Immagini della pagina
PDF
ePub

la notion de l'âme, étant obscure et confuse, doit nécessairement avoir une autre origine. Sans doute la notion de l'âme est obscure, si par idée claire on entend une idée qui représente complétement son objet; mais à ce compte même, elle l'est beaucoup moins que celle de l'étendue, des figures et des nombres dont nous ignorons une foule de propriétés, tandis que nous connaissons la plupart des facultés et des modifications de notre esprit. Que si au contraire on entend par idée claire une idée dont l'évidence produise cette adhésion intime qui constitue la certitude, il n'y a rien de plus clair que la notion de l'âme, parce qu'il n'y a rien de plus certain : de sorte qu'à n'envisager que la clarté seule de nos perceptions, Malebranche ne devait pas expliquer la connaissance de l'esprit par un principe moins élevé que celle du corps1.

La théorie des idées est donc insoutenable dans son principe, et plus encore sous la forme particulière que l'auteur de la Recherche de la Vérité lui a donnée. Nous ne voyons les objets matériels ni dans les idées divines, ni au moyen d'images émanées de leur surface, ni d'aucune autre manière indirecte; nous les voyons en eux-mêmes, sans intermédiaire, par la seule vertu de la faculté de connaître que nous avons reçue de la Providence. Cette explication n'est pas seulement la plus simple, elle est aussi la plus profonde, parce que la profondeur ne consiste pas à imaginer des raisons à l'infini, mais à s'arrêter au terme fixé par la nature et par la vérité. Toute théorie qui essaie d'aller plus avant est une œuvre d'imagination, non de raison,

(1) Des vraies et des fausses Idées, ch. xxi, xx, xxiv.

une hypothèse dénuée de preuves, qui soulève d'inextricables difficultés.

Tels sont, à part quelques points accessoires, le fond et le plan général du traité Des vraies et des fausses Idées. Quant à la méthode, elle ne diffère pas de celle qu'Arnauld a constamment suivie dans tous ses ouvrages de polémique. C'est une sorte de compromis entre les allures géométriques de l'école de Descartes, le formalisme de la scolastique et la démarche plus libre et moins régulière de la philosophie moderne. A l'exemple des géomètres, Arnauld établit des définitions, des axiomes, des demandes. Comme un docteur de la vieille école, il aime à enfermer son adversaire dans le cercle d'un syllogisme, et rapprochant l'opinion qu'il attaque d'un principe incontestable, à en prouver la fausseté par voie de conséquence. Chef de parti, écrivain populaire, il entremêle son argumentation de mouvements passionnés, de figures vives et pénétrantes, destinées à rendre la vérité sensible et le paradoxe ridicule. Cette méthode, alliance bizarre de procédés contraires, est-elle au fond la meilleure? Il est permis d'en douter. Un géomètre ne la jugerait pas encore assez exacte; tout philosophe qui ne sera pas mathématicien en blâmera la sécheresse. Elle ne rend pas à la pensée en précision rigoureuse ce qu'elle enlève à l'expression d'élégante facilité. La forme du traité Des vraies et des fausses Idées est sans doute remarquable par la netteté; mais elle est en général dépourvue de souplesse, d'éclat et d'élévation. Combien Arnauld est un écrivain inférieur, je ne dirai pas à Fénélon et à Bossuet, mais à son rival et à Descartes!

V.

Par la vigueur du raisonnement, comme par le nom de son auteur, le traité Des vraies et des fausses Idées était la plus rude épreuve que la théorie de la vision en Dieu eût encore subie. Malebranche répondit avec toute la fierté du génie méconnu et toute l'amertume de l'amourpropre blessé. A le croire, un misérable esprit de coterie et le dépit qu'il ressentait du livre De la Nature et de la Grâce, avaient seuls poussé Arnauld à réfuter un ouvrage publié depuis dix ans. Par un artifice indigne d'un chrétien et d'un prêtre, il avait choisi la partie la plus abstraite de la Recherche de la Vérité, celle que la foule des lecteurs pouvait le moins comprendre, afin de décrier l'auteur comme un visionnaire qui se perdait dans sa nouvelle philosophie des idées, et qui, au lieu de chercher l'intelligence des mystères de la grâce dans la lumière des saints, la cherchait dans ses propres pensées. Plût à Dieu que lui-même, renonçant aux opinions nouvelles qu'il érigeait en dogmes contre le jugement des Pères et de l'Église, il eût bien voulu se défaire pour quelque temps de ses anciens préjugés et arracher, la poutre qui l'aveuglait avant de prétendre éclairer les autres1! Malebranche continue sur le même ton dans tout son livre, passe avec légèreté sur les plus forts arguments d'Arnauld; puis termine par ces hautaines paroles : « Si je n'ai pas répondu * en particulier à tous les raisonnements qu'il a faits, ce

(1) Réponse au livre Des vraies et des fausses Idées, p. 3, 13, 29 et 30. Toutes les Réponses de Malebranche à Arnauld ont été réunies en 4 vol. in-12. Paris, 1709.

" n'est pas que je manquasse de réponse, c'est plutôt qu'ils n'en méritaient aucune 1. "

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

A cette réplique altière, Arnauld opposa une défense de six cents pages, divisée en cinq parties, où revenant sur ses premières objections, les fortifiant par de nouvelles, poussant Malebranche avec une logique inexorable d'une erreur à une autre erreur jusqu'au scandale et à l'impiété, il l'accusait de faire Dieu corporel. « L'énormité de ce paradoxe, dit-il, et la bonne opinion que l'amitié et la charité me donnaient de l'auteur me fermaient en quelque << sorte les yeux pour ne pas être frappé de la lumière des raisons qui se présentaient à moi; mais depuis sa réponse « au Traité des Idées, mon doute s'est changé en une opinion arrêtée... Je n'appréhende point d'assurer qu'il met de l'étendue en Dieu formellement. » Après avoir développé les motifs qui l'avaient conduit à prêter à Malebranche un sentiment si dangereux et si contraire à la religion," Arnauld continuait en ces termes: «De quelque « manière qu'il entreprenne de répondre à ces raisons, soit « en défendant ce qu'elles prouvent, soit en le désavouant,

[ocr errors]

66

[ocr errors]
[ocr errors]

66

[ocr errors]
[ocr errors]

« je le prie d'éviter ces manières cavalières qui ne vont point au fond, de n'user point de défaites et d'équivoques qui ne font que brouiller, de ne point prendre le change et de ne point étourdir le monde par des injures " en l'air qui sont plus contre lui que contre moi, et qui n'éclaircissent point la dispute 2. » Malgré l'emportement qui règne en général dans cette défense d'Arnauld, elle se

[ocr errors]

"n

(1) Réponse au livre Des vraies et des fausses Idées, p. 320 et 321, (2) Défense de M. Arnauld, p. 304, 313,

termine par de belles paroles qu'on ne saurait trop méditer:

"

[ocr errors]

« Je prie Dieu, dit-il, que dans une dispute qui doit être consacrée à la vérité, il nous donne à l'un et à l'autre un désir sincère de la rechercher uniquement; une résolution ferme de lui sacrifier tous nos intérêts et tous ces « faux points d'honneur, dont notre amour-propre nous ❝ fait des idoles ; et un zèle pour la soutenir, autant qu'il ❝ nous la fera connaître, qui ne soit mêlé d'aucune amer« tume contre les personnes qui nous paraissent la ruiner " en s'imaginant l'établir. C'est ce que recommande saint Augustin à tous ceux qui écrivent pour l'Église par ces " courtes et excellentes paroles: Aimez les hommes, étouf" fez les erreurs, présumez de la vérité sans orgueil, com« battez sans aigreur pour la vérité : Diligite homines, interficite errores : sine superbia de veritate præsumite : sine sævitia pro veritate certate1.

[ocr errors]
[ocr errors]

Malebranche crut devoir à ses convictions, à ses amis, à lui-même, de prouver que par l'étendue intelligible il avait toujours compris la connaissance de l'étendue sans admettre en Dieu aucun élément matériel, comme son fougueux adversaire le lui reprochait2; mais quant aux autres points, il refusa de répondre, déclarant « qu'il ne prétendait pas employer sa vie à des contestations inutiles." Le débat ayant alors cessé faute de combattants, il reprit, quelques années plus tard, à l'occasion du Système de philosophie de Sylvain Régis, dont Malebranche, qui y était

(1) Défense de M. Arnauld, p. 622 et 623.

(2) Trois lettres du P. Malebranche touchant la Défense de M. Arnauld, lett, I.

b.

« IndietroContinua »