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«< dire lui-même ce qu'il fait dire par Adherbal. Pourquoi? c'est qu'il a senti qu'il ne lui aurait pas convenu « de se servir des mêmes tours ni des mêmes expressions << pour peindre l'esprit des Romains, encore conduits par << d'anciennes idées, et cependant déjà vendus à l'ava« rice. »

Le partage que les commissaires du sénat de Rome font de la Numidie, entre Adherbal et Jugurtha, donne occasion à Salluste de décrire l'Afrique connue des Romains. Il relève par la précision et par l'éclat du style, ce que le sujet peut avoir de trop aride dans cette description justement admirée : seulement l'érudition, pour laquelle elle est un monument si précieux, regrettera que l'historien n'ait pas donné plus d'étendue aux résultats de ses recherches sur la manière dont l'Afrique avait été peuplée.

Encouragé par la faveur avec laquelle les commissaires du sénat l'ont traité dans le partage de la Numidie, Jugurtha court aux armes contre son infortuné frère. On peut remarquer la rapidité avec laquelle Salluste passe sur le combat qui eut lieu entre Adherbal et Jugurtha. Un historien moins habile aurait cédé à la tentation de décrire cette rencontre. Salluste s'en est abstenu : il a indiqué la chose en deux mots. L'intérêt bien entendu de son ouvrage lui a fait une loi de réserver tout son art pour la description des batailles de Metellus et de Marius.

Les forfaits de Jugurtha devaient long-temps rester impunis, non qu'ils eussent manqué de dénonciateurs; mais à cette époque, où la plupart des sénateurs étaient avides d'argent et prodigues, rien n'était plus difficile à Rome

que d'obtenir le châtiment d'un coupable riche et puissant. Il en était de même quand un prince ou un état sous la protection de la république romaine, s'adressait au sénat pour avoir justice; cela était de peu d'utilité, si l'accusé pouvait prouver son innocence par de riches présens. « Quels crimes, observe Gordon dans << son septième discours sur Salluste, étaient plus crians <«<et plus manifestes que ceux de Jugurtha? Il ne man<«< qua pourtant pas d'avocats dans le sénat, qui, pour de l'argent comptant, ou dans l'espérance d'en recevoir, «<niaient hardiment que ces crimes eussent été commis, << ou alléguaient que le tout avait été fait pour sa défense. « On disait que ceux que Jugurtha avait fait mourir par <«< trahison, ou qu'il voulait faire périr de cette manière, << avaient fait le complot de l'assassiner. Il était à la tête << d'une grande armée; il ravageait et usurpait les états <«< d'un prince faible et sans support, qui fuyait devant << son ennemi, et cependant on regardait encore Adherbal <«< comme l'aggresseur. Le sanguinaire Jugurtha était jus

tifié; on disait qu'il était forcé à être sous les armes, « pour sa propre sûreté contre les attentats de son ennemi, tout persécuté, désolé et abandonné qu'était ce« lui-ci. Jugurtha l'avait dépouillé de tout, excepté de << la vie, qu'il lui ôta dans la suite avec tout le raffinement <«< d'une cruauté barbare. Tout cela, conclut le philosophe <«< anglais, est exposé avec beaucoup d'art, etc. »

A cette occasion, l'abbé de Mably fait la remarque suivante: «< Salluste vous entretient-il en détail des négociations de Jugurtha avec les Romains, et des arti«<fices de ses ambassadeurs? Non, il se contente de nous

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apprendre que tout était vénal à Rome, et que Jugur<< tha y fit passer beaucoup d'argent. >>

pas

Quelque rapide qu'il soit dans l'exposé de ces intriSalluste ne laisse gues, de faire heureusement ressortir le caractère des divers personnages qu'il met en jeu : c'est le prince du sénat Scaurus, chez qui la hauteur patricienne cache une cupidité trop savante pour se montrer facile; c'est le tribun Memmius, qui aime le peuple, mais qui hait encore plus la noblesse; enfin c'est le préteur L. Cassius, le seul Romain que Jugurtha ne puisse mépriser.

Avant d'arriver au consulat de Metellus, l'historien présente des considérations sur les troubles intérieurs qui s'étaient élevés dans Rome depuis le tribunat des Gracques. Impartial entre la faction populaire et celle de la noblesse, il reconnaît que tous ceux qui avaient suscité des dissensions dans la république, soit pour réclamer les droits du peuple, soit pour rehausser l'autorité du sénat, n'avaient d'autre but que leur propre élévation, en prétextant le bien public. Aussi, aucun n'a-t-il su garder les bornes de la modération, ni dans la lutte, ni surtout dans la victoire. «Par ces observations, dont la solidité « se fait d'abord sentir, en même temps qu'on en aperçoit << la profondeur, Salluste satisfait notre intelligence sans « l'étonner : il ne se place pas au dessus de la mesure des «< idées communes, et toutefois on sent qu'il n'appartient qu'à un génie supérieur d'en remplir ainsi l'étendue 1. »> Metellus paraît enfin; la scène change 2: Jugurtha,

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1 M. DUSSAULT, Annales littéraires, t. III, p. 2 et 3.

ร << Vous voyez, dans le caractère de Metellus, avec le réta

qui ne peut le vaincre par son or, apprend que les soldats de Rome sont toujours invincibles. Alors on voit en présence deux capitaines également habiles et deux peuples redoutables, l'un par sa discipline, l'autre par une manière de combattre qui confondait la tactique romaine. Alors commence cette suite de batailles, de sièges, et d'opérations savantes, que Salluste raconte avec tant de vérité, qu'on croit voir tout ce qu'il décrit. Jamais historien ne présenta les images de la guerre sous une couleur plus vive et plus animée 1.

Son style n'est pas moins pittoresque quand il donne la description des lieux où ces deux grands capitaines en viennent aux mains. Quelques efforts qu'ait faits la vaine sagacité des commentateurs, pour embrouiller la déscription de la bataille de Muthul, je vois d'ici cette vaste plaine, couronnée d'un côté par des montagnes nues, de l'autre, bordée par les rives boisées et verdoyantes de ce fleuve. C'est sur ce plan si étendu, si varié, que l'armée romaine, partagée en deux corps, combattait à la fois pour la victoire et pour s'assurer après l'action, l'asile, si désirable en Afrique, d'un campement rafraîchi par d'abondantes eaux.

Quelque concis que soit Salluste, on s'aperçoit, en le lisant, qu'il se complaît aux descriptions, et qu'il s'étend volontiers sur ce qu'il croit propre à ajouter à

«blissement de la discipline, un heureux changement des affaires des Romains. » (SAINT-ÉVREMOND, Observations sur Tacite et sur Salluste.)

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· M. LAURENTIE, Études littéraires sur les historiens latins, t. 1, p. 276.

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l'intérêt de ses histoires nulle part il ne prend cette liberté avec plus de latitude que dans sa digression sur les deux frères Philènes. Je laisse Lamothe-Levayer s'exprimer, avec le sens profond qui le distingue, sur ce passi souvent critiqué: « Sur le seul prétexte de quel« ques députés de la ville de Leptis, sise entre les deux Syrtes, qui vinrent trouver Metellus après la prise de Thala, il dit qu'il juge à propos de rapporter une belle << action arrivée dans cette même contrée, de deux jeunes «< hommes de Carthage qui se firent enterrer tout vifs, << pour accroître le territoire de leur pays. Là-dessus il fait « une belle narration des différends d'état et des guerres « qu'eurent autrefois les Cyrénéens contre les Carthagi<«< nois, touchant leurs limites............ Il est certain que << la guerre de Jugurtha n'eût pas été moins bien dé<«< crite sans cette digression, et que si Salluste eût af« fecté d'être bref dans son histoire, il s'en fût sans doute << abstenu. C'est ce qui me fait soutenir qu'encore qu'il «< ait eu l'élocution ou la phrase fort concise, aussi bien << que Tacite, il ne laisse pas d'être étendu dans le corps «< de son histoire, comme Tite-Live, qui n'use pas d'une expression serrée comme lui. Et peut-être que Servi<«<lius Nonianus ne vouloit dire autre chose, par cette façon de parler dont Quintilien s'est voulu souvenir, Salluste et Tite-Live étoient plutôt pareils que semblables, pares eos magis esse quam similes, parce «< que, dans une façon d'écrire différente, ils ont tous « deux traité leurs sujets fort diffusément. Je serois bien « fâché qu'on crût qu'en remarquant cette digression de « Salluste, je la voulusse condamner. Elle me semble très

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