PRÉFACE'. I. Polybe naquit entre 210 et 200 avant Jésus-Christ; on s'accorde à lui assigner Mégalopolis pour patrie. Suidas a failli jeter quelque incertitude sur son origine en lui donnant pour père un nommé Lycus, d'une extraction obscure. Sans qu'il soit besoin d'invoquer superbement, ainsi qu'a fait dom Thuillier, la noblesse de ses sentiments comme preuve d'une illustre naissance, le témoignage unanime des historiens et celui de Polybe lui-même, confirmé par quelques circonstances de sa jeunesse, suffisent pour réfuter Suidas. Il ne serait pas possible de concilier avec cette obscurité prétendue l'ambassade dont il fut chargé avant l'âge légal, et l'honneur qu'il eut de porter les cendres de Philopomen, à une époque où il semble qu'aucune illustration personnelle ne le recommandait Le silence de tous les anciens écrivains nous réduit à des conjectures sur la date de la naissance de Polybe. Nous tenons de lui-même qu'il n'avait pas atteint en 181 l'àge marqué par les lois des Achéens pour arriver aux fonctions publiques, c'est-à-dire trente ans. Ce seul renseignement suffit du moins pour prouver qu'il n'a pu naître avant 210. Mais, d'un autre côté, Plutarque nous apprend qu'il était tout jeune encore, quand il fut en 183 chargé de porter l'urne qui contenait les cendres de Philopomen ; et en effet, nous ne voyons pas qu'il fût en ce moment mêlé à aucune affaire de l'État. Or, s'il était né en 210, il n'aurait pas eu en 183 moins de vingt-sept ans, et dès lors comment comprendre Plutarque qui l'appelle un très-jeune homme, et s'expliquer l'obscurité où il semble avoir vécu jusqu'à cette époque? Sa naissance doit donc être postérieure à 210. Suidas le fait naître sous Ptolémée Évergète, par conséquent 221 ans au moins avant Jésus-Christ; mais à ce compte il aurait eu quarante ans en 181, et quatre-vingt-sept ans à la prise de Numance, dont il écrivit l'histoire; tandis que Lucien assure qu'il mourut à quatre-vingt-deux ans. Il ne faut voir, dans la date que nous donne Suidas qu'un effet de son inexactitude habituelle, et la rejeter. Casaubon préfère l'an 204 ou 203; Vossius donne 205; Schweighauser erre de 204 à 198; M. Daunou, de 210 à 200. Parmi tant d'assertions diverses, nous ne nous flattons pas d'arriver à une certitude complète; mais nous pensons, en combinant ensemble les paroles de Polybe lui-même et celles de Plutarque, qu'il n'a dû naître ni en 210, ni en 200, et que la vérité est entre ces deux chiffres. a 426177 au choix de ses concitoyens. Son père fut Lycortas'. On ne sait rien de ses premières années; mais élevé dans la maison d'un tel père, et sous les yeux de Philopomen, on peut facilement juger quelle éducation il reçut, quelles grandes leçons, quels beaux préceptes, quelle vue nette des affaires lui donnèrent ces illustres maîtres. C'était le moment où, délivré d'Annibal et désormais libre de crainte, Rome, commençant à entamer l'Orient, envoyait Flamininus préparer, au nom de la liberté, l'asservissement de la Grèce. Le spectacle seul des événements auquel Polybe assistait était déjà assez instructif par lui-même, mais il eut en outre l'avantage d'être plus que tout autre témoin des inquiétudes secrètes de Philopomen et de Lycortas qui, placés entre la Macédoine et Rome, et les redoutant toutes deux, se résignaient à l'alliance de la république pour prolonger au moins l'indépendance de leur pays. Ces grands faits, commentés par de si grands hommes, ne devaient pas être perdus pour un esprit tel que celui de Polybe. La première circonstance où nous le voyons figurer, sont les funérailles de Philopomen: Plutarque nous le montre entouré de tout ce que l'Achaïe avait de considérable, et portant, dans cette cérémonie à la fois funèbre et triomphale, les cendres du dernier des Grecs: distinction glorieuse qu'il ne dut pas seulement, sans doute, à sa naissance, mais aux espérances qu'il faisait dès lors concevoir. Il est d'ailleurs probable qu'il avait accompagné Philopomen dans son expédition contre Messène, car Lycortas en faisait partie avec l'élite des Achéens. Élève de Philopomen, il assistait à toutes ses guerres, comme à autant de leçons où il s'instruisait en le voyant faire. On sait que Lycortas fut le successeur de Philopomen. La Grèce y perdit, car il avait le cœur et non le génie de son ami; mais l'importance de Polybe y gagna. Aussi, deux ans après, en 181, il fut associé à son père pour aller remercier Ptolémée Épiphanes des secours que ce prince avait envoyés aux Achéens, et pour renouer l'alliance du Péloponèse avec l'Égypte. Les années suivantes sont vides d'événements importants au dehors, mais elles furent remplies en Achaïe par une lutte continuelle du parti national contre le parti romain, qui, 1 Polybe, XXXIII, 1. 2 XXV, VII. impatient de voir le dernier jour de la Grèce, s'efforçait de la jeter dans la servitude, Polybe prit avec Lycortas une part active à ces combats. En hommes formés à l'école de Philopomen, ils essayaient tous deux de concilier avec la déférence pour le sénat l'indépendance de leur patrie, et de persuader à leurs concitoyens d'estimer Rome sans la craindre, Mais que pouvait le zèle de quelques hommes contre l'or des Romains et contre la terreur qu'ils inspiraient? Il résulta de tous ces efforts inutiles que, malgré sa modération, Polybe devint suspect à Rome, qui commençait à considérer comme rébellion toute obéissance peu empressée, et le bruit se répandit qu'un procès allait être intenté à Lycortas, à Polybe et à Archon'. Il n'en fut rien; Rome ajourna sa vengeance. Mais ce bruit marqua du moins quelles opinions on attribuait généralement à Polybe, et quel était l'état des esprits. Bientôt après s'ouvrit la guerre des Romains contre Persée. Ce fut pour la Grèce un moment solennel : du sort de la Macédoine dépendait sans doute celui du pays tout entier. L'abandon où l'on avait laissé Philippe avait mis en danger toute la Grèce; Persée d'ailleurs paraissait puissant et Rome se trouvait engagée alors dans de grands embarras. Quel parti prendre? La Grèce, si pleine de joie à la nouvelle du premier succès de Persée, s'unirait-elle à ce prince ? les Achéens, à la tête des Grecs, donneraient-ils le signal de la guerre contre leur superbe ennemie? La tentation ne put manquer d'être forte pour le parti national parmi les Achéens. Cependant nul n'osa, 2 ce qu'il semble, ouvrir l'avis de s'unir à la Macédoine pour tenter contre Rome un suprême effort. Lycortas conseilla la neutralité; Archon, l'alliance avec Rome; et Polybe, qui avait d'abord incliné vers l'opinion de Lycortas, paraît s'être rangé promptement à celle d'Archon, puisque nous le voyons bientôt commander la cavalerie auxiliaire. Ce fut même lui qu'on envoya vers Marcius, en 469, afin de l'avertir que la ligue avait une armée toute prête à marcher contre Persée, Marcius remercia les Achéens, et répondit que Rome n'avait pas besoin de secours. Mais Polybe demeura auprès du consul jusqu'à la fin de la campagne, et ne le quitta que pour aller, de la part de Marcius, dire aux Achéens de ne point accorder à 1 XXVIII, III. 2 XXVII, VII. 3 XXVIII, X. |