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ne cherchent point à amalgamer avec celle d'autrui. Ce n'est pas qu'il n'y eût à Rome, comme à Paris, un peuple de misérables imitateurs, qu'Horace appelle un bétail esclave; mais ils étaient généralement méprisés; et, ce qui sert à le prouver, c'est que leurs ouvrages ne nous sont pas parvenus. Nous n'avons aucun des mauvais poètes dont l'antiquité fait mention; c'est qu'alors les productions de l'esprit ne se multipliaient que par des copies manuscrites, qu'on ne prenait guère la peine de faire que pour les ouvrages approuvés : ceux qui vivaient du métier de copistes n'auraient pas trouvé le débit des autres, et savaient trop bien mettre leur temps et leur travail à profit, pour se ruiner en faveur d'un plat écrivain. Ainsi les mauvais ouvrages s'anéantissaient d'euxmêmes. Ce n'est que depuis l'invention de Guttemberg, que la sottise est immortelle comme le génie; que les bibliothèques sont devenues immenses, parce que les folies des hommes sont inépuisables, et que, dans ces vastes dépôts où tout se conserve, on trouve l'Année littéraire, en cent volumes, occupant plus de place que tous les chefs-d'œuvres des anciens et des modernes réunis ensemble.

Un abus beaucoup plus funeste, que les anciens ne connaissaient pas, c'est cette incroyable multitude de journaux dont notre littérature est surchargée, et dont la plupart la déshonorent. Lorsqu'au commencement du siècle passé Sallo imagina ce genre d'ouvrage, dont Bayle prouva dans la suite l'utilité, on était bien éloigné d'imaginer les excès qu'il produirait un jour. Rien ne prouve mieux combien l'imbécillité humaine est un excellent revenu, que de voir avec quelle confiance les plus ineptes barbouilleurs annoncent, sous différens titres, qu'ils instruiront le public toutes les semaines, ou tous les mois, ou tous les quinze jours, de ce qu'il doit approuver ou blâmer. Il faut convenir que les premiers ouvrages périodiques n'avaient point cette ridicule impertinence. Les journaux des savans, ceux de Bernard, ceux de Bayle, étaient des dissertations trèscirconspectes et très-détaillées sur les écrits sérieux et instructifs; on n'y parlait même que fort peu des ouvrages d'imagination et de la littérature agréable on se souvenait que les beaux arts veulent être plus sentis que discutés, que rien n'est plus délicat que de prononcer sur le talent et le génie que le temps seul peut mettre à leur place. Bientôt

cependant l'ignorance et l'envie eurent des bureaux d'adresse où la foule allait chercher des jugemens. De Visé dénigrait Racine et Molière dans le Mercure Galant: mais le ton aigre de ses censures était encore de la modération, si l'on songe aux scandales de notre siècle. Ce n'est que de nos jours qu'on a vu s'ériger en juges et en aristarques, des hommes qui ne pourraient pas écrire dix lignes d'un style correct et raisonnable; qui, n'ayant aucune connaissance de la littérature ancienne et étrangère, se font un métier de juger la nôtre, comme on s'en fait un de colporter des livres qu'on n'entend pas; qui composent leurs louanges et leurs satires avec une douzaine de phrases classiques et pédantesques, comme on fait, diton, un opéra avec cent mots; qui écrivent à l'usage des sots contre les bons écrivains, et n'ont pas même le talent que donne la haine, celui de médire avec esprit; qui dégoûtent la malignité même à force d'ennui, et ne supportent le mépris public que parce qu'il est à peine égal à celui qu'ils ont pour eux-mêmes; qui font pitié à ceux qu'ils dénigrent, et sont au-dessous de ceux qu'ils louent. (1)

(1) Ce morceau se trouva placé assez naturellement

On a même été plus loin. Quelques écrivains supérieurs, las de se voir tous les jours impunément insultés, ont fait justice, en quelques lignes, des volumes imprimés contre eux. Qu'est-il arrivé? Les zoïles, irrités par le châtiment, n'ont plus connu ni bornes ni mesure : la rage a conduit leur plume, et les personnalités les plus grossières, les emportemens de la plus brutale insolence ont souillé le papier. Aveuglés par la fureur, ils se sont heurtés mal-adroitement contre des productions d'un mérite reconnu, n'ont épargné ni les artifices les plus bas,

dans le Mercure, en 1769. Un journaliste que, d'après son aveu, il est inutile de nommer, crut devoir s'y reconnaître. Il se fait écrire une lettre, où on lui dit qu'il est impossible qu'on ait voulu parler d'un autre que de lui; ce qui est ingénieux. Il répond à vingt lignes par vingt pages; ce qui est précis : et ces vingt pages sont en' style du père Garasse. (Note de M. de La Harpe.)

N. B. La note précédente se trouve expliquée pages 92 et 93, du 1er tome de l'Année Littéraire de Fréron, père, pour l'an 1771. Il paraît que La Harpe a voulu désigner ici ce journaliste, qui l'avait critiqué avec acharnement. Nous aurions été assez portés à retrancher cette sortie contre Fréron, à qui on a reproché trop de partialité contre plusieurs auteurs', mais qui a eu le mérite de défendre avec courage la religion et le gouvernement, de son pays. (Note de l'éditeur.)

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ni les mensonges les plus grossiers; défigurant les ouvrages au point de n'en pas citer dix vers ou deux phrases de suite, de changer la ponctuation pour rendre ridicule ce qui ne l'était pas, de profiter des fautes d'impression les plus visibles pour les mettre sur le compte de l'auteur, d'altérer entièrement le fond de l'ouvrage, et de le présenter sous le jour le plus faux; enfin, perdant toute pudeur, et affirmant qu'un livre est tombé quand tout le monde le sait par cœur et qu'on l'imprime dans toute l'Europe; non pas qu'ils croient que ces puériles manœuvres puissent faire beaucoup d'impression, mais uniquement pour exhaler une haine que ses motifs et son impuissance rendent également méprisable.

Mais, dit-on, il est si facile de confondre ces vils calomniateurs des arts, de les convaincre, à chaque ligne, d'ignorance ou d'infidélité! C'est précisément ce qu'ils demandent, et ce qu'il ne faut pas faire. Est-ce qu'on peut confondre un homme qui a la plume à la main deux ou trois fois par mois? Il répliquera toujours, n'importe comment : vous perdrez votre temps, et vous le ferez payer du sien. Son métier est d'avoir tort: c'est une querelle qu'il lui faut. Que lui prou

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