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sualistes, Lucrèce à Salomon. Les grandes figures de l'antiquité, les Caton, les Brutus, hantent leur imagination, président à leurs assemblées, évoquées par un laborieux enthousiasme.

Luther est sans doute un témoin suspect des « scandales de la nouvelle Babylone », qu'il visita sous Jules II. On doit accueillir avec réserve les impressions qu'il a gardées de son voyage. Évidemment, le grand Saxon, si naïvement chrétien, si candide dans la vie et dans la foi, ne pouvait rien comprendre au mouvement d'esprit qui emportait les Italiens. Son imagination épouvantée multiplie hors de mesure les manifestations de leur incrédulité. Que penser du Panis es et panis manebis substitué fréquemment, assure-t-il, aux paroles de la consécration eucharistique? Est-il improbable que pareilles audaces, exceptionnellement produites, aient diverti un moment une cour sceptique, au moins assez indifférente en religion, et ne se passionnant que contre le mauvais latin de la messe ? Les prédicateurs, rapporte encore Érasme, témoin plus recevable que Luther, craignaient d'exposer grossièrement dans la langue des apôtres les mystères de la foi. Ces mystères mêmes étaient singulièrement atténués, adoucis dans leurs discours. Les étrangetés du dogme, la folie de la croix, en étaient soigneusement écartées, en vertu d'une répugnance purement esthétique peut-être, mais qui, en tout cas, accusait la tiédeur de leur zèle.

Un prêtre romain, prêchant la Passion devant Jules II,

commençait par comparer le Pape à Jupiter qui tient la foudre et agite le monde d'un clignement de ses divins sourcils. Il rappelait tout ce que ce signe avait opéré de miracles en Italie, en France, en Germanie, dans les Espagnes, en Lusitanie, en Grèce, en Afrique. Tout cela, ajoute le caustique Hollandais, «prononcé dans la > langue romaine, avec l'harmonie romaine (atque hæc quidem Romæ Romanus, ore Romano, sonoque Ro

mano... >

« Puis, il décrivait cette mort triomphale, illustre et glorieuse... Il rappelait les Décius, les Curtius, qui, pour le salut de la République, s'étaient voués aux Dieux infernaux; et Cécrops, et Ménécée, et Iphigénie, héros, héroïnes, pour qui la conservation et l'honneur de la patrie avaient été plus chers que leur propre existence. Et, tandis, s'exclamait-il, que ces hommes illustres, qui s'étaient sacrifiés pour leur cité, avaient obtenu des récompenses publiques, des statues, des honneurs divins, Jésus, pour tous ses bienfaits, n'avait trouvé que l'ingratitude de ses concitoyens et l'ignominie d'un épouvantable supplice. Ensuite il compara cet homme vertueux à Aristide, à Scipion, bannis en retour de leurs services; à Socrate, à Phocion, buvant la ciguë. Il s'apitoya sur son innocence, l'ingratitude des Juifs, non sur la malice de tous les hommes, sur notre ingratitude à nous, qui, rachetés par son sang, et rappelés par sa bonté sans mesure à la béatitude perdue, le crucifions encore par nos vices et servons la tyrannie de Satan... Au lieu de parler des triomphes de Scipion, de Paul-Émile et de César, des empereurs mis au rang des Dieux (in Deorum numero relatos), s'il eût voulu réellement glorifier Jésus-Christ, il se fût proposé pour modèle saint Paul au lieu de Cicéron... saint Paul qui triomphe et s'exalte dans le mépris des grandeurs humaines abattues au pied de la croix... Mais ce Romain parla si bien

sur

romain qu'il ne dit rien de la mort du Christ (tam romane dixit Romanus ut nihil audirem de morte Christi1. »

Pour connaître Rome, en ce temps où le monde du plaisir et celui des affaires et des idées se coudoient, s'entremêlent dans une confusion pittoresque, il faut s'égarer parfois en mauvaise compagnie.

Il se passait alors à Rome ce qui se vit dans la Rome d'Auguste, dans l'Athènes de Périclès, ce qui se passe à Paris depuis Louis XIV, et dans tous les centres où les lumières sociales convergent, pour irradier centuplées sur le monde. Là toute force afflue, les contrastes foisonnent, et se heurtent et se pénètrent; le dérèglement de l'existence s'associe à l'audace de la pensée, frondant tous deux les hypocrisies ou de mœurs ou de croyances dont le masque éclate de toutes parts. Les courtisanes sont philosophes, et les philosophes galants; le rêve folâtre de Ninon déclinante accueille la naissante ironie de Voltaire... Peut-être n'y a-t-il que des hypocrisies mises à jour, et les époques bien réglées, les centres inférieurs de civilisation, contiennent-ils, plus la rudesse ignorante qui l'aggrave, un fonds d'immoralités égales à celles qu'on se plaît à signaler dans les grandes Babylones, dans les siècles de critique et d'émancipation. Triste lot de l'humanité jusqu'à ce jour !... Peut-être aussi - douloureux mystère ! la fleur exquise de civilisation

1. Ciceronianus, sive de optimo dicendi genere Dialogus (DESID. ERASMI ROTT., Op. omn.; Lugduni Batav., 1703, t. I, p. 979).

pousse-t-elle surtout dans un sol de pourriture, pareil aux détritus végétaux nourrissant la fleur double, monstre élégant de nos serres, triomphe de l'art sur la nature.

Rome, qui allait consacrer l'esclavage des noirs, patentait, sous Sixte IV, la prostitution. Chaque fille fut taxée un jules d'or. « Cet impôt, dit Corneille Agrippa, › rapportait plus de vingt mille ducats par année. Les › prostituées étaient placées dans ces repaires par les » prélats de la cour apostolique, qui prélevaient encore > un droit fixe sur leur produit. C'était un usage si uni>> versellement admis, que j'ai entendu des évêques faire › le compte de leurs ressources et dire : J'ai deux béné>>fices qui me valent trois mille ducats par an, une cure › qui m'en donne cinq cents, un prieuré qui m'en vaut » trois cents, et cinq filles dans les lupanars du pape » qui m'en rapportent trois cent cinquante. »

Cet impôt existait encore plus d'un demi-siècle après Sixte. Pasquin reproche à Paul III (Farnèse) de partager les bénéfices des courtisanes.

Si caute meretrix cupidos expilat amantes,
Persolvit meretrix, Paule, tributa tibi '.

Comment suivre dans leurs licences les satiriques des quinzième et seizième siècles! Nous verrons d'ailleurs

1. Cité par MARY LAFON, dans sa traduction des Épigrammes de Pasquin et Marforio, p. 135; Paris, Dentu, 1861.

tout ce qui peut se montrer en des tableaux qu'ils aiment à peindre, quand nous aborderons l'œuvre et la vie d'un écrivain sans honneur et sans vrai talent, mais puissant par l'originalité du cynisme, la vérité du détail. Si l'Arétin poussa jusqu'au bout dans cette voie, le Panormita y pénètre aussi loin, Poggio y entre par ses récits, et Pontano par ses dialogues.

Écoutez comme il fait parler ses ombres de l'enfer... C'est dans le dialogue de Caron 1.

Le vieux nocher, il vecchio, bianco per antico pelo, hèle ses passagers:

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« Montez ici, pauvres ombres. Qu'avez-vous à pleurer avant l'heure? N'est-ce pas assez de gémir, le mal venu? Et toi, l'ombre, si élégante, si effrontée, qui es-tu? Une courtisane de Chypre. Où trafiquais-tu de ton corps? A Rome. - Qui est ton compagnon ? Un cardinal-prêtre qui m'aime. — Je m'étonne qu'une jeune fille ait fait ses délices d'un vieillard, qu'un prêtre se soit livré aux charmes d'une fillette prostituée (meretriculam). Ma beauté le ravit, son or me conquit. - Ta beauté était donc pour lui plus que la religion, son argent rachetait donc pour toi sa vieillesse et sa laideur? Tant me plut son or que souvent il compensa sa décrépitude et sa difformité. Ajoute sa paillardise. - Plût au ciel que je lui eusse suffi!— Chose étrange qu'un homme si vieux fût si débauché. De prime abord, en l'approchant, je croyais avoir affaire à un petit jeune homme (putavi me cum adolescentulo coituram). »

Le latin dans les mots brave l'honnêteté.

1. JOANNIS JOVIANI PONTANI Opera omnia soluta oratione composita; Venetiis, in ædibus Aldi et Andreæ Soceri (1518-1519), t. II, p. 68 et seq. 2. DANTE, Inf., c. III, terc. 28.

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