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homme, glorieux ancêtre de la diplomatie moderne. L'exigence de ses patrons bourgeois égale leur parcimonie. Le budget qu'ils lui allouent est fort maigre. Car, à chaque expédition de dépêches, Nicolas rappelle à la Seigneurie, trop disposée à l'oublier, le florin d'or dû au porteur et qu'il n'a pas les moyens de payer d'avance.

Si l'on mesure les charges du diplomate à ses avantages, le métier est encore peu engageant. Il vient d'écrire quatorze fois en vingt-trois jours, et l'on se plaint de la rareté de ses missives.

Intendo come le Signorie Vostre si dolgono che i miei avvisi son rari, il che mi dispiace: e tanto più quanto a me non pare potere migliorare, avendo scritto a' 7, 9, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,20, 23, 27, e queste sono de' 29 e 30. Raccomandomi alle Signorie Vostre. 30 octobris 15021. »

D'autre part, envoyé le 23 octobre au duc, il n'a reçu en tout pour cette mission, de cette date au 10 décembre 1502, que 55 ducats, ou (à 12 francs le ducat) que 660 francs, soit 14 francs environ par jour. Ayant dû pour suffire à ses dépenses ajouter, de ses ressources, à cette somme 7 ducats, soit 84 francs, il n'en a plus que 7 dans sa bourse, et il expose humblement sa détresse, il crie misère.

«Io partirò domattina di quì, ne andrò dreto alla corte, non di buon voglia, perchè io non mi sento bene, e oltre altre mie incommodità, io ho avuto dalle Signorie Vostre 55 ducati, e ne

1. MACHIAV., Legazione, lett. II, p. 173.

ho spesi insino a quì 62; truovomi in borsa 7 ducati, di poi mi converrà ubbidire alla necessità. E però prego V. Signorie mi provvegghino, quæ bene valeant. »

Pourtant, au milieu des détresses de son budget, il se réjouit d'une munificence inattendue... La Seigneurie a joint aux vingt-cinq ducats dus pour dépenses seize aunes (braccia) de damas noir !

Ce n'était pas une mission facile, ni toujours rassurante que celle de Machiavel auprès de César. Pourtant, quels que soient ses soupçons et ses craintes, et aussi l'attrait des familiarités du virtuose politique, dont il subit en dilettante la fascination, l'ambassadeur n'y perd jamais son jugement sagace et froid. Il se méfie des caresses, il note au passage les promesses, mais sans en trop faire état.

Le Signorie Vostre (écrit-il le 23 octobre) intendono le parole che usa questo signore, delle quali io non ne scrivo la metà : considereranno ora la persona che parla, e faranno ne indizio secondo la solita prudenza loro 1.»

Il accueille non moins prudemment les confidences de Messer Agapito de' Gherardi da Amelia, premier secrétaire de Son Excellence :

Par mes dernières du vingt-neuf et du trente que j'envoyai par le Zerino, courrier (cavallaro) de Vos Seigneuries, elles auront entendu ce qui m'est advenu et que je leur ai mandé en

1. MACHIAVEL., Legazione, lett. 1, p. 157.

réponse à leur lettre du vingt-huit, et ce que j'ai recueilli sur les menées du seigneur Paul, et sur les articles convenus entre les confédérés et le seigneur duc, soit de la bouche même du duc, soit de la bouche des autres. Comme le duc m'avait promis de m'en faire donner une copie, je me suis rendu aujourd'hui près de Messire Agapit pour la prendre. Celui-ci m'a dit à la fin : « Je veux vous dire la vérité; ces articles ne sont pas encore en tout arrêtés, mais on en a fait une esquisse qui a plu au duc et au seigneur Paul. Ce seigneur est parti avec ce projet, et, quand les confédérés le confirmeront, le seigneur Paul devra l'approuver au nom du duc ; car celui-ci a donné procuration pour cela. Après le départ du seigneur Paul, le duc examinant ces articles, il lui sembla qu'il en manquait un, relatif aux intérêts et à l'honneur de la France. Aussi un article fut-il rédigé aussitôt sur cet objet, et le duc me fit-il partir à cheval pour rejoindre le seigneur Paul, avec ordre de lui exposer que, sans l'admission d'un tel article, il ne voulait d'aucune manière conclure. Quand je l'eus rejoint, il refusa d'accepter cette clause; puis, il dit qu'il la présenterait aux autres, mais qu'il ne croyait pas qu'ils l'acceptassent. En conséquence, le duc ne veut pas qu'on en donne copie, et on n'en a pas donné, ni au chancelier de Ferrare, ni aux autres... Et, ajouta Messire Agapit, ou cet article sera accepté, ou non. S'il est refusé, une fenêtre se trouvera ouverte au duc pour sortir du traité à sa guise; s'il est accepté, il aura une porte pour en sortir. Mais des enfants se doivent rire de tels articles, ainsi faits par force, à si grand dam du duc et avec tant de périls pour lui. » C'est ainsi qu'il s'est brûlé à tant parler. J'écris en chiffres ces propos à Vos Seigneuries, parce qu'ils furent tenus en confidence. Les rapprochant de ce que je leur écrivis hier, Vos très-prudentes Seigneuries en porteront un jugement convenable. Sotum, je dois leur faire observer qu'Agapit est ami des Colonna (Colonnese), et très affectionné à leur parti. »

César est plein de prévenances pour l'envoyé florentin. Observateur et observé se valent en finesse et sont à deux

de jeu. Le secrétaire des Dix a l'art de faire parler les confidents du Valentin, ou peut-être celui-ci, plus retors en cela que l'avisé diplomate, lui laisse-t-il croire que ces confidences proviennent de l'indiscrétion des agents, quand, au contraire, elles sont des moyens calculés par le maître. Entretenir une terreur salutaire de son nom en laissant percer un projet dont l'exécution, sans engager en rien la responsabilité de la Seigneurie, pouvait la servir (le duc est l'ennemi de ses ennemis), ce but rentre dans le plan et dans les procédés de César. Et, quand ses âmes damnées soulèvent le voile devant Machiavel, n'est-ce pas peut-être par un ordre secret de Borgia ?

Quoi qu'il en fût, en cette tragédie réelle, comme dans les fictions du théâtre, la catastrophe finale se faisait pressentir avec une gradation dramatique. Par instants, le duc se dérobe, après s'être montré très accessible. Mais le négociateur trouve toujours à point nommé un affidé direct ou indirect qui lui fait soupçonner un dénouement dont, après tout, il n'est pas dangereux qu'il envisage d'avance la sinistre hypothèse.

« Un homme qui fut votre connétable1, et qui est pour le présent lance-brisée du seigneur duc, m'a rapporté comme quoi, hier soir, vers cinq heures, se trouvant au logement du comte Alexandre de Marciano, frère du comte Rimiccio, le seigneur duc, passant à cette heure par là, a fait appeler le comte Alexandre,

1. MACHIAVEL., Legazione, lett. IV, p. 187.

et est demeuré avec lui l'espace d'une heure. Quand le comte l'eut quitté, il dit à la personne dont je parle comment le duc avait conversé avec lui de beaucoup de choses, qui, rapprochées les unes des autres, montraient qu'il y avait dans l'âme de Sa Seigneurie plutôt un désir de vengeance contre qui a mis en péril ses États, qu'un désir ou une intention de paix. »

Cependant le duc continue ses préparatifs militaires : condotte (locations) de bandes, de lanze spezzate, de Suisses, entrevues avec les généraux français dont il obtient des troupes. C'est bien à tort que la Seigneurie se plaint de son envoyé. Les preuves de son activité éclatent dans sa correspondance, pleine d'informations précises, au jour le jour.

Enfin, après une longue interruption d'audiences, il est admis près de César, à une heure du matin. Le duc se montre des plus aimables pour l'ambassadeur et pour la République qu'il demande à servir en soldat, en condottiere. Puis, par un retour bien calculé pour dérouter le soupçon qu'il a fait naître : «Secrétaire, dit-il, je >> t'assure que, si je m'accorde une bonne fois avec les >> Ursins, ce n'est pas pour leur jouer quelque tour » (per fare loro frauda alcuna). »

Tenait-il à être pris au mot sérieusement? Ce n'est pas probable. Voulait-il réellement duper le secrétaire? Tâche ardue. Il parle à bon entendeur. Il persiste dans un rôle qui sauve les apparences, pour lui, surtout pour l'envoyé florentin, et, qui sait? peut en même temps paralyser celui-ci et le remettre à l'aise, en lui laissant

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