne jugent de la vérité des choses que par le ton de la voix : celui qui parle facilement et gravement, a raison; celui qui a quelque peine à s'expliquer, ou qui fait paraître quelque chaleur, a tort; ils n'en savent pas davantage.

C'est pourquoi il n'y a point d'absurdités si insupportables qui ne trouvent des approbateurs. Quiconque a dessein de piper le monde, est assuré de trouver des personnes qui seront bien aises

d'être pipées; et les plus ridicules sottises rencontrent toujours des esprits auxquels elles sont proportionnées. Après que l'on voit tant de gens infatués des folies de l'astrologie judiciaire, et que des personnes graves traitent cette matière sérieusement, on ne doit plus s'étonner de rien. Il y a une constellation dans le ciel qu'il a plu à quelques personnes de nommer Balance, et qui ressemble à une balance comme à un moulin à vent : la balance est le symbole de la justice: donc ceux qui naîtront sous cette constellation seront justes et équitables. Il y a trois autres signes dans le Zodiaque, qu'on nomme l'un Bélier, l'autre Taureau, l'autre Capricorne, et qu'on eût pu aussi bien appeler Éléphant, Crocodile et Rhinocéros : le bélier, le taureau et le capricorne sont des animaux qui ruminent; donc ceux qui prennent médecine lorsque la lune est sous ces constellations, sont en danger de la revomir. Quelque extravagants que soient ces raisonnements, il se trouve des personnes qui les débitent, et d'autres qui s'en laissent persuader.

Cette fausseté d'esprit n'est pas seulement cause des erreurs que, l'on mêle dans les sciences, mais aussi de la plupart des fautes que l'on commet dans la vie civile, des querelles injustes, des procès mal fondés, des avis téméraires, des entreprises mal concertées. Il y en a peu qui n'aient leur source dans quelque erreur et dans quelque faute de jugement: de sorte qu'il n'y a point de défaut dont on ait plus d'intérêt de se corriger.

Mais autant cette correction est souhaitable, autant est-il difficile d'y réussir, parce qu'elle dépend beaucoup de la mesure d'intelligence que nous apportons en naissant. Le sens commun n'est pas une qualité si commune que l'on pense. Il y a une infinité d'esprits grossiers et stupides que l'on ne peut réformer en leur donnant l'intelligence de la vérité, mais en les retenant dans les choses qui sont à leur portée, et en les empêchant de juger de ce qu'ils ne sont pas capables de connaître. Il est vrai néanmoins qu'une grande partie des faux jugements des hommes ne vient pas de ce principe, et qu'elle n'est causée que par la précipitation de l'esprit et par le défaut d'attention, qui fait que l'on juge témérairement de ce que l'on ne connaît que confusément et obscurément. Le peu d'amour que les hommes ont pour la vérité, fait qu'ils ne se mettent pas en peine la plupart du temps de distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux. Ils laissent entrer dans leur âme toutes sortes de discours et de maximes; ils aiment mieux les supposer pour véritables que de les examiner: s'ils ne les entendent pas, ils veulent croire que d'autres les entendent bien; et ainsi ils se remplissent la mé

considérer ce

moire d'une infinité de choses fausses, obscures et non entendues, et raisonnent ensuite sur ces principes, sans presque qu'ils disent, ni ce qu'ils pensent.

La vanité et la présomption contribuent encore beaucoup à ce défaut. On croit qu'il y a de la honte à douter et à ignorer; et l'on aime mieux parler et décider au hasard, que de reconnaître qu'on n'est pas assez informé des choses pour en porter jugement. Nous sommes tous pleins d'ignorance et d'erreurs; et cependant on a toutes les peines du monde à tirer de la bouche des hommes cette confession si juste et si conforme à leur condition naturelle : je me trompe, et je n'en sais rien.

Il s'en trouve d'autres, au contraire, qui, ayant assez de lumières pour connaître qu'il y a quantité de choses obscures et incertaines, et voulant, par une autre sorte de vanité, témoigner qu'ils ne se laissent pas aller à la crédulité populaire, mettent leur gloire à sou*tenir qu'il n'y a rien de certain : ils se déchargent ainsi de la peine de les examiner, et, sur ce mauvais principe, ils mettent en doute les vérités les plus constantes, et la Religion même. C'est la source du Pyrrhonisme, qui est une autre extravagance de l'esprit humain, qui, paraissant contraire à la témérité de ceux qui croient et décident tout, vient néanmoins de la même source, qui est le défaut d'attention; car comme les uns ne veulent pas se donner la peine de discerner les erreurs, les autres ne veulent pas prendre celle d'envisager la vérité avec le soin nécessaire pour en apercevoir l'évidence. La moindre lueur suffit aux uns pour les persuader de choses très fausses; et elle suffit aux autres pour les faire douter des choses les plus certaines : mais, dans les uns et dans les autres, c'est le même défaut d'application qui produit des effets si différents.

La vraie raison place toutes choses dans le rang qui leur convient; elle fait douter de celles qui sont douteuses, rejeter celles qui sont fausses, et reconnaître de bonne foi celles qui sont évidentes, sans s'arrêter aux vaines raisons des Pyrrhoniens, qui ne détruisent pas l'assurance raisonnable que l'on a des choses certaines, non pas même dans l'esprit de ceux qui les proposent. Personne ne douta jamais sérieusement qu'il y a une terre, un soleil et une lune, ni si le tout est plus grand que sa partie. On peut bien faire dire extérieurement à sa bouche qu'on en doute, parce que l'on peut mentir; mais on ne peut pas le faire dire à son esprit. Ainsi le Pyrrhonisme n'est pas une secte de gens qui soient persuadés de ce qu'ils disent, mais c'est une secte de menteurs. Aussi se contredisent-ils souvent en parlant de leur opinion, leur cœur

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