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réduit aux nombres, à l'étendue et à l'essence des étres. Car dans le chapitre VII de la deuxième partie du livre III, il dit qu'il y a quatre manières par lesquelles notre esprit connaît les choses: 1o par elles-mêmes; 2o par leurs idées (c'est-à-dire, par des êtres représentatifs, qui, selon lui, ne se trouvent qu'en Dieu); 3o par conscience ou sentiment intérieur; 4o par conjecture. Or, il ne met que les corps et les propriétés des corps dans cette deuxième classe des choses qu'il prétend ne se pouvoir connaître qu'en la deuxième manière, c'est-à-dire par leurs idées, ce qui est la même chose que d'être vues en Dieu. Et cela a rapport à beaucoup d'autres endroits de son livre, où il réduit aux choses matérielles ce que nous ne pouvons voir par soi-même, mais seulement par des êtres représentatifs distingués des perceptions. Il semble donc que selon cela il ne devrait pas mettre les nombres abstraits, qui font l'objet de l'arithmétique et de l'algèbre, entre les choses qui ne peuvent être vues qu'en Dieu, puisque ces sortes de nombres ne sont point des corps, ni des propriétés des corps, et qu'ils n'ont rien en euxmêmes de matériel, pouvant également être appliqués aux choses spirituelles et corporelles.

Et en effet, je ne vois pas pourquoi, selon cet auteur, les nombres abstraits ne pourraient être connus qu'en Dieu. Car, selon lui, il n'y a que les choses qui ont besoin d'être vues par des êtres représentatifs qui sont vues en Dieu, et c'est seulement ce qui ne peut être intimement uni à notre âme, qui a besoin d'être vue par un être représentatif. Or, les nombres abstraits sont intimement unis à notre âme, puisqu'ils ne sont que dans notre âme, quoique les choses nombrées, pour parler ainsi, soient hors d'elle : donc les nombres abstraits n'ont pas besoin d'être vus en Dieu.

Je trouve une semblable variation au regard des vérités immuables et éternelles. Il dit en quelques endroits qu'on ne les voit point en Dieu, et en d'autres qu'on les y voit.

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Il déclare, en la page 203 « que son sentiment n'est pas que l'on « voie en Dieu ces vérités, et qu'il n'est pas en cela de l'avis de saint Augustin. Nous ne disons pas, dit-il, que nous voyons Dieu « en voyant les vérités éternelles, comme dit saint Augustin, mais « en voyant les idées de ces vérités; car les idées sont réelles, mais l'égalité entre ces idées, qui est la vérité, n'est rien de réel. Quand, par exemple, on dit que du drap que l'on mesure a trois aunes, le drap et les aunes sont réelles, mais l'égalité entre les « aunes et le drap n'est point un être réel, ce n'est qu'un rapport qui « setrouve entre les trois aunes et le drap. Lorsqu'on dit que 2 fois

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* font 4, les idées des nombres sont réelles, mais l'égalité qui est - entre eux n'est qu'un rapport. » On ne voit donc point en Dieu les vérités, parce que ne sont que des rapports, et qu'un rapport n'est rien de réel.

Mais je ne sais comment cela s'accorde avec ce qu'il dit en la page 193: Personne ne peut douter que les idées ne soient des « êtres réels, puisqu'elles ont des propriétés réelles, et que les « unes diffèrent des autres.» Car peut-on nier que les rapports n'aient aussi des propriétés réelles, et que les uns ne diffèrent des autres? N'y en a-t-il point d'égaux et d'inégaux, de plus grands et de plus petits? Le rapport de 3 à 4 n'est-il pas égal au rapport de 15 à 20? Le rapport de 3 à 5 n'est-il pas plus grand que le rapport de 4 à 7, et le rapport de 5 à 11 plus petit que le rapport de 6 à 13? On ne peut donc pas dire qu'un rapport ne soit rien de réel. Que si on dit que ce n'est pas un étre réel, en prenant le mot d'étre pour celui de substance, les nombres abstraits ne sont pas non plus des étres réels. Car, trois aunes en tant qu'aunes sont un étre réel. Mais le nombre de 3, abstrait de toutes les choses nombrées, pour parler ainsi, n'est point un étre réel, n'étant point hors de notre pensée; et ainsi on ne voit pas que ce soit quelque chose de plus réel qu'un rapport. Pourquoi donc y aurait-il plutôt des idées de nombre que des idées de rapport?

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Quoi qu'il en soit, selon ce qu'il dit en cet endroit, on ne voit point en Dieu ni les rapports ni les vérités, parce que ce ne sont que des rapports. Cependant, il semble dire le contraire dans les Éclaircissements (p. 535): «Je vois, dit-il, que deux fois deux font quatre, « qu'il faut préférer son ami à son chien; et je suis certain qu'il n'y a point d'homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi. Or, je ne vois point ces vérités dans l'esprit des autres, << comme les autres ne le voient point dans le mien : il est donc nécessaire qu'il y ait une raison universelle qui m'éclaire et tout ce qu'il y a d'intelligence. » N'est-ce pas dire que chacun de nous, ne voyant pas ces choses dans l'esprit des autres, nous les voyons tous en Dieu? Or, il vient de dire que deux fois deux font quatre n'est qu'un rapport, et la préférence de mon ami à mon chien n'est qu'un rapport aussi. On voit donc les rapports en Dieu selon ce dernier endroit.

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CHAPITRE XIII.

Qu'il a varié aussi dans l'explication des manières dont nous voyons les choses en Dieu; que la première était par les idées; qu'il ne s'en est départi qu'en niant qu'il y ait dans le monde intelligible des idées qui représentent chaque chose en particulier, ce qui ne se peut nier sans erreur.

Il a encore bien plus varié en expliquant la manière dont il prétend que nous voyons les choses en Dieu. Après en avoir proposé une dans le chapitre vi de la deuxième partie du livre III, il s'en rétracte dans les Éclaircissements; et il y prend un tour tout différent qu'il a cru meilleur, quoiqu'il soit incomparablement plus mauvais, et moins propre à nous faire entendre ce qu'il veut que nous croyons de l'union de notre âme avec Dieu pour voir en lui toutes choses 11.

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On en jugera en comparant ensemble ces deux endroits: voici le premier (p. 200). Après avoir supposé deux choses très vraies: l'une " que Dieu a en lui-même les idées de tous les êtres qu'il a crées», l'autre « que Dieu est très intimement uni à nos âmes « par sa présence», il en conclut que l'esprit peut voir en Dieu « les ouvrages de Dieu, supposé que Dieu veuille bien lui décou« vrir ce qu'il y a en lui qui les représente. » Remarquez cette condition, elle enferme deux choses : l'une, que Dieu veuille découvrir à l'homme ce qu'il suppose sans fondement lui être nécessaire pour connaître les ouvrages de Dieu; l'autre, que ce que Dieu lui doit découvrir pour cela, est ce qui en Dieu représente chacun de ses ouvrages, c'est-à-dire les idées selon lesquelles il les a faits, comme saint Augustin l'enseigne et saint Thomas après lui. On ne doute pas que si Dieu voulait découvrir à l'homme ses divines idées pendant cette vie, ce ne lui fût un moyen de connaître les créatures très parfaitement; mais on nie qu'il n'ait point d'autre moyen de les lui faire connaître: et il y a bien des raisons qui font voir qu'il n'use point de ce moyen pour nous en donner la connaissance, surtout pendant cette vie. Car il faudrait pour cela qu'il se fît voir à nous face à face, comme il se fait voir aux bienheureux.

Il a bien prévu cette objection: et voici ce qu'il dit pour la prévenir (p. 200):

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Mais il faut bien remarquer qu'on ne peut pas conclure que les esprits voient l'essence de Dieu de ce qu'ils voient toutes choses en Dieu de cette manière; parce que ce qu'ils voient est « très imparfait et que Dieu est très parfait. Ils voient de la matière

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divisible, figurée, etc., et en Dieu il n'y a rien qui soit divisible « ou figuré; car Dieu est tout être, parce qu'il est infini et qu'il comprend tout; mais il n'est aucun être en particulier. Cepen« dant ce que nous voyons n'est qu'un ou plusieurs êtres en particulier, et nous ne comprenons point cette simplicité parfaite de « Dieu qui renferme tous les êtres. Outre qu'on peut dire qu'on « ne voit pas tant les idées des choses que les choses mêmes que les idées représentent; car, lorsqu'on voit un carré, par exemple, on ne dit pas que l'on voit l'idée de ce carré qui est unie à l'esprit, mais seulement le carré qui est au dehors. »

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S'il pouvait y avoir quelque vraisemblance dans une opinion mal fondée, c'est tout ce qu'on pourrait dire de mieux pour ne rien attribuer à Dieu qui soit indigne de lui, supposé qu'il ait voulu se servir de ces étres représentatifs. Mais c'est mal connaître notre esprit que de s'imaginer qu'une idée qui serait en Dieu, et que notre esprit ne verrait pas, lui pût servir à connaître ce que cette idée représente. C'est comme qui dirait que le portrait d'un homme que je ne connaîtrais que de réputation, étant mis si proche ou si loin de mes yeux que je ne le pourrais voir, ne laisserait pas de me pouvoir servir à connaître le visage de cet homme.

C'est peut-être aussi ce qui lui a fait abandonner cette voie pour en prendre une autre qui lui fait éviter cet inconvénient, mais qui le fait tomber en plusieurs infiniment plus grands, comme nous le verrons plus bas.

Mais je me contenterai de considérer ici que, voulant changer sa première manière de voir les choses en Dieu, il l'a fait en niant une chose très véritable qu'il avait reconnue auparavant. Car il avait assez fait entendre que cette manière consistait en ce que Dieu nous découvrait chacune de ses idées. Et c'est de quoi il ne veut plus demeurer d'accord dans ses Éclaircissements, comme il le déclare en ces termes (p. 548):

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Lorsque j'ai dit que nous voyons les différents corps, par la connaissance que nous avons des perfections de Dieu qui les représentent, je n'ai pas prétendu précisément qu'il y eût en « Dieu certaines idées particulières qui représentassent chaque « corps en particulier : » ce qui a rapport à ce qu'il avait dit auparavant: « Il ne faut pas s'imaginer que le monde intelligible ait « un tel rapport avec le monde matériel et sensible, qu'il y ait, « par exemple, un soleil, un cheval, un arbre, intelligible, destiné « à nous représenter le soleil, un cheval et un arbre.»

Et moi, je dis qu'en ôtant le mot de nous (car les idées de Dieu

ne sont pas pour nous rien représenter au moins tant que nous sommes en cette vie, mais c'est à Dieu même, selon notre manière de concevoir, qu'elles représentent ses ouvrages), ôtant donc ce mot de nous, je soutiens que ce n'est pas une imagination, mais une certitude« que le monde intelligible a un tel rapport avec le « monde matériel et sensible, qu'il y a, par exemple, un soleil, un « cheval, un arbre, intelligible, qui représente un soleil, un cheval, « un arbre. » Et il est impossible que cela ne soit pas ainsi.

Car le monde intelligible n'est autre chose que le monde matériel et sensible, en tant qu'il est connu de Dieu et qu'il est représenté dans ses divines idées. Et, par conséquent, il est impossible qu'il n'y ait pas un parfait rapport de l'un à l'autre, et que tout ce qui est matériellement dans le monde matériel ne soit pas intelligiblement dans le monde intelligible. C'est cela même que l'on doit entendre par les idées qu'on admet en Dieu, et qu'on ne peut pas nly point admettre, dit saint Augustin; puisque pour les nier, il faudrait croire que Dieu eût créé le monde sans raison et sans connaissance de sorte que Platon, ajoute ce saint, a pu être le premier qui a donné le nom d'idée à ce que nous devons concevoir avoir été en Dieu, lorsqu'il a pris le dessein de créer le monde; mais ce qu'il a entendu par ce mot a toujours été reconnu par tous ceux qui ont eu une véritable connaissance de Dieu. Or de cela même que les idées sont en Dieu la forme et l'exemplaire selon lequel il a créé chacun de ses ouvrages, parce qu'il n'y en a aucun, pour petit qu'il soit, qu'il n'ait créé avec une connaissance distincte de ce qu'il faisait, il faut bien nécessairement qu'il y ait des idées particulières qui lui représentent non-seulement le soleil, un cheval, un arbre, mais le plus petit moucheron et le plus petit globule de la matière.

C'est une vérité que l'on ne peut contester. Saint Augustin l'établit en plusieurs endroits. Dans la quarante-sixième question des quatre-vingt-trois que nous venons de citer, après avoir dit que les idées sont les formes, les notions, les raisons selon lesquelles Dieu a créé toutes choses, il déclare expressément que chaque chose a été créée selon son idée particulière. Le latin exprime mieux sa pensée qu'on ne peut faire en français: Quis audeat dicere Deum irrationabiliter omnia condidisse? Quod si rectè dici et credi non potest, restat ut omnia ratione sint condita: nec eâdem ratione homo qua equus; hoc enim absurdum est existimare. Singula igitur propriis sunt creata rationibus. Has autem rationes ubi arbitrandum est esse, nisi in mente Creatoris?

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