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occupé des grandeurs de sa famille que de celles de la papauté, pouvait paraître le centre auquel se rattacheraient les éléments anarchiques, ou asservis à l'étranger, qui constituaient l'Italie géographique.

Si l'auteur du Prince ne s'était pas arrêté à cette pensée dont il offrit plus tard l'exécution comme un appât à l'ambition des Médicis, comment expliquer ses dispositions favorables à la politique du Valentin? Il n'eût vu en lui (ce qu'il fut par le cours imprévu des faits) que l'instrument des prétentions temporelles du SaintSiège.

Et l'on sait comme il juge ces prétentions qui allaient aboutir, et dont il devait si nettement caractériser la funeste influence. « Aux criminels exemples de la cour de Rome, les Italiens doivent leur impiété, leurs divisions et leur faiblesse... Sans cette cour, ils seraient une nation... Mais, trop faibles pour les réunir tous sous leur sceptre temporel, les papes surent bien appeler l'étranger... Telle est encore, telle sera toujours leur conduite envers toute puissance italienne, capable de faire œuvre au-dessus de leur force empire de l'Italie1».

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un seul

Tels sont les appréhensions et les espoirs d'un italianisme anticipé. Il est remarquable comme ces vues de quelques penseurs restent isolées entre les dernières palpitations du patriotisme local et républicain des cités,

1. Discours sur Tite-Live, liv. I, ch. XII.

et les avidités princières se disputant la proie des villes et des territoires.

L'optimisme est difficile à l'esprit supérieur qui contemple ces scènes de violence et de perfidie. Un rêve à l'abbé de Saint-Pierre ne se dégage pas aisément de ces réalités attristantes. Il est plus logique qu'elles enfantent une pensée politique, sans illusion, mais non sans géné rosité, qui cherche dans la mesure du possible à utiliser ces forces égoïstes pour la pacification et l'union du pays. En cette arène, parmi ces bêtes rugissantes (l'image est naturelle, elle s'offre d'elle-même et tout d'abord), Machiavel joue sur les noms de ces ours, de ces animaux à cornes, de ces loups, de ces renards. Entre ces déchaînements des fauves politiques, le jeune secrétaire de Florence garde son sang-froid, son observation implacable, mais avisée et prudente. Aux aguets pour lui-même et pour les siens, on dirait, tant il a retenu dans sa mémoire, pour les reproduire scrupuleusement un jour, ces physio nomies formidables et originales, un simple curieux étudiant sans péril des luttes où il apportait pourtant, outre de graves intérêts d'État à défendre, l'enjeu de sa sûreté personnelle. Mais l'intérêt du dilettante l'emporte, sans toutefois lui faire oublier la prudence. Il en résulte d'immortelles esquisses de ces hommes qu'il portraira con amore dans son poème historique des Decennali.

C'est Pagolo Orsini, Vitellozzo, — l'Ours, le Veau!... C'est le Coq des Gaules, ami des Borgia!... Toute une ménagerie politique! Serpents, Basilics, Renards!...

« Les Coqs (les Gaulois) tournent le bec de la Romagne vers Milan, pour secourir les leurs....

› Tu étais sans armes, 6 Florence, et tu étais en grande crainte, à cause de la corne qui était restée au Veau (Vitello), et tu doutais de l'Ours du Pape....

» Après que le Valentin se fut guéri de ses blessures, qu'il fut retourné en Romagne et qu'il voulut commencer son entreprise contre messire Jean 1;

> Quand on apprit cette nouvelle, il parut que l'Ours et le Veau ne jugèrent pas à propos d'assister celui-ci pour une telle offense.

» Alors ces serpents, pleins de venin, se disputant entre eux, commencèrent à s'agripper et à se déchirer avec les ongles et les dents.

› Et, le Valentin ne pouvant les fuir, il fallut, pour esquiver ce risque, qu'il se couvrît avec l'écu de France.

» Et, pour prendre ses ennemis à la glu, et pour les attirer dans sa tanière, ce basilic siffla doucement.

> Et il ne perdit pas beaucoup de temps à les y conduire, si bien que le traître de Fermo, et Vitellozzo et ces Orsini, qui furent tant ses amis,

› Heurtèrent promptement dans ses embuches, où l'Ours laissa plus d'une patte, et l'autre corne fut coupée au Veau... > Et le cardinal Orsini ne put éviter les malheurs de sa maison infortunée, et il resta mort sous mille perfidies ?... »

Dans ces tercets amers, où il résume le drame de Sinigaglia, on dirait que l'auteur du Prince a voulu défendre contre tout reproche de complicité à ce guet-apens sa mémoire si calomniée. S'il assista, témoin impuissant, au coup d'État, s'il le raconta froidement à la Seigneu

1. J. Bentivoglio, seigneur de Bologne.

2. MACHIAVEL., Decennale primo, o compendio delle cose fatte in dieci anni in Italia.

rie, il entendit sans doute (bien qu'il n'y réussit pas complètement) justifier devant la postérité son sens moral. Il prouve en tout cas qu'il ne faut pas le confondre avec des hommes pour qui la question de moralité n'est pas même posée; car la conscience qui la pose ne semble pas exister en eux...

Ce couple des Borgia, avec quelle âpre ironie, avec quel sentiment de leur indignité Machiavel raillera sa ruine!

« Le Valentin tomba malade, et, pour avoir repos, l'esprit glorieux d'Alexandre fut porté parmi les âmes bienheureuses. >> Ses saintes traces furent suivies par ses trois familières et chères servantes : Luxure, Simonie et Cruauté1. »

Lors de l'attentat de Sinigaglia, Nicolas Machiavel avait trente-quatre ans. Il était né à Florence le 5 mai 1469, de Bernardo Machiavelli, jurisconsulte, et de Bartholomea, fille de Stefano Nelli, et veuve de Nicolao Benizi.

Protégé par les Médicis, dont son oncle Paul Machiavel était un des familiers, attaché à vingt-six ans au secrétariat de la République sous les ordres de Marcello di Virgilio, nommé trois ans après chancelier de la seconde chancellerie des Signori, puis secrétaire des Dix de Liberté et de Paix, il avait obtenu, sans quitter ces dernières fonctions, qu'il exerça près de quinze ans, sa première ambassade en 1499.

1. MACHIAVEL., Decenn., ec. (Dec. I.)

Envoyé près de Jacques d'Appiano, seigneur de Piombino, puis à la cour de Catherine Sforza-Riario, régente de Forlì et d'Imola, il venait de remplir près de Louis XII sa célèbre mission de France, si curieuse à suivre dans ses lettres.

Il retournait d'Arezzo en pacificateur des factions qui déchirèrent cette ville, quand Pierre Soderini, élu depuis un mois gonfalonier perpétuel de la République, l'envoya en résidence à Imola, près du Valentin.

La commission est du 5 octobre 1502, rédigée avec la familiarité hautaine du protocole employé par la Seigneurie envers ses agents : « Nicolas, tu te ren› dras, etc. » Puis, après un résumé des griefs des Florentins à l'adresse des anciens alliés de César qui venaient de se liguer contre lui à la Magione, il est enjoint au délégué de Florence d'offrir au duc de Valentinois les secours de la Commune. « Malgré les troubles exci» tés contre elle par des rebelles que favorisait le duc, » et tant de dommages que lui et son armée avaient » causés à la cité, elle était résolue à ne rien tenter > contre Son Excellence, et à demeurer avec elle dans » les termes de son ancienne amitié, pour l'amour du › Pape et de Sa Majesté Très Chrétienne1. »

Accessoirement, la République, toujours préoccupée de ses intérêts commerciaux, rappelait à son ambassadeur que les difficultés politiques ne devaient pas lui

1. NARDI, Ist. della città di Firenze, lib. IV, cap. XLIII.

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