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meurtre du Napolitain, suivi de l'union de Lucrèce avec l'héritier de Ferrare? Sans doute (l'inceste admis) l'amant s'immolait au père prêt à tout pour les siens. Loin de sa génisse (Sannazar le peint dans sa terrible épigramme), le taureau refrénait le cri saignant de la passion :

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Miselle Taure? quas subibis ilices?
Ubi myrica? ubi virentis arbuti
Jucunda sedes? ubi salicta, et omnibus
Eheu juvenca præferenda pascuis?
Juvenca, solos quæ relicta ad aggeres
Padi sonantis, heu malum sororibus
Omen, dolentes inter orba populos
Te te requirit, te reflagitans suum
Implet querelis nemus; et usque mugiens
Modo huc, modo illuc furit, amore perdita1...

Elle erre dans les bois, plaintive, mugissant :
C'est toi, toi que je veux, mon seul bien, mon amant.

Il faut suivre avec Burchard les pompes quotidiennes du Vatican. Au point de vue pittoresque, ce mélange de fêtes profanes et sacréés, de cérémonial byzantin et de mise en scène guerrière, le pape proclamant le Grand Pardon au milieu de sa cour mitrée, et César, qui, de cardinal fait général de l'Église, cavalcade sur son genêt

1. Jacobi sive Actii Synceri SANNAZARII opera, etc.; Patavii, 1719, t. II, Epigrammat. xv, p. 175-177.

d'Espagne à la tête de ses gentilshommes et de ses estafiers, ces doubles pompes sont d'un effet unique.

« Ave Cæsar!» Il revient de Romagne. Entré par la porte du Peuple, il suit le Corso vers le Vatican, où le pape attend le triomphateur.

Toujours avide de spectacles et d'admirer la verge qui le flagelle, la foule se rue pour contempler ce héros de meurtres et de coups d'État. C'était le 26 février 1500, trois mois après l'ouverture du grand Jubilé :

« Premièrement marchaient un grand nombre de chariots, sans ordre; après quoi venaient cinquante gentilshommes du Duc à cheval, richement habillés : ceux-ci étaient suivis par un grand nombre de trompettes et autres joueurs d'instruments, mais qui avaient ordre de n'en pas jouer; après ceux-là venaient trois hérauts dont deux appartenaient au Duc et l'autre au Roi de France. >>

Ils portaient, selon l'usage, les armes de leur maître sur leur hoqueton. Celles de Borgia sont d'or au bœuf passant de gueules sur une terrasse de sinople à la bordure de gueules chargée de huit flammes.

< Venaient ensuite Alphonse, duc de Biselli, beau-frère du Valentinois, et Geoffroy, prince de Squillace; après eux venait. le duc lui-même à cheval au milieu des deux cardinaux dont nous venons de parler; il portait un habit de velours noir à la hongroise avec une chaîne d'or, d'un ouvrage exquis, qui lui pendait depuis le col jusqu'à la poitrine. Il avait cent valets de pied à sa suite, ayant tous un bâton à la main, une jaquette de velours noir, et une culotte de drap de la même couleur; après quoi venaient les ambassadeurs des princes étrangers, ayant

chacun à sa droite un archevêque ou évêque du Palais. Une dispute qui s'éleva entre les ambassadeurs d'Angleterre, de Naples, et les deux ambassadeurs du roi de Navarre, touchant la préséance, pensa troubler toute la cérémonie; mais la chose fut terminée de manière que les deux premiers abandonnèrent la cavalcade et se retirèrent dans leurs hôtels. Après les ambassadeurs venait un nombre de prélats qui marchaient sans ordre, parce qu'ils étaient pressés par les gendarmes qui faisaient la clôture de cette entrée. »

La grande mascarade qui suivit était dans le goût des représentations historiques que nous avons vu célébrer à Florence. C'est là que parut la fameuse devise du fils d'Alexandre « Aut Cæsar, aut nihil. » Douze chars superbement attelés firent le tour de la place Navone. Le général de l'Église, figurant Jules-César, triomphait dans le dernier, accompagné d'un brillant cortège.

Ainsi un gouvernement prévoyant amusait le peuple. Mais, en inscrivant dans leur programme le circenses des anciens maîtres du monde (et les plus mal choisis, les Tibère, sinon les Caligula, étaient leurs émules), les Borgia n'oubliaient pas le panem. Le bien-être et la sûreté des populations, si précaires sous les règnes précédents, progressaient sous la main ferme du nouveau Tibère et de son digne fils.

César était vraiment un virtuose.

Ce sens des mots vertueux, vertu (virtù), caractérise une politique qui eut ses hommes d'État et ses théoriciens.

Machiavel en a (pour employer une expression célèbre)

maximé les pratiques. Mais, et c'est son excuse,

-

- en professant l'art du prince, il voulut le légitimer par un but patriotique : l'indépendance et l'unité de son pays.

Avec quel désintéressement d'artiste il s'éprend des coups fourrés de son prince! Quel faible pour l'homme aux combinaisons savantes, qu'on a peut-être eu tort d'appeler son héros, mais qu'en tout cas il ne pouvait se défendre de goûter, en friand de belle escrime! Nous suivrons bientôt cette touchante émulation du joueur politique et du théoricien de son échiquier.

Machiavel ne vient ici que pour résumer, avec ses insolents outrages à l'humanité, mais aussi avec ses bienfaits réels, la politique des Borgia. L'anecdote suivante est très instructive. Elle vient, dans le Prince, à l'appui de cette thèse: «- Comme il faut gouverner » les États acquis par force ou par fortune. »

« Après que le duc eut pris la Romagne, trouvant qu'elle était gouvernée par des seigneurs impuissants, qui avaient plus vite dépouillé leurs sujets qu'ils n'avaient mis l'ordre parmi eux, et qui avaient établi plutôt la désunion que l'union, tellement que cette province était pleine de brigandages, de brigues et de toute autre sorte d'insubordination, il jugea nécessaire, pour la réduire pacifique et obéissante sous son joug, de lui donner un bon gouverneur. Mais il mit à la tête de cette province Messire Remiro d'Orco, homme cruel et expéditif, auquel il donna les pouvoirs les plus étendus. Celui-ci, en peu de temps, rendit, avec un grand renom, la paix et l'union à la province. Depuis, le duc jugea qu'une si excessive autorité n'était pas à propos, car il craignait qu'elle ne devînt odieuse. Il établit

au-dessus de la contrée un tribunal civil, avec un très bon président, et chaque cité avait son avocat près de ce tribunal. Et, comme il savait que les rigueurs passées avaient engendré contre lui quelque haine, pour calmer les esprits de ces peuples et se les gagner en tout, il voulut prouver que, si quelque cruauté avait été déployée, elle n'était pas venue de lui, mais du cruel caractère de son ministre. Saisissant l'occasion un matin, à Cesena, il le fit couper en deux morceaux sur la place, avec un morceau de bois et un coutelas ensanglanté à côté de lui (con un pezzo di legno ed un coltello sanguinoso a canto). L'horreur de ce spectacle fit que ces peuples demeurèrent en même temps satisfaits et stupéfaits 1. »

:

Voilà l'homme il est complet. Rien ne lui manqua de ce qui fit jusqu'à ce jour les seuls rois dont le peuple ait gardé la mémoire, hormis un théâtre favorable au déploiement de ses qualités princières : la ruse, l'énergie, l'activité, et surtout l'absence de scrupules. « La toile de l'honneur est faite d'un tissu lâche,» disait un contemporain, Gonzalve de Cordoue. Et, ce qui accuse l'infirmité de notre espèce, la trame du progrès social se fait elle-même, pour une bonne part, à l'aide de calculs honteux aboutis ant à de non moins vils triomphes. Tel tondeur de peuple lui laissera le quart de sa toison pour faire oublier un prédécesseur qui la prenait toute. Ainsi progresse encore le monde : ainsi peut-être progressera-t-il toujours. Combien plus progressait-il de même en un temps où la force se posait en droit, sans autre correctif que l'idée religieuse dont les représentants,

1. MACHIAVEL., Il Principe, cap. VII.

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