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La seconde connaissance par parties est quand on considère un mode sans faire attention à la substance, ou deux modes qui sont joints ensemble dans une même substance en les regardant chacun à part. C'est ce qu'ont fait les géomètres qui ont pris pour objet de leur science le corps étendu en longueur, largeur et profondeur: car, pour le mieux connaître, ils se sont premièrement appliqués à le considérer, selon une seule dimension qui est la longueur; et alors ils lui ont donné le nom de ligne. Ils l'ont considéré ensuite selon deux dimensions, la longueur et la largeur, et ils l'ont appelé surface. Et puis, considérant toutes les trois dimensions ensemble, longueur, largeur et profondeur, ils l'ont appelé solide ou corps.

On voit par là combien est ridicule l'argument de quelques Sceptiques qui veulent faire douter de la certitude de la géométrie, parce qu'elle suppose des lignes et des surfaces qui ne sont point dans la nature; car les géomètres ne supposent point qu'il y ait des lignes sans largeur ou des surfaces sans profondeur; mais ils supposent seulement qu'on peut considérer la longueur sans faire attention à la largeur; ce qui est indubitable, comme lorsqu'on mesure la distance d'une ville à une autre, on ne mesure que la longueur des chemins, sans se mettre en peine de leur largeur.

Or, plus on peut séparer les choses en divers modes, et plus l'esprit devient capable de les bien connaître; et ainsi nous voyons que tant qu'on n'a point distingué dans le mouvement la détermination vers quelque endroit, du mouvement même, et même diverses parties dans une même détermination, on n'a pu rendre de raison claire de la réflexion et de la réfraction, ce qu'on a fait aisément par cette distinction, comme on peut voir dans le chapitre II de la Dioptrique de Descartes.

La troisième manière de concevoir les choses par abstraction est quand une même chose ayant divers attributs, on pense à l'un sans penser à l'autre, quoiqu'il n'y ait entre eux qu'une distinction de raison et voici comme cela se fait. Si je fais, par exemple, réflexion que je pense, et que par conséquent je suis moi qui pense, dans l'idée que j'ai de moi qui pense, je puis m'appliquer à la considération d'une chose qui pense, sans faire attention que c'est moi, quoique en moi, moi et celui qui pense ne soit que la même chose; et ainsi l'idée que je concev rai d'une personne qui pense pourra représenter, non-seulement moi, mais toutes les autres personnes qui pensent. De même, ayant figuré sur un papier

un triangle équilatère, si je m'attache à le considérer au lieu où il est avec tous les accidents qui le déterminent, je n'aurai l'idée que d'un seul triangle; mais si je détourne mon esprit de la considération de toutes ces circonstances particulières, et que je ne l'applique qu'à penser que c'est une figure bornée par trois lignes égales, l'idée que je m'en formerai me représentera d'une part plus nettement cette égalité des lignes, et de l'autre sera capable de me représenter tous les triangles équilatères. Que si je passe plus avant, et que ne m'arrêtant plus à cette égalité des lignes, je considère seulement que c'est une figure terminée par trois lignes droites, je me formerai une idée qui peut représenter toutes sortes de triangles. Si ensuite, ne m'arrêtant point au nombre des lignes, je considère seulement que c'est une surface plate, bornée par des lignes droites, l'idée que je me formerai pourra représenter toutes les figures rectilignes, et ainsi je puis monter de degré en degré jusqu'à l'extension. Or, dans ces abstractions, on voit toujours que le degré inférieur comprend le supérieur avec quelque détermination particulière, comme moi comprend ce qui pense, et le triangle équilatère comprend le triangle, et le triangle la figure rectiligne; mais que le degré supérieur étant moins déterminé peut représenter plus de choses.

Enfin, il est visible que par ces sortes d'abstractions, les idées, de singulières, deviennent communes, et les communes plus communes, et ainsi cela nous donnera lieu de passer à ce que nous avons à dire des idées considérées selon leur universalité ou particularité.

CHAPITRE VI.

Des idées, considérées selon leur généralité, particularité et singularité.

Quoique toutes les choses qui existent soient singulières, néanmoins, par le moyen des abstractions que nous venons d'expliquer, nous ne laissons pas d'avoir tous plusieurs sortes d'idées, dont les unes ne nous représentent qu'une seule chose, comme l'idée que chacun a de soi-même, et les autres en peuvent également représenter plusieurs, comme lorsque quelqu'un conçoit un triangle sans y considérer autre chose, sinon que c'est une figure à trois lignes et à trois angles; l'idée qu'il en a formée peut lui servir à concevoir tous les autres triangles.

Les idées qui ne représentent qu'une seule chose s'appellent

singulières ou individuelles, et ce qu'elles représentent, des individus; et celles qui en représentent plusieurs s'appellent universelles, communes, générales.

Les noms qui servent à marquer les premières s'appellent propres, Socrate, Rome, Bucéphale; et ceux qui servent à marquer les dernières, communs et appellatifs, comme homme, ville, cheval; et tant les idées universelles que les noms communs, peuvent s'appeler termes généraux.

Mais il faut remarquer que les mots sont généraux en deux manières : l'une, que l'on appelle univoque, qui est lorsqu'ils sont liés avec des idées générales; de sorte que le même mot convient à plusieurs, et selon le son, et selon une même idée qui y est jointe: tels sont les mots dont on vient de parler, d'homme, de ville, de cheval.

L'autre, qu'on appelle équivoque, qui est lorsqu'un même son a été lié par les hommes à des idées différentes; de sorte que le même son convient à plusieurs, non selon une même idée, mais selon les idées différentes auxquelles il se trouve joint dans l'usage: ainsi le mot de canon signifie une machine de guerre, et un décret de Concile, et une sorte d'ajustement; mais il ne les signifie que selon des idées toutes différentes.

Néanmoins cette universalité équivoque est de deux sortes. Car les différentes idées jointes à un même son, ou n'ont aucun rapport naturel entre elles, comme dans le mot de canon, ou en ont quelqu'un, comme lorsqu'un mot étant principalement joint à une idée, on ne le joint à une autre idée que parce qu'elle a un rapport de cause ou d'effet, ou de signe, ou de ressemblance à la première; et alors ces sortes de mots équivoques s'appellent analogues; comme quand le mot de sain s'attribue à l'animal, à l'air et aux viandes, car l'idée jointe à ce mot est principalement la santé qui ne convient qu'à l'animal; mais on y joint une autre idée approchante de celle-là, qui est d'être cause de la santé, qui fait qu'on dit qu'un air est sain, qu'une viande est saine, parce qu'ils servent à conserver la santé.

Mais quand nous parlons ici de mots généraux, nous entendons les univoques qui sont joints à des idées universelles et générales. Or, dans ces idées universelles, il y a deux choses qu'il est très important de bien distinguer, la compréhension et l'étendue.

J'appelle compréhension de l'idée, les attributs qu'elle enferme en soi, et qu'on ne peut lui ôter sans la détruire, comme la compréhension de l'idée du triangle enferme extension, figure, trois

lignes, trois angles, et l'égalité de ces trois angles à deux droits, etc.

J'appelle étendue de l'idée, les sujets à qui cette idée convient; ce qu'on appelle aussi les inférieurs d'un terme général, qui, à leur égard, est appelé supérieur, comme l'idée du triangle en général s'étend à toutes les diverses espèces de triangle.

Mais, quoique l'idée générale s'étende indistinctement à tous les sujets à qui elle convient, c'est-à-dire à tous ses inférieurs, et que le nom commun les signifie tous, il y a néanmoins cette différence entre les attributs qu'elle comprend et les sujets auxquels elle s'étend, qu'on ne peut lui ôter aucun de ses attributs sans la détruire, comme nous avons déjà dit; au lieu qu'on peut la resserrer, quant à son étendue, ne l'appliquant qu'à quelqu'un des sujets auxquels elle convient, sans que pour cela on la détruise. Or, cette restriction ou resserrement de l'idée générale, quant à son étendue, peut se faire en deux manières:

La première est, par une autre idée distincte et déterminée qu'on y joint, comme lorsqu'à l'idée générale du triangle, je joins celle d'avoir un angle droit ; ce qui resserre cette idée à une seule espèce de triangle, qui est le triangle rectangle.

L'autre, en y joignant seulement une idée indistincte et indéterminée de partie, comme quand je dis, quelque triangle; et on dit alors que le terme commun devient particulier, parce qu'il ne s'étend plus qu'à une partie des sujets auxquels il s'étendait auparavant, sans que néanmoins on ait déterminé quelle est cette partie à laquelle on l'a resserré.

CHAPITRE VII.

Des cinq sortes d'idées universelles, genres, espèces, différences, propres, accidents.

Ce que nous avons dit, dans les chapitres précédents, nous donne moyen de faire entendre en peu de paroles les cinq universaux qu'on explique ordinairement dans l'école 12.

Car lorsque les idées générales nous représentent leurs objets comme des choses, et qu'elles sont marqueés par des termes appelés substantifs ou absolus, on les appelle genres ou espèces.

Du genre.

On les appelle genres quand elles sont tellement communes,

qu'elles s'étendent à d'autres idées qui sont encore universelles, comme le quadrilatère est genre à l'égard du parallelogramme et du trapèze : la substance est genre à l'égard de la substance étendue qu'on appelle corps, et de la substance qui pense qu'on appelle esprit.

De l'espèce.

Et ces idées communes, qui sont sous une plus commune et plus générale, s'appellent espèces; comme le parallélogramme et le trapèze sont les espèces du quadrilatère, le corps et l'esprit sont les espèces de la substance.

Et ainsi la même idée peut être genre, étant comparée aux idées auxquelles elle s'étend, et espèce, étant comparée à une autre qui est plus générale, comme corps, qui est un genre au regard du corps animé et du corps inanimé, et une espèce au regard de la substance; et le quadrilatère, qui est un genre au regard du parallélogramme et du trapèze, est une espèce au regard de la figure.

Mais il y a une autre notion du mot d'espèce, qui ne convient qu'aux idées qui ne peuvent être genres; c'est lorsqu'une idée n'a sous soi que des individus et des singuliers, comme le cercle n'a sous soi que des cercles singuliers qui sont tous d'une même espèce. C'est ce qu'on appelle espèce dernière, species infima.

Il y a un genre qui n'est point espèce; savoir, le suprême de tous les genres, soit que ce genre soit l'être, soit que ce soit la substance, ce qu'il est de peu d'importance de savoir, et qui regarde plus la métaphysique que la logique.

J'ai dit que les idées générales qui nous représentent leurs objets comme des choses, sont appelées genres ou espèces; car il n'est pas nécessaire que les objets de ces idées soient effectivement des choses et des substances; mais il suffit que nous les considérions comme des choses, en ce que, lors même que ce sont des modes, on ne les rapporte point à leurs substances, mais à d'autres idées de modes moins générales ou plus générales, comme la figure, qui n'est qu'un mode au regard du corps figuré, est un genre au regard des figures curvilignes et rectilignes, etc.

Et au contraire les idées qui nous représentent leurs objets comme des choses modifiées, et qui sont marquées par des termes adjectifs ou connotatifs, si on les compare avec les substances que ces termes connotatifs signifient confusément, quoique directement, soit que dans la vérité ces termes connotatifs signifient des

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