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fais pour vous. Je m'y fens entraîner par une trop douce puissance, & je n'ai pas même la force de fouhaiter que les chofes ne fûffent pas. Mais, à vous dire vray, le fuccès me donne de l'inquiétude ; & je crains fort de vous aimer un peu plus que je ne devrois.

VALERE.

Hé, que pouvez-vous craindre, Elife, dans les bontés que vous avez pour moi?

ELISE.

Hélas! Cent chofes à la fois. L'emportement d'un pere, les reproches d'une famille, les cenfures du monde; mais, plus que tout, Valére, le changement de votre cœur, & cette froideur criminelle dont ceux de votre fexe payent, le plus souvent, les témoignages trop ardens d'un innocent amour. VALERE.

Ah! Ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres. Soupçonnez-moi de tout, Elise, plûtôt que Elife, plûtôt que de manquer à ce que je vous dois. Je vous aime trop pour cela; & mon amour pour vous durera autant que ma vie.

ELISE.

Ah! Valére, chacun tient les mêmes difcours. Tous les hommes font femblables par les paroles; & ce n'eft que les actions, qui les découvrent différens.

VALERE.

Puifque les feules actions font connoître ce que nous fommes, attendez donc, au moins, à juger de mon cœur par elles; & ne me cherchez point des crimes dans les injustes craintes d'une fâcheufe prévoyance. Ne m'affaffinez point,

je vous prie, par les fenfibles coups d'un foupçon outrageux, & donnez-moi le tems de vous convaincre, par mille & mille preuves, de l'honnêteté de mes feux.

ELISE.

les per

Hélas! Qu'avec facilité on se laisse persuader par fonnes que l'on aime! Oui, Valére, je tiens votre cœur incapable de m'abufer. Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, & que vous me ferez fidéle ; je n'en veux point du tout douter, & je retranche mon chagrin aux appréhen, fions du blâme qu'on pourra me donner.

VALERE.

Mais pourquoi cette inquiétude?

commença

ELISE.

Je n'aurois rien à craindre, fi tout le monde vous voyoit des yeux dont dont je vous vois; & je trouve en votre perfonne de quoi avoir raison aux chofes que je fais pour vous. Mon cœur, pour fa défense, a tout votre mérite, appuyé du fecours d'une reconnoiffance où le Ciel m'engage envers vous. Je me représente, à toute heure, ce péril étonnant qui de nous offrir aux regards l'un de l'autre, cette générofité furprenante, qui vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes; ces foins pleins de tendreffe, que vous me fites éclater après m'avoir tirée de l'eau, & les hommages affidus de cet ardent amour, que ni le tems, ni les difficultés, n'ont rebuté; & qui, vous faisant négliger & parens & patrie, arrête vos pas en ces ieux, y tient en ma faveur votre fortune déguisée, & vous a réduit, pour me voir, à vous revêtir de l'emploi de

domeftique de mon pere. Tout cela fait chez moi, fans doute, un merveilleux effet, & c'en eft affez, à mes yeux, pour me justifier l'engagement où j'ai pâ consentir; mais ce n'est pas affez, peut-être, pour le juftifier aux autres, & je ne fuis pas fûre qu'on entre dans mes fentimens.

VALERE.

De tout ce que vous avez dit, ce n'eft que par mon feul amour que je prétends, auprès de vous, mériter quelque chofe; &, quant aux fcrupules que vous avez, votre pere lui-même ne prend que trop de foin de vous justifier à tout le monde ; & l'excès de fon avarice, & la maniére austére dont il vit avec fes enfans, pourroient autorifer des chofes plus étranges. Fardonnez-moi, charmante Elise, si j'en parle ainsi devant vous. Vous fçavez que, fur ce chapitre, on n'en peut pas dire de bien. Mais enfin, fi je puis, comme je l'efpere, retrouver mes parens, nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous le rendre favorable. J'en attends des nouvelles avec impatience; & j'en irai chercher moi-même, fi elles tardent à venir.

ELISE.

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Ah! Valére, ne bougez d'ici, je vous prie; & fongez feulement à vous bien mettre dans l'efprit de mon pere.

VALERE.

Vous voyez comme je m'y prends, & les adroites complaifances qu'il m'a fallu mettre en ufage, pour m'introduire à fon fervice; fous quel mafque de fympathie, & de rapports de fentimens, je me déguise pour lui plaire, & quel personnage je jouë tous les jours avec lui, afin d'ac-.

quérir fa tendreffe. J'y fais des progrès admirables, & j'éprouve que, pour gagner les hommes, il n'est point de meilleure voye, que de fe parer à leurs yeux de leurs inclinations, que de donner dans leurs maximes, encenfer leurs défauts, & applaudir à ce qu'ils font. On n'a que faire d'avoir peur de trop charger la complaisance, & la maniere dont on les jouë a beau être vifible, les plus fins font toujours de grandes duppes du côté de la flaterie, & il n'y a rien de fi impertinent & de fi ridicule, qu'on ne fasse avaler, lorsqu'on l'assaisonne en louanges. La fincérité souffre un peu au métier que je fais ; mais, quand on a befoin des hommes, il faut bien s'ajufter à eux; & puifqu'on ne sçauroit les gagner que par là, ce n'est pas la faute de ceux qui flatent, mais de ceux qui veulent être flatés. ELISE.

Mais que ne tâchez-vous auffi à gagner l'appui de mon frere, en cas que la fervante s'avifat de révéler notre fecret.

VALERE.

On ne peut pas ménager l'un & l'autre ; & l'efprit du pere, & celui du fils, font des chofes fi opposées, qu'il eft difficile d'accommoder ces deux confidences enfemble. Mais vous, de votre part, agiffez auprès de votre frere, & feryez-vous de l'amitié qui eft entre vous deux, pour le jetter dans nos intérêts. Il vient. Je me retire. Prenez ce tems pour lui parler, & ne lui découvrez de notre affaire, que ce que vous jugerez à propos.

ELISE.

Je ne fçai fi j'aurai la force de lui faire cette confidence,

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SCENE II.

CLEANTE, ELISE.

CLEANTE.

E fuis bien aife de vous trouver feule, ma four; & je

J'

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brûlois de vous parler, pour m'ouvrir à vous d'un secret. ELISE.

Me voilà prête à vous oüir, mon frere. Qu'avez-vous à me dire?

CLEANTE.

Bien des chofes, ma fœur, enveloppées dans un mot. J'aime. ELISE.

Vous aimez?

CLEANTE.

Oui, j'aime. Mais, avant que d'aller plus loin, je fçais que je dépends d'un pere, & que le nom de fils me foumet à fes volontés, que nous ne devons point engager notre foi fans le confentement de ceux dont nous tenons le jour, que le Ciel les a faits les maîtres de nos vœux, & qu'il nous est enjoint de n'en difpofer que par leur conduite ; que n'étant prévenus d'aucune folle ardeur, ils font en état de se tromper bien moins que nous, & de voir beaucoup mieux ce qui nous est propre ; qu'il en faut plûtôt croire les lumiéres de leur prudence, que l'aveuglement de notre paffion ; & que l'emportement de la jeunesse nous entraîne le plus fouvent dans des précipices fâcheux. Je vous dis tout cela, ma

fœur,

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