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proses, accompagné par des instruments de musique, ajoutaient à l'éclat de la scène. Souriante création de Donatello, un petit Jésus était porté par des enfants, couché sur un lit d'or, et montrant la couronne d'épines et la croix placées près de lui.

Un long vivat accueillit le cortège, qui se groupa autour du capannuccio.

La Seigneurie occupait la ringhiera1.

Sur un signal du gonfalonier de justice, quatre capi armés de torches mirent le feu à l'anathème.

Le pied du mât, par des matières inflammables, communiquait avec les pyramides. — Aux premiers crépitements de la flamme, le silence se fit.

A peine elles ont léché le pied du mât, les langues de feu, activées par le soufre et la résine dont il est enduit, s'allongent jusqu'au sommet.

Et

Un cri du peuple les salue : « Viva Cristo!» l'image carnavalesque se tord calcinée au sommet du capannuccio.

En un instant l'arbre s'écroule dans la fumée : la flamme a gagné les pyramides. Elles craquent et s'affaissent dans un vaste brasier, projetant plus haut que le palais le rouge éclat de l'incendie.

On vit alors une indescriptible scène!

Au bruit des fanfares, de l'artillerie, au chant des hymnes entrecoupé de clameurs et de sanglots, un pro

1. Tribune établie au-devant du palais, et d'où les Seigneurs parlaient au peuple et présidaient aux solennités publiques.

digieux vertige secoua ce peuple. Les mains se joignirent autour du bûcher. Enfants, femmes, vieillards, moines, magistrats, arrabbiati et piagnoni, pêle-mêle, témoins ou acteurs de la fête, tous dans une ronde immense dansaient autour du foyer géant.

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Dans cette voie de fanatisme et d'hallucination dévots, tout en exerçant sciemment leurs prestiges sur les foules, les meneurs sont dupes eux-mêmes des moyens qu'ils emploient ils ne les emploieraient pas, d'ailleurs, s'ils n'étaient pas déjà dupes. Il en est de leurs habiletés presque inconscientes comme du tour de main de l'artisan façonnant la matière avec une sûreté instinctive, plus infaillible qu'un calcul.

Tel devait être l'état d'esprit de Savonarole quand il annonçait à l'Italie ses désastres, pressentis par les politiques, quand il prétendait avoir reçu la nuit, de Dieu luimême, le conseil ou l'ordre qu'il transmettait aux magistrats ou au peuple. La fraude pieuse par laquelle le thaumaturge ou le prophète met le miracle en action, n'exclut pas sa foi dans l'intervention miraculeuse de la divinité, dont il se croit fort sincèrement l'organe. Le dominicain de Ferrare est très curieux à étudier sous ce rapport, spécialement dans la tragi- comédie de l'Épreuve, le 7 avril 1498.

Il s'agissait de démontrer les six propositions sui

vantes :

I. L'Église de Dieu a besoin d'être réformée et renouvelée;

II. L'Église de Dieu sera flagellée, et, après cette flagellation, elle sera réformée, renouvelée, et elle prospérera;

III. Les infidèles se convertiront au Christ et à sa foi; IV. Toutes ces choses s'accompliront sous peu;

V. L'excommunication prononcée par Notre Saint Père le Pape contre le frère Jérôme est nulle et de nul effet;

VI. Nul ne pèche en ne l'observant pas.

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Cette fois, le syllogisme (il y en avait des exemples: sous l'abbé saint Jean Gualbert, à Vallombreuse, un moine était passé par le feu), le syllogisme fut remplacé par le bûcher. Celui des deux adversaires, franciscain ou dominicain, - qui le traverserait sain et sauf, prouverait ainsi la fausseté ou la vérité des six thèses.

On sait l'aventure. Savonarole avait refusé de subir l'épreuve à lui proposée par le frère Francesco di Puglia, et que le peuple réclamait avec instance; si bien que Jérôme fut remplacé par le père Domenico Buonvicini da Pescia, l'un de ses moines, et Francesco di Puglia par le frère Andrea Rondinelli, religieux convers de l'ordre des Mineurs Observantins. Un orage coupa court fort à propos à ce duel.

On croit rêver quand on se représente l'état mental d'une population, sinon tout entière convaincue de la possibilité du prodige, du moins dans sa majorité assez disposée à l'admettre pour suivre avec curiosité les phases de cette extravagance sérieusement présidée par

les pouvoirs officiels. Cette triste équipée, où la notion du surnaturel, si longtemps prépondérante, était prise en défaut en face d'une société déjà par tant de côtés sceptique, n'annonçait pas seulement le supplice prochain du prophète (23 mai 1498): elle marquait la fin d'un monde d'illusions et de crédulités.

Le génie théologique éprouvait un double échec : dans la doctrine d'abord, puis dans l'autorité morale de ses organes, des moines surtout. Si la foi superstitieuse au dogme subsiste, bien que diminuée, l'insuccès du réformateur, ses faiblesses, succédant à ses hautes prétentions, rejailliront sur le prestige du froc. D'une part, il accroissait la haine ou le mépris du prêtre, qui s'accorde si naturellement avec la croyance vulgaire ; de l'autre, il développait dans l'élite intellectuelle l'esprit de critique et d'émancipation.

Le jeune Machiavel débutait alors même dans la politique, comme secrétaire du chancelier de la Seigneurie, Marcello Virgilio. Il étudiait la crise, jugeait les hommes, d'une humeur déjà très dégagée. On a de lui une curieuse lettre sur ces évènements, adressée à Rome à un prêtre.

« L'autre matin, écrivait-il à ce correspondant inconnu, le Frère commentait l'Exode. Venant au passage où Moïse dit qu'il tua un Égyptien, il assura que l'Égyptien, c'étaient les méchants, et Moïse le prédicateur qui les tuait en dévoilant leurs vices. Il ajouta : O Égyptien, je te veux donner un coup de couteau (una coltellata). Il se mit alors à éplucher vos livres, o prêtres, et à vous servir un plat dont les chiens ne voudraient pas (e trattarvi in modo che non ne mangerebbero i cani). Il dit ensuite (c'était

là sa thèse) qu'il voulait donner à l'Égyptien un coup terrible. -Dieu, prétendait-il, lui avait annoncé qu'à Florence quelqu'un cherchait à se faire tyran, qui, pour réussir, avait recours à toutes les pratiques, à tous les moyens : il voulait chasser le frère, excommunier le frère, persécuter le frère. L'orateur ne s'expliqua pas davantage.- Cet homme, il le voyait bien,

- voulait se faire tyran, et il fallait observer les lois. Il en dit tant que, depuis ce jour, les soupçons se portent sur une personne qui est aussi près de la tyrannie que vous du ciel...... »

Que penser du compliment?... Machiavel l'adresse à un membre du clergé, comme l'expression d'un fait qui n'a plus rien d'offensant. Il continue à juger Jérôme avec la même liberté d'esprit :

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Depuis lors, la Seigneurie a écrit au Pape en faveur du Frate. Voyant donc qu'il n'a plus d'opposants à craindre à Florence, où d'abord il tâchait de rallier ses partisans dans la même haine contre ses adversaires, grâce à la terreur du nom de tyran, s'apercevant de l'inutilité de ces précautions, il vient de changer ses manœuvres. Il les exhorte à poursuivre l'union commencée, et ne parle plus du tyran ni de la scélératesse de ses ennemis. Il cherche à les animer tous contre le Souverain Pontife, à les soulever contre le pape et ses envoyés; il en dit ce que vous auriez cru qu'on ne peut dire du plus grand des scélérats. C'est ainsi, selon moi, qu'il s'accommode aux temps et colore diversement ses mensonges. Pour ce qui tient aux propos du vulgaire, à ses espérances et à ses craintes, je vous le laisse à juger. Vous êtes homme d'expérience, et, d'ailleurs, mieux que moi, vous pouvez vous prononcer sur ces conjonctures, puisque vous connaissez nos humeurs, l'esprit de l'époque, et, vivant à Rome, les dispositions du pontife. Je souhaite seulement, si la lecture de ma lettre ne vous a pas trop importuné, qu'il ne vous soit pas également trop pénible de me marquer vos sentiments

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