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qu'il fait de mieux, lorsque, dans la nécessité de défendre à quelque prix que ce soit sa nouvelle philosophie des idées, il s'est trouvé réduit à attribuer à notre âme cette puissance imaginaire d'attacher la sensation du vert, du rouge, du bleu, ou de quelque autre couleur que ce soit, à une partie quelconque de l'étendue intelligible, qu'il ne peut pas seulement feindre avoir causé quelque mouvement dans l'organe de notre vue.

La manière dont nous avons la perception des corps, selon leur grandeur et leur figure, ne répugne pas moins à la prétention qu'il a, que pour avoir cette perception, je sois obligé d'en aller chercher les idées dans l'étendue intelligible infinie. Car, au regard des corps singuliers, cette perception a encore une dépendance nécessaire avec ce qui se passe dans les organes de nos sens, n'y ayant personne qui ne sache qu'ordinairement notre âme aperçoit les corps plus grands ou plus petits, selon que les images qui en sont peintes dans le fond de notre œil sont plus grandes ou plus petites. Ce n'est pas que ces images causent nos perceptions. Mais c'est que, selon l'institution de l'auteur de la nature, elles ne manquent point de se former dans notre esprit quand les objets frappent nos sens, et selon qu'ils les frappent, soit que ce soit Dieu qui les cause en nous, aussi bien que celles des qualités sensibles, ou qu'il ait donné à notre âme la faculté de les produire en soi-même, ce qui regarde une question toute différente de celle que l'on traile ici. Or cela étant, comme on n'en peut douter, n'est-il pas évident que c'est une pure vision contraire à cette institution de la nature, que de ne s'en pas tenir là, mais de vouloir que notre esprit ne puisse avoir ces perceptions qu'en s'appliquant à une étendue intelligible infinie, dans laquelle on le fait aller chercher les idées de toutes les figures des corps que nous croyons voir et que nous ne voyons point, selon cette nouvelle philosophie des idées.

Quant aux figures abstraites, qui sont l'objet de la géométrie, on sait assez que celles qui sont un peu composées, et surtout les curvilignes, ne se connaissent point ordinairement par une simple vue, mais qu'il y faut employer la considération des mouvements nécessaires pour les tracer, et qu'il faut souvent une longue suite de raisonnements pour en connaître les principales propriétés : sans quoi on ne peut pas dire, surtout selon cet auteur, qu'on en ait une idée claire. Or, qu'a tout cela de commun avec cette prétendue manière d'en avoir l'idée, en l'allant chercher dans une étendue intelligible infinie, où elle ne se trouve point si on no l'y met?

Mais ce qu'a trouvé cet auteur, pour accorder sa doctrine sur ce point des idées avec son autre doctrine que Dieu agit comme cause universelle, dont les volontés générales doivent être déterminées à chaque effet par ses causes qu'il appelle occasionnelles, est encore plus contraire à l'expérience. Car la cause occasionnelle, qu'il a cru déterminer Dieu à nous donner chaque idée en particulier, est le désir que nous en avons. C'est ce qu'il enseigne dans le deuxième éclaircissement, p. 488. « Il ne faut pas, dit-il, s'imaginer « que la volonté commande à l'entendement d'une autre manière « que par ses désirs et ses mouvements; car la volonté n'a point « d'autre action. Et il ne faut croire non plus que l'entendement obéisse à la volonté, en produisant en lui-même les idées des choses que l'âme désire; car l'entendement n'agit point: il ne « fait que recevoir la lumière ou les idées de ces choses, par l'union nécessaire qu'il a avec celui qui renferme tous les êtres d'une manière intelligible, ainsi qu'on l'a expliqué dans le troi«sième livre. Voici donc tout le mystère : L'homme participe à la « souveraine raison, et la vérité se découvre à lui à proportion « qu'il s'applique à elle, et qu'il la prie. Or le désir de l'âme est « une prière naturelle, qui est toujours exaucée; car c'est une loi naturelle que les idées soient d'autant plus présentes à l'esprit, que la volonté les désire avec plus d'ardeur.

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Cela serait beau, s'il était vrai. Mais l'expérience y est si contraire, que je ne puis comprendre comment on se hasarde d'avancer de telles choses, sans s'être auparavant consulté soi-même. Si on l'avait fait, on n'aurait pas manqué de reconnaître qu'il y a bien des objets qui nous déplaisent, et que nous voudrions bien ne pas voir, dont les idées ne laissent pas d'être fort présentes à notre esprit, et que nous souffrons avec peine des représentations fâcheuses que nous souhaiterions fort de ne point voir, bien loin de les désirer.

Mais il est encore bien plus manifeste qu'au regard des essences des choses, de l'étendue et des nombres, à quoi il restreint quelquefois ce que nous voyons en Dieu, on ne peut dire avec vérité que ce soit une loi naturelle que les idées soient d'autant plus présentes à l'esprit que la volonté les désire avec plus d'ardeur. Je ne sais que confusément ce que c'est qu'une parabole : j'ai beau désirer d'en avoir une idée plus claire et plus distincte qui m'en puisse faire connaître les propriétés, je suis assuré que si je ne fais que le désirer, avec quelque ardeur que je le désire, je n'éprouverai point, ce qu'on me dit avec tant de confiance, « que le désir

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« de l'âme, qui souhaite d'avoir l'idée d'un objet, est une prière naturelle qui ne manque jamais d'être exaucée, et que l'expé«rience nous apprend que l'idée de ce que nous avons envie de « connaître est d'autant plus présente et plus claire, que notre « desir est plus fort. » Car, tant s'en faut que l'expérience m'apprenne cela, qu'elle m'apprend certainement tout le contraire.

Il en est de même des nombres. Car j'aurais beau désirer des années entières, et avec toute l'ardeur possible de savoir le nombre de la période julienne, dont j'ai parlé dans l'article précédent, qui a pour ses trois caractères, 5. 6. 7. on supposera tant qu'on voudra que Dieu est l'auteur de nos idées, il est certain que je me trouverai trompé, si je m'attends que l'envie que j'en ai sera la cause occasionnelle, qui déterminera Dieu à me rendre présente à mon esprit l'idée de ce nombre. Mais si je me sers pour le trouver de la méthode dont il est parlé dans un des journaux des savants, je ne me souviens pas de quelle année, soit qu'on ait peu d'envie de le savoir, ou qu'on en ait une fort grande, ce sera la recherche qu'on en fera par cette méthode que l'on pourra appeler une prière naturelle, qui ne manquera point d'être exaucée. Cependant on assure que le désir est cette prière, qui ne manque point d'être exaucée. Car, outre ce que j'ai déjà rapporté, on dit un peu plus bas : « Nous ne souhaitons jamais de penser à quelque objet, << que l'idée de cet objet ne nous soit aussitôt présente : et, comme l'expérience nous l'apprend, cette idée est d'autant plus présente « et plus claire, que notre désir est plus fort..... Ainsi, quand j'ai « dit que la volonté commande à l'entendement de lui présenter quelque objet particulier, j'ai prétendu seulement dire que l'âme, qui veut considérer avec attention cet objet, s'en approche par « son désir; parce que ce désir, en conséquence des volontés effi« caces de Dieu, qui sont les lois inviolables de la nature, est la « cause de la présence et de la clarté de l'idée qui représente cet objet. Je n'avais garde de parler d'une autre façon, ni de m'expliquer comme je fais présentement; car je n'avais pas encore prouvé que Dieu seul est l'auteur de nos idées, et que nos volontés particulières en sont les causes occasionnelles.

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Il est assez difficile que deux personnes conviennent, quand l'une et l'autre se fondent sur des expériences contraires. Je m'imagine néanmoins qu'il ne sera pas difficile de juger laquelle de nos deux expériences sera plus conforme à celle des autres hommes. Et je viens de plus de trouver un passage de notre ami, que je ne vois pas comment il pourra accorder avec cette maxime des Éclaircis

sements: Nous ne souhaitons jamais de penser à quelque objet, que l'idée de cet objet ne nous soit aussitôt présente. » Car je ne sais si l'on peut former une proposition plus directement contraire à celle-là, que celle-ci de la p. 215 : « Il est absolument faux, dans l'état où nous sommes, que les idées des choses soient présentes « à notre esprit toutes les fois que nous les voulons considérer. »

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CHAPITRE XVII.

Autre variation de cet auteur, qui dit tantôt qu'on voit Dieu en voyant les créatures en Dieu, et tantôt qu'on ne le voit point, mais seulement les créatures.

Une autre variation de cet auteur, que j'ai touchée en passant, mais que je n'ai pas assez fait considérer, est qu'il dit tantôt que l'on voit Dieu en voyant en lui les choses matérielles, et tantôt qu'on ne le voit pas, mais seulement les choses matérielles.

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Il dit qu'on le voit en la p. 20. Et il prétend même que Dieu n'a pu faire autrement, par ce raisonnement étrange, qu'il appelle une démonstration: « La dernière preuve, dit-il, qui sera peut« être une démonstration pour ceux qui sont accoutumés aux rai<< sonnements abstraits est celle-ci : Il est impossible que Dieu ait « d'autre fin principale de ses actions que lui-même : il est donc « nécessaire que non-seulement notre amour naturel, je veux dire « le mouvement qu'il produit dans notre esprit, tende vers lui; mais encore que la connaissance, et que la lumière qu'il lui << donne nous fasse connaître quelque chose qui soit en lui; car tout ce qui vient de Dieu ne peut être que pour Dieu. Si Dieu « faisait un esprit, et lui donnait pour idée ou pour objet immédiat « de sa connaissance le soleil, Dieu ferait, ce me semble, cet esprit, « et l'idée de cet esprit pour le soleil et non pas pour lui. Dieu ne peut donc faire un esprit pour connaître ses ouvrages, si ce n'est « que cet esprit voit en quelque façon Dieu en voyant ses ouvrages. « De sorte que l'on peut dire que si nous ne voyions Dieu en quel« que manière, nous ne verrions aucune chose. »

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J'ai appelé ce raisonnement étrange, parce qu'il l'est en effet, et que c'est un pur sophisme, bien loin d'être une démonstration. Car cet auteur prétend que notre âme se connaît elle-même sans se voir en Dieu, et sans rien voir qui soit en Dieu en se connaissant. Or cela ne donne pas lieu de dire que notre âme soit pour ellemême, et non pas pour Dieu. Encore donc que notre esprit eût le soleil pour objet immédiat de sa connaissance, on ne pourrait pas

dire pour cela que notre esprit fût pour le soleil et non pas pour Dieu. Et en effet, il n'y a aucune liaison de cette conséquence à l'antécédent. Car d'une part ce n'est pas tant ce que je fais au regard des choses purement naturelles, que la fin pour laquelle je les dois faire, autant que je puis, qui doit marquer que j'ai été créé pour Dieu; et de l'autre c'est par ma volonté, et non par mon esprit que je me dois rapporter à ma dernière fin. Tout ce que l'on peut donc dire au regard de la connaissance que j'ai du soleil est, que pour satisfaire pleinement à l'institution de ma nature, je ne dois pas voir le soleil seulement pour le voir et pour y chercher ma propre satisfaction, parce que ce serait alors qu'il pourrait sembler que j'aurais été fait pour le soleil, mais que je dois rapporter à Dieu la connaissance que j'ai du soleil, en le louant de ses ouvrages, et lui rendant grâce de l'utilité que j'en reçois. Voilà ce que l'on peut raisonnablement conclure à cet égard de la maxime générale : Que Dieu nous a faits pour lui. Mais je ne sais qui sont ces esprits accoutumés aux raisonnements abstraits, qui trouveront qu'on en doit conclure, que si Dieu ne nous faisait connaître quelque chose qui est en lui, en nous faisant voir le soleil, il semblerait qu'il aurait fait notre esprit pour le soleil et non pas pour lui. Quoi qu'il en soit, il paraît par cette prétendue démonstration, bonne ou mauvaise, que son sentiment est « que tout ce qui vient de Dieu ne pouvant être que pour Dieu, il ne peut faire un esprit - pour connaître ses ouvrages, si ce n'est que notre esprit voit en quelque façon Dieu, en voyant ses ouvrages.

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Et en la p. 200: « Puisque Dieu peut faire voir aux esprits toutes choses, en voulant simplement qu'ils voient ce qui est au milieu « d'eux-mêmes, c'est-à-dire ce qu'il y a dans lui-même qui a rapport à ces choses et qui les représente, il n'y a pas d'apparence qu'il le fasse autrement. » Et un peu plus bas : « Nous voyons tous les êtres créés, à cause que Dieu veut que ce qui est en lui qui les représente, nous soit découvert : » or ce qui est en Dieu qui représente les êtres créés, est Dieu même : cela ne peut donc nous être découvert que nous ne voyions Dieu: donc nous voyons Dieu en voyant les êtres créés.

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Et en la p. 202: Nous ne disons pas que nous voyons Dieu en voyant les vérités, mais en voyant les idées de ces vérités. » Il prétend donc qu'on voit Dieu en voyant l'idée du soleil et l'idée de la terre, mais non pas précisément en voyant cette vérité que le soleil est plus grand que la terre. Et un peu plus bas : Selon notre sentiment NOUS VOYONS DIEU, lorsque nous voyons des vérités éter

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