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9. Quand je dis que l'idée est la même chose que la perception, j'entends par la perception tout ce que mon esprit conçoit, soit par la première appréhension qu'il a des choses, soit par les jugements qu'il en fait, soit par ce qu'il en découvre en raisonnant. Et ainsi, quoiqu'il y ait une infinité de figures dont je ne connais la nature que par de longs raisonnements, je ne laisse pas, lorsque je les ai faits, d'avoir une idée aussi véritable de ces figures que j'en ai du cercle ou du triangle, que je puis concevoir d'abord. Et, quoique peut-être ce ne soit aussi que par raisonnement que je suis entièrement assuré qu'il y a véritablement hors de mon esprit une terre, un soleil et des étoiles, l'idée, qui me représente la terre, le soleil et les étoiles, comme étant vraiment existant hors de mon esprit, n'en mérite pas moins le nom d'idée que si je l'avais eue sans avoir eu besoin de raisonner.

10. Il y a encore une autre équivoque à démêler ; c'est qu'il ne faut pas confondre l'idée d'un objet avec cet objet conçu, à moins qu'on n'ajoute en tant qu'il est objectivement dans l'esprit. Car être conçu, au regard du soleil qui est dans le ciel, n'est qu'une dénomination extrinsèque, qui n'est qu'un rapport à la perception que j'en ai. Or ce n'est pas cela que l'on doit entendre, quand on dit que l'idée du soleil est le soleil méme, en tant qu'il est objectivement dans mon esprit. Et ce qu'on appelle étre objectivement dans l'esprit n'est pas seulement être l'objet, qui est le terme de ma pensée, mais c'est être dans mon esprit intelligiblement, comme les objets ont accoutumé d'y être; et l'idée du soleil est le soleil, en tant qu'il est dans mon esprit, non formellement comme il est dans le ciel, mais objectivement, c'est-à-dire en la manière que les objets sont dans notre pensée, ce qui est une manière d'être beaucoup plus imparfaite que n'est celle par laquelle le soleil est réellement existant, mais qu'on ne peut pas dire néanmoins n'être rien et n'avoir pas besoin de cause.

11. Quand je dirai que l'âme fait ceci ou cela et qu'elle a la faculté de faire ceci ou cela, j'entends par le mot de faire la perception qu'elle a des objets, qui est une de ses modifications, sans me mettre en peine de la cause efficiente de cette modification, c'est-à-dire si c'est Dieu qui la lui donne ou si elle se la donne à elle-même; car cela ne regarde point la nature des idées mais seulement leur origine, qui sont des questions toutes diffé

rentes.

12. J'appelle faculté le pouvoir que je sais certainement qu'a une chose, ou spirituelle ou corporelle, ou d'agir, ou de pâtir,

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ou d'être d'une telle ou telle manière, c'est-à-dire d'avoir une telle ou telle modification.

13. Et quand cette faculté est certainement une propriété de la nature de cette chose, je dis alors qu'elle la tient de l'auteur de sa nature, qui ne peut être que Dieu.

AXIOMES.

1. On ne doit recevoir pour vrai, quand on prétend savoir les choses par science, que ce que l'on conçoit clairement.

2. Rien ne nous doit faire douter de ce que nous savons avec une entière certitude, quelques difficultés qu'on nous puisse proposer contre.

3. C'est un visible renversement d'esprit de vouloir expliquer ce qui est clair et certain par des choses obscures et incertaines. 4. On doit rejeter comme imaginaires de certaines entités dont on n'a aucune idée claire, et qu'on voit bien qu'on n'a inventées que pour expliquer des choses qu'on s'imaginait ne pouvoir bien comprendre sans cela.

5. Et cela est encore plus indubitable quand on les peut fort bien expliquer sans ces entités inventées par les nouveaux philosophes.

6. Rien ne nous est plus certain que la connaissance que nous avons de ce qui se passe dans notre âme, quand nous nous arrêtons là. Il m'est très certain, par exemple, que je conçois des corps quand je crois concevoir des corps, quoiqu'il puisse n'être pas certain que les corps que je conçois, ou soient véritablement, ou soient tels que je les conçois.

7. Il est certain, ou par la raison, en supposant que Dieu ne saurait être trompeur, ou au moins par la foi, que j'ai un corps, et que la terre, le soleil, la lune, et beaucoup d'autres corps que je connais comme existants hors de mon esprit, existent véritablement hors de mon esprit.

8. La conséquence est nécessaire de l'acte au pouvoir, c'est-àdire, qu'il est certain que qui fait une chose (prenant largement le mot de faire selon la onzième définition) a le pouvoir de la faire, et par conséquent que l'on doit dire qu'il a cette faculté selon la douzième définition.

DEMANDES.

Je demande que chacun fasse une sérieuse réflexion sur ce qui se passe dans son esprit lorsqu'il connaît diverses choses, en considé

rant tout ce qu'il y remarquera par une simple vue, sans raisonner ni chercher ailleurs des comparaisons prises des choses corporelles, et en ne s'arrêtant que sur ce qu'il verra être si certain qu'il n'en puisse douter.

Et si quelqu'un ne le peut pas faire de lui-même, je lui demande qu'il me suive et qu'il examine de bonne foi si ce que je dirai m'être clair ne lui sera pas aussi clair et certain.

1. Je suis assuré que je suis, parce que je pense, et qu'ainsi je suis une substance qui pense.

2. Je suis plus certain que je suis, que je ne le suis que j'ai un corps, ou qu'il y a d'autres corps. Car je pourrais douter qu'il y a des corps, que je ne pourrais pas pour cela douter que je ne fusse.

3. Je connais l'être parfait, l'être même, l'être universel, et ainsi je ne puis douter que je n'en aie l'idée, en prenant l'idée d'un objet pour la perception d'un objet, selon la troisième définition.

4. Je suis assuré que je connais des corps, quand je pourrais douter s'il y en a qui existent; car il me suffit que je les connaisse comme possibles; et quand je connaîtrais un corps comme existant qui ne le serait pas, je me tromperais en cela; mais il ne serait pas moins vrai que ce corps serait objectivement dans mon esprit, quoiqu'il n'existât pas hors de mon esprit, et ainsi je le connaîtrais selon la quatrième définition.

5. Quand mes sens ne pourraient m'assurer de l'existence des choses matérielles, la raison m'en assurerait, en ajoutant à mes sentiments que Dieu ne saurait être trompeur. Et si je n'en étais pas entièrement assuré par la raison, je le saurais au moins par la foi (ce que je dis pour mettre la chose dans la dernière certitude, à l'égard même de l'auteur de la Recherche de la Vérité). Et par conséquent à moi, qui ai la foi outre la raison, il m'est très certain que quand je vois la terre, le soleil, les étoiles, des hommes qui m'entretiennent, ce ne sont point des corps ou des hommes imaginaires que je vois, mais les ouvrages de Dieu, et de véritables hommes que Dieu a créés comme moi. Et il ne m'importe qu'entre mille de ces objets il y en puisse avoir quelqu'un qui ne serait que dans mon esprit; il me suffit, pour ce que je prétends, que je ne puisse douter de quelque côté que me vienne cette certitude, de la raison ou de la foi, que pour l'ordinaire les corps que je crois voir sont de véritables corps qui existent hors de moi.

6. Il ne m'est pas moins certain que je connais une infinité d'objets en général, et non-seulement en particulier, comme le

nombre pair en général, ce qui comprend une infinité de nombres, un nombre carré en général, et ainsi des autres. Qu'il en est de même des corps, connaissant certainement un cube en général, un cylindre, une pyramide, quoiqu'il y en ait de chacune de ces espèces d'une infinité de grandeurs différentes.

7. Je ne puis douter aussi que je ne connaisse les choses en deux manières, ou par une vue directe ou par une vue expressément réfléchie, comme quand je fais réflexion sur l'idée ou la connaissance que j'ai d'une chose, et que je l'examine avec plus d'attention, pour reconnaître ce qui est enfermé dans cette idée, prise au sens que j'ai dit dans la troisième définition.

Si j'avais ici un petit Eraste, je l'interrogerais, comme on a fait si ingénieusement dans les Conversations chrétiennes, et je suis certain qu'il me répondrait sur toutes ces choses qu'il en est parfaitement assuré. Au lieu que si je lui demandais s'il ne faut pas outre tout cela admettre de ces autres idées, qui sont des étres représentatifs, etc., je ne suis pas moins certain qu'il me dirait qu'il n'en sait rien, qu'il n'a rien à dire sur cela, et qu'il ne répond que sur les choses dont il a des notions claires, et qu'il n'en a point de ces étres représentatifs. Et pour l'auteur de la Recherche de la Vérité, je croirais lui faire tort si j'avais le moindre doute qu'il ne reconnût de bonne foi qu'il n'y a rien en tout cela qui ne soit très assuré.

Mais j'ai encore à expliquer quelques autres termes et quelques autres façons de parler dont je n'ai rien dit dans les définitions, parce qu'il m'a paru que cela demandait plus de discours pour le bien faire entendre et pour prévenir des difficultés qui ne sont fondées que sur des équivoques, qui ne sont point encore assez démêlées par ce que j'ai dit jusqu'ici. C'est ce que je traiterai dans le chapitre suivant.

CHAPITRE VI.

Explication de ces façons de parler: « Nous ne voyons point immédiatement « les choses; ce sont leurs idées qui sont l'objet immédiat de notre pensée; et "c'est dans l'idée de chaque chose que nous en voyons les propriétés. »

Il semble d'abord qu'on ne peut admettre pour vraies ces façons de parler : « Nous ne voyons point immédiatement les choses; ce sont leurs idées qui sont l'objet immédiat de notre pensée, et c'est dans l'idée de chaque chose que nous en voyons « les propriétés, qu'on ne soit obligé de recevoir la philosophie

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des fausses idées. Car on a de la peine à comprendre que ces façons de parler puissent être vraies, si, outre les objets que nous connaissons, il n'y a quelque chose dans notre esprit qui les représente.

Je ne rejette point ces façons de parler; je les crois vraies étant bien entendues; et je puis même demeurer d'accord de cette dernière conséquence. Mais je nie qu'il s'ensuive de là qu'on soit obligé d'admettre d'autres idées que celles que j'ai définies dans le chapitre précédent, troisième, sixième et septième définitions, qui n'ont rien de commun avec les étres représentatifs distingués des perceptions qui sont les seuls que je combats, comme je l'ai marqué particulièrement dans la septième définition.

Pour bien entendre tout ceci, il faut faire deux ou trois remarques la première est que notre pensée ou perception est essentiellement réfléchissante sur elle-même, ou ce qui se dit plus heureusement en latin, est sui conscia. Car je ne pense point que je ne sache que je pense. Je ne connais point un carré que je ne sache que je le connais je ne vois point le soleil, ou, pour mettre la chose hors de tout doute, je ne m'imagine point voir le soleil, que je ne sois certain que je m'imagine de le voir. Je puis quelque temps après ne me pas souvenir que j'ai conçu telle et telle chose; mais dans le temps que je la conçois, je sais que je la conçois. On peut voir ce que saint Augustin dit sur cela dans le Livre X de la Trinité, chapitre x.

La deuxième est qu'outre cette réflexion qu'on peut appeler virtuelle, qui se rencontre dans toutes nos perceptions, il y en a une autre plus expresse par laquelle nous examinons notre perception par une autre perception, comme chacun l'éprouve sans peine; surtout dans les sciences qui ne se sont formées que par les réflexions que les hommes ont faites sur leurs propres perceptions: comme lorsqu'un géomètre, ayant conçu un triangle comme une figure terminée par trois lignes droites, a trouvé, en examinant la perception qu'il avait de cette figure, qu'il fallait qu'elle eût trois angles, et que ces trois angles fussent égaux à deux droits.

Il n'y a rien, dans ces deux remarques, qui puisse être raisonnablement contesté. Or, joignant à cela ce que nous avons dit dans les définitions troisième, sixième et septième, il s'ensuit que toute perception étant essentiellement représentative de quelque chose, et selon cela s'appelant idée, elle ne peut être essentiellement réfléchissante sur elle-même que son objet immédiat ne soit cette idée, c'est-à-dire la réalité objective de la chose que mon

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