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disciplinaire hiérarchisé du catholicisme. En attendant Luther, nous avons entendu Savonarole, cet hérétique du dedans. En dehors de tous les christianismes, l'attaque est, sinon plus explicite, plus radicale, au moins, sous le voile grotesque d'une bouffonnerie obscure, à bon escient. Elle vient de France sous cette forme, du pays des parlements et des universités antiromaines, bien que catholiques, où en 1400 (Froissart le raconte), quand advint le Jubilé, « la grande indulgence de Rome, pour empêcher le grand transport d'argent hors du › royaume, fut faict défense aux Français d'y aller, et >> l'on envoya exprès des gardes sur les frontières pour >> empescher qu'on en pût sortir '.

Soutenu en son opposition plus profonde par l'esprit national, notre grand polémiste hasarde énigmatiquement l'expression de ses antipathies philosophiques :

Aucuns disoient que leicher sa pantoufle
Estoit meilleur que gaigner les pardons :
Mais il survint un affecté marroufle,
Sorti du creux où l'on pesche aux gardons,
Qui dist: Messieurs, pour Dieu nous en gardons,
L'anguille y est, et en cest estau musse.
Là trouverez (si de pres regardons)
Une grand tare au fond de son aumusse.

Heu, qui pourroit saisir son braquemart?
Toust seroient netz les tintouins cabus :

1. FROISSART, Chroniques, liv. IV.

Et pourroit on, à fil de poulemart,

Tout bassouer le maguazin d'abus1.

La pensée de Rabelais perce sous ce prudent galimatias, calculé pour masquer sa hardiesse, dans ces fanfreluches antidotées, comme il baptise sa philippique antipapale... Il bassoue ou baffoue le magazin d'abus!

Pour dérouter, sans doute, l'ennemi en éveil, il oppose l'acte de leicher la pantoufle à celui de gaigner les pardons. La malice éclate suffisamment par le contact des deux membres de phrase... Deux cent mille pèlerins venaient justement, au dernier Jubilé, de baiser la mule du pape, emportant de Rome, contre deniers, des milliers de pardons.

Je pourrais déclamer, à mon tour, contre l'exploitation cléricale. Mieux vaut rechercher ce qui l'explique, montrant le déclin d'une discipline qui eut sa raison d'être. L'attaque aux mœurs du clergé n'est pas un signe d'émancipation à son égard. Elle s'accorde aisément avec la foi la plus superstitieuse au dogme qu'il représente, aux pouvoirs dont il s'investit. Si, au seizième siècle, pour l'élite intelligente, des lumières nouvelles pour les gouvernants et les peuples, de nouveaux intérêts n'eussent pas trouvé une barrière dans le catholicisme, ce n'est pas l'immoralité des vendeurs d'indulgences qui eût amené une révolution. Le monde a supporté bien d'autres

1. RABELAIS, Gargantua, ch. 11.

abus, tant qu'ils n'arrêtèrent pas le développement de la vie et de l'esprit, et surtout de la vie économique. Peu pensent, tous travaillent ou vivent du travail d'autrui. Tous ont intérêt, à un moment, de réduire le prix d'un service reconnu trop cher, d'abolir, par exemple, des dîmes, séculariser des abbayes, des évêchés, diminuer ou supprimer les bénéfices de la banque papale.

La banque ! Le mot est consacré par les polémistes. Une édition (du dix-septième siècle) des Taxes de la chancellerie romaine a pour sous-titre: Pape.

Banque du

«Si, s'exclame l'éditeur huguenot, Jésus-Christ, dont le pape se dit le vicaire, venait aujourd'hui au monde, si saint Pierre, dont il se dit le successeur, allait visiter l'Église de Rome, qu'ils disent qu'il a fondée, que diraient-ils de voir un si prodigieux changement, une corruption si générale dans les mœurs, dans la doctrine et dans le gouvernement? Que diraient-ils de voir une Banque dressée dans le lieu très saint, pour parler à la romaine, dans l'église de Saint-Pierre, par le Souverain Pontife lui-même, qui est le maître de cette banque, et par ce grand nombre d'ecclésiastiques qui en sont les directeurs ?... »

La critique métaphysicienne rivalise, d'ailleurs, avec la protestante, répétant, à l'instar de celle-ci, les objurgations passionnées de maints docteurs ou saints catho liques. L'esprit chrétien de ces derniers, malgré leur fidélité à la hiérarchie, protesta contre des abus, consé quences naturelles de l'organisation par eux acceptée. Les ennemis du dehors triomphent du langage de ces

adversaires du dedans, qui montre, avant la prédication de Savonarole, unis dans les mêmes invectives, un champion du Saint-Siége, comme saint Bernard, des scolastiques, de mystiques disciples de saint François d'Assise, et une princesse du Nord, une sainte dévouée à l'unité romaine et qui voulut finir ses jours près du tombeau du prince des apôtres. Sainte Brigitte de Suède écrit que les papes ont changé les dix commandements du Décalogue en ce seul précepte: Da pecuniam.

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Réjouis-toi, ô Vatican, dit Conrad, abbé d'Usperg! Les trésors te sont ouverts; tu peux y puiser à ton aise. Prends plaisir aux crimes des enfants des hommes, tu y trouves ton profit; tes richesses sont fondées sur leurs iniquités et leurs dérèglements; sème parmi eux la discorde, puisqu'elle t'amène des monceaux d'or. Réjouis-toi, chante des cantiques d'allégresse, le genre humain se soumet à tes lois. Ce n'est ni la religion ni la piété, mais les penchants infâmes et la dépravation du cœur qui l'ont amené dans tes filets. Il sait qu'en te servant il peut commettre tous les crimes; il en aura l'absolution pour un peu d'or; qu'il t'apporte de l'or, tu lui ouvriras les cieux. Que dis-je? tu lui vendras Jésus-Christ même... »

Qu'elles partent de l'esprit chrétien ou d'une philosophie superficielle, de telles invectives résultent d'une vue erronée sur les développements des cultes, et, spécialement, du christianisme.

L'Église s'offrit d'abord comme une société d'exception régie par une discipline étroite, mais volontaire, en opposition avec le monde. Telles furent ses primitives associations, composées de vrais croyants, de pratiquants

sincères et triés. Elles s'administraient à l'écart de l'État et jugeaient elles-mêmes les différends qui survenaient entre leurs membres. C'est l'âge d'or. Mais, du moment que les cadres de cette société s'ouvrirent officiellement à la foule, dès l'instant que tout homme qui naissait ou mourait en Occident était, ipso facto, réputé chrétien, le christianisme catholique, devenant un des aspects de la société générale, était contraint, pour tenir en soi le monde, de s'élargir à la mesure du monde, et, en des limites de plus en plus reculées, de se conformer à lui.

L'institution monastique, elle-même, créée pour réserver dans cette église dilatée et attiédie une sorte d'oasis à la vie pénitente et mortifiée, l'institution monastique s'humanise et se laisse envahir par le siècle. De là les constantes réformes des ordres anciens, l'établissement d'ordres nouveaux. Ou le christianisme devait rester la religion du petit nombre des élus, arche de Noé dans le déluge de la perversion générale, ou il devait se faire plus ou moins tout à tous et devenir au Moyen-Age (ce qui fit sa force et son utilité) l'organe de la seule discipline que les mœurs, à cette époque, pussent subir. Faute de distinguer ces deux points de vue, on reproche tout juste à l'Église le seul bienfait certain procuré par elle à la civilisation, malgré les abus de la confession et des indulgences. La question n'est pas de savoir ce que valait sa morale, mais si, en dehors d'elle, il pouvait s'établir une morale; si, par exemple, les représentants semi-barbares de la société laïque avaient à

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