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des maîtres de la philosophie moderne qu'il aurait pu égaler, sans toutefois leur ressembler, si d'autres soucis, d'autres études, d'autres luttes n'avaient rempli sa vie et comme absorbé cette mâle intelligence.

II.

Le premier ouvrage philosophique sorti de la plume d'Arnauld est la thèse qu'il rédigea en 1641 pour un de ses disciples au collége du Mans, Charles Walon de Beaupuis, devenu plus tard directeur des écoles de Port-Royal et du séminaire de Beauvais, et mort au commencement du dix-huitième siècle avec une grande réputation de savoir et de vertu. Anciennement une thèse consistait en quelques propositions non développées que le candidat devait soutenir contre ses juges. Celle du sieur de Beaupuis n'a rien innové à ce vieil usage; Arnauld ne fait qu'y poser dans un latin assez pur des conclusions au nombre de vingt-quatre sur différents points de physique, de mathématiques, de morale et de métaphysique1. On sent combien une pareille ébauche a peu d'importance; elle ne mériterait pas d'être mentionnée, si elle ne marquait le premier pas d'un homme célèbre dans une carrière où il devait acquérir une gloire durable.

Le cartésianisme fournit à Arnauld une occasion plus favorable d'exercer son talent philosophique. Descartes, sur le point de publier ses Méditations, avait chargé Mersenne d'en communiquer le manuscrit aux théologiens qu'il

(1) OEuvres complètes, t. XXXVIII, p. 1-6.

jugerait les plus capables, les moins préoccupés des « erreurs de l'école, les moins intéressés à les maintenir,

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enfin les plus gens de bien, sur qui il reconnaîtrait que la vérité et la gloire de Dieu auraient plus de force que l'envie et la jalousie1. Il espérait recueillir des approbations qui pussent soutenir l'ouvrage et empêcher les cavillations des « ignorants qui auraient envie de contredire, s'ils n'étaient « retenus par l'autorité de personnes doctes 2. » Ce qui importait surtout était d'obtenir l'avis des docteurs de la faculté de théologie de Paris. Mais, remarque Baillet, soit qu'ils approuvassent entièrement l'ouvrage, soit qu'ils le méprisassent, soit enfin qu'ils ne l'entendissent pas, il ne se trouva personne dans tout ce grand et vénérable corps qui voulût s'ériger en censeur de Descartes, si l'on excepte un jeune docteur ou licencié de Sorbonne qui, ayant lu autrefois le Discours de la méthode avec plaisir, avait acquiescé au désir du P. Mersenne3. Ce jeune docteur était Arnauld, que les circonstances appelaient, à peine âgé de vingt-huit ans, à donner son jugement d'un ouvrage qui contenait le germe de la philosophie moderne.

Le premier objet sur lequel portent les objections, ou plutôt les observations d'Arnauld, est la nature de l'esprit humain. Il rappelle, en commençant, que le plus grand des Pères de l'Eglise latine, saint Augustin, avait établi pour fondement de la connaissance humaine le même fait que Descartes, l'existence personnelle révélée par la pensée; rapprochement curieux et utile qui ne détruisait pas

(1) La Vie de M. Descartes, Paris, 1691 p. 104.

(2) Vie de Descartes, p. 102. (3) Vie de Descartes, p. 124

l'originalité du cartésianisme et qui, en le fortifiant de l'autorité d'un nom respecté, prévenait de fâcheuses résistances.

Arnauld examine ensuite si la distinction de l'âme et du corps peut se conclure de l'idée que nous avons de l'un comme sujet étendu et de l'autre comme sujet pensant, et développe les motifs qui le portent à regarder cette conclusion, non comme fausse en elle-même, mais comme hasardée et sans rapport avec les prémisses. Après avoir médité de nouveau la question et pesé les réponses de Descartes, Arnauld finit par se rendre à son avis, et déclara tout ce que l'auteur des Méditations avait écrit sur ce sujet

très clair, très évident et tout divin1. » Pour notre part, nous osons croire qu'il a cédé un peu hâtivement, et que sa première opinion était plus conforme à l'exacte vérité. Toute preuve de la spiritualité de l'âme qui part de la différence pure et simple de l'étendue et de la pensée, est en effet très imparfaite; car elle suppose que des attributs qui diffèrent ne peuvent appartenir à un même sujet; ce qui n'est pas, comme l'expérience sensible l'atteste. Si on veut la compléter, il faut pousser plus avant l'analyse des phénomènes psychologiques et des faits sensibles, de manière à établir que le sujet où se produisent les uns n'est pas le sujet qui comprend les autres. Il faut montrer, par exemple, que l'exercice de la pensée demande des conditions d'unité et d'identité que ne remplit pas la substance matérielle, assemblage mobile de parties qui se renouvellent de moment en moment; que nous possédons une

(1) Lettre à Descartes, OEuvres complètes, t. XXXVIII.

que

activité volontaire et libre qui se possède parce qu'elle se connaît, tandis que la matière ou est absolument inerte, ou n'a qu'une force aveugle et fatalement régie; les mêmes causes agissent dans la plupart des cas sur l'esprit et sur le corps d'une façon très opposée, émouvant l'une avec violence, effleurant à peine l'autre, et réciproquement. Or, aucun de ces faits, ni une foule d'autres du même genre, ne paraissent avoir été considérés par Descartes, qui se borne à répéter sous toutes les formes que la notion de l'étendue ne comprend pas celle de la pensée et n'y est pas comprise. Sa gloire impérissable est d'avoir vivement senti, fortement soutenu, que le principe intellectuel est distinct de l'organisation physique; mais s'il a mis sur la voie d'une démonstration rigoureuse de cette grande vérité, il est juste de reconnaître qu'il ne l'a pas donnée.

Arnauld soulève deux autres questions assez graves: la première si nous avons connaissance de tout ce qui se passe en nous, la seconde si nous pensons toujours. Puisque l'existence de l'âme consiste dans la pensée, exister pour elle, c'est penser; elle pense donc du moment qu'elle existe, c'est-à-dire à l'instant même de la conception, et ce phénomène se continue sans interruption pendant toute la durée de la vie. Comme d'ailleurs la pensée n'a de réalité qu'autant qu'elle vient se redoubler dans la conscience, il faut bien que pas une seule de nos pensées ne nous échappe, sauf à en oublier par la suite le plus grand nombre. Telle est la réponse que Descartes adresse à Arnauld: elle nous paraît la conséquence rigoureuse de sa théorie sur la nature de l'âme.

Relativement à la démonstration de l'existence divine, Arnauld critique avec vivacité cette pensée que Dieu est positivement par soi-même comme par une cause1. Il montre que la cause précédant toujours son effet, si la divinité était la cause de son être, elle se précéderait elle-même elle se serait donné ce qu'elle possédait déjà; elle se conserverait ou plutôt elle se rendrait ce qu'elle ne peut jamais perdre, conséquence inadmissible ou même absurde. A parler proprement, on ne peut pas demander la cause de l'existence divine; cette cause n'est pas pour la raison. Dieu existe comme un triangle a trois angles, parce qu'il est dans la nature d'un être parfait d'exister. Descartes rétracta dans sa réponse la proposition qui avait scandalisé Arnauld. Il convint: 1° que Dieu n'est pas la cause efficiente de lui-même ; 2o qu'il ne se conserve par aucune influence positive, et il se borna à justifier les termes de la troisième Méditation; ce qu'il déduisit peut-être plus au long que la chose ne semblait le mériter, « afin, dit-il, de montrer qu'il prenait soigneusement garde à ne pas mettre dans ses écrits la moindre chose que les théologiens pussent censurer avec raison2. »

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Arnauld termine en signalant quelques points susceptibles d'alarmer la foi et d'être entendus en mauvaise part, entre autres le doute érigé en méthode et la confusion des erreurs spéculatives et des erreurs pratiques.

Les objections d'Arnauld se distinguent par une modération respectueuse qui contraste avec la légèreté malveillante de quelques-uns des adversaires du carté

(1) Voyez les réponses de Descartes aux objections de Catérus, (2) Réponses aux quatrièmes Objections,

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