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CHAPITRE XXVIII.

LE GUET-APENS DE SINIGAGLIA.

LE SECRÉTAIRE FLORENTIN.

LA MANDRAGORE

César Borgia disait que l'Italie devait être mangée comme un artichaut, feuille par feuille.

Il était de force à la manger ainsi, peut-être à la digérer; mais le temps lui manqua. Il eût fallu plus d'une vie pour cette œuvre : neutraliser l'une par l'autre la France et la maison d'Autriche, à laquelle resta finalement la grosse part du légume.

L'Église toutefois garda les conquêtes du Valentinois, sa principauté, noyau d'une monarchie que César rêva de constituer pour lui et sa descendance, des Alpes à la Sicile. Le résultat de ses efforts tourna au profit de la cour de Rome. Il demeure en fait le vrai fondateur du royaume ecclésiastique.

A notre date de 1500, quelles feuilles avait-il si bien arrachées ou si bien ébranlées, que les premiers successeurs d'Alexandre VI complétèrent sans trop de difficulté cette œuvre de conquête et d'assimilation?

Pour répondre à cette question, parcourant des contrées qui seront bientôt adjointes au domaine de l'Église,

voyons quels possesseurs les disputaient au redoutable ambitieux.

A l'ouest du Tibre, les Orsini. Leur baronnie relevait de la suzeraineté presque nominale du Saint-Siège : Bracciano, Campagnano, Galera, Trevignano, Scrofano, Fornello, Vicovaro, Anguillara, San Gemini, Mentana, Monterotondo, etc... Leur vieux titre de Guelfes n'assurait guère mieux leur fidélité aux papes, que leur attachement à la faction adverse ne rendait précaire celle de leurs rivaux Gibelins.

Ceux-ci se souvenaient de leur aïeul, Sciarra, qui souffleta Boniface VIII de son gantelet de fer. Leurs domaines s'étendaient à l'est et au midi du Tibre, dans la Sabine et la campagne de Rome, où se trouve à distance à peu près égale de cette ville et de Palestrina leur fief patrimonial, le bourg de Colonna.

S'alliant d'abord avec les Orsini contre la maison rivale, César abaissera les chefs de celle-ci et leur ligue de seigneurs. L'œuvre faite, il se retournera contre les Orsini et leurs clients.

Aux Colonna se rattachaient les Sforza de Pesaro, les Malatesta, les Manfredi.

Aux Orsini, les Vitelli, les Baglioni, les Fogliani. Les cités demeurées à peu près indépendantes, bien que vassales du Siège Apostolique, se partageaient entre les deux groupes, selon les intérêts ou les traditions politiques dominants.

Les diverses puissances qui, par la force des choses,

aidées de l'énergique habileté du Valentin, étaient entraînées ainsi dans l'orbite de la souveraineté ecclésiastique, se classent politiquement en trois ordres : Républiques librement gouvernées;

Républiques assujetties à des Seigneurs ou tyrans (Τυράννοις) ;

Domaines féodaux auxquels leurs possesseurs joignent souvent, comme délégation héréditaire sur une ville et son territoire, le titre de vicaire temporel du Pape.

Géographiquement, ces puissances se présentent ainsi du nord au sud :

Dans la Romagne, les Malatesta tiennent Rimini, principauté.

Un bâtard de Robert Malatesta, Gandolfe IV, gendre de Jean Bentivoglio de Bologne, tyrannise ces contrées. Pesaro, acheté en 1445 aux Malatesta par le duc François Sforza de Milan pour son frère Alexandre, appartient au petit-fils naturel de celui-ci, Jean, mari de Lucrèce Borgia; Cesena, à une autre branche des Malatesta.

Ancien domaine des Ordelaffi, Forlì passa, en 1480, à un neveu de Sixte IV, Jérôme Riario, qui obtint du même pape la seigneurie d'Imola. La veuve de Jérôme, Catherine Sforza, petite-fille naturelle du duc François de Milan, gardait courageusement, sous la protection de Florence, ces deux domaines au jeune Octavien, son fils.

Faenza, d'abord soumise à Bologne, appartint aux Manfredi depuis 1286 jusqu'à la fin du quinzième siècle,

sous le dernier héritier de la dynastie, le malheureux Astorre III, adolescent de seize ans.

Les Vénitiens avaient enlevé Bologne aux Da Pollenta, Cervia à une branche cadette des Malatesta.

Également fief de l'Église, Ferrare était aux Este, avec les fiefs impériaux de Reggio et de Modène. Le bâtard Borso, descendant d'Azon, le Grand Marquis (au onzième siècle) est fait duc par Paul II. Il a pour héritier Hercule I, son frère légitime, dont le fils Alphonse Ier lui succède et épouse en 1501 Lucrèce Borgia.

Jean II Bentivoglio usurpe, en 1462, la seigneurie d'un autre vassal insubordonné de l'Église, la Commune de Bologne.

Dans les Marches, sur l'Adriatique, Ancône est république ; Camerino appartient à Jules de Varano, représentant des Varano ou Varini, vicaires héréditaires de l'Église; Fermo est aux Fogliani, au même titre : Jean, qui la tenait, vient d'être assassiné et remplacé par son neveu Oliverotto. Les La Rovere ont Sinigaglia par donation de Sixte IV à son neveu Jean.

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Dans l'Ombrie, le duché d'Urbin, avec le comté de Montefeltro et la seigneurie d'Agobbio, ont pour maîtres les Montefeltro, dynastie guerrière et artiste. Époux d'une Sforza, Frédéric vit sa fille, qui avait pris l'habit des sœurs Clarisse, arrachée de son couvent par César Borgia. Assise et Spolette, bien que relevant de l'Église, avaient gardé jusqu'alors une autonomie à peu près entière.

Dans la vallée du Tibre, Jean-Paul Baglioni seigneurise (signoreggia) la République de Pérouse; Vitellozzo Vitelli exerce le même pouvoir sur Città di Castello.

De toutes ces puissances et familles régnantes, celles qui se rattachaient aux Colonna étaient, à la fin du quinzième siècle, ou ruinées par César ou réduites à sa discrétion. Les Sforza étaient chassés de Pesaro, les Malatesta de Rimini, les Manfredí de Faenza. C'était le moment de se retourner contre ses alliés. Le Valentin n'y manqua pas, enlaçant de ses intrigues le duc d'’Urbin, frappant à la tête les Vitelli, les Baglioni, les Fogliani, les Orsini.

Dès 1499, Catherine Sforce, pour son fils et pupille Octavien, vend Imola et Forlì au fils du pape, allié de Louis XII, et armé de Français (300 lances et 400 Suisses), armato di Francesi, selon l'expression de Machiavel.

Abandonnés par Venise, les seigneurs de Pesaro et de Rimini cèdent leurs États à César (1500). Le jeune et bel Astorre, assiégé dans Faenza par les Orsini, capitule (1501); il est envoyé prisonnier à Rome, puis étranglé au Vatican, ayant subi des souillures, dont l'énergique expression de Guichardin désigne assez clairement les auteurs.

Faenza prise, la Romagne, qui eût dû faire retour au domaine, est érigée en duché pour César. Une fournée de cardinaux, introduite à propos, met les sanctions du Sacré-Collége au service de la famille. Le Consistoire

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