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cation est de règle en tel cas, sa fortune est inventoriée. Entre les valeurs figurent une créance de deux mille ducats, une facture de la même somme pour le payement d'une perle. Le pape décide que, jusqu'à ce que le montant de la créance et la perle lui aient été remis, le cardinal ne mangera pas. La mère d'Orsini apporte la somme; sa maîtresse, déguisée en homme, la perle. L'empoisonnement du captif clôt la liquidation.

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lozzo étranglés, les deux Orsini attendant leur tour, — César mande le secrétaire au milieu de la nuit.

Deux heures sonnent aux horloges. Assez perplexe, on le devine, Niccolò trouve le duc dans une chambre nue, où projette des pans d'ombre sinistres la faible lueur d'un méchant flambeau, une de ces lampes classiques, en cuivre, à triple bec. César campe là plus qu'il ne gîte, dans un quartier général improvisé. C'est l'aire du vautour.

On aperçoit fumer, à travers le vitrage plombé de la fenêtre, des restes d'incendie diaprant d'étincelles le ciel noir, au dernier râle des orgies soldatesques. César a eu fort à faire d'arracher la ville à ses bandes.

Son costume est fantasque pourpoint et chausses écarlates, collants, une manière de fourreau. Le ton cru, l'adhérence de cet habit, accentuant l'anatomie du corps, dont il semble la peau plus que l'enveloppe, prêtent au satanique de l'homme. Il n'a au flanc que la dague, sur le pommeau de laquelle sa main gauche se

crispe. Un empâtement boueux aux larges molettes de ses éperons, au vêtement de récentes macules, disent ses chevauchées parmi torrents et plaines fangeuses, en chasse des bandes ennemies. Un air de force bridée, attentive, dont le repos même est éveil, réprime la joie du triomphe : l'œil est froid, scrutateur, plongeant.

Le pauvre secrétaire se souviendra de cette conférence, et des paroles du duc, savie e affezionatissime. On lit bien en son attitude le double effort de la vigilance et de la terreur comprimée... Il se verrait, non sans soulagement, remplacé, ou tout au moins assisté dans la mission qu'il remplit depuis deux mois. Au sortir de la terrible audience, on juge à propos, écrit-il, que >> vous envoyiez un de vos premiers citoyens en ces > conjonctures ». Un homme de condition, de plus de crédit que lui, et qui dégage sa responsabilité directe!

Aussi bien n'a-t-on pas senti sans d'étranges angoisses sur son épaule la patte de velours du tigre.

Un peintre italien, M. Farusini, a reproduit avec une vérité pittoresque et intense une de ces scènes, où le diplomate désarmé subit, anxieux et attentif, les confidences, les effusions équivoques de son redoutable partner. Difficile partie !... Le chétif Niccolò, assis au bord de son siége, tortille un de ses gants qu'il tient à la main, comme pour assurer sa contenance sous le regard d'acier de son interlocuteur. Il darde à la dérobée, dans ce

regard fouillant sa pensée secrète, un coup d'œil non moins perspicace1.

Mais, quelles que soient ses évocations, l'art, même l'art dramatique, tirerait-il de cette terrible entrevue des effets égaux à ceux produits par la lecture des simples lettres qui la relatent? Il faut lire le discours du Valentin dans la xxi épître de Machiavel. Comme le héros du coup d'État vante avec adresse le service rendu à la Seigneurie! Et comme, en invoquant ses bons offices, sous le miel des paroles, il sait, à des alliés hésitants, montrer la force qui les livre, la nécessité qui les contraint de se fier à lui! De telles nuances se traduisent mal :

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Di nuovo mi ripregò, che io scrivessi, che fussi contento fare ogni dimostrazione di essere suo amico, dicendo che al presente non vi aveva a ritardare paura, nè sospetto alcuno, sendo lui armato bene e li vostri inimici presi. ›

Puis, il insinue que le duc Guid' Ubaldo d'Urbin pourrait bien se réfugier dans les domaines de la République, et qu'en ce cas la Seigneurie devrait le retenir captif... Machiavel, aussitôt, d'arrêter l'insinuation à mi-route. «L'honneur de la cité, dit-il, ne permet pas » de livrer le duc à Son Altesse. » Ce qui oblige celle-ci à s'en tenir à sa première ouverture.

(- Dicendo io che non sarebbe della dignità della Città, che quelle liene dessino preso, che voi nol faresti mai, rispose

1. L'entrevue d'Imola, salon de 1867.

che io parlavo bene, ma che li bastava che VV. SS. lo tenessino, nè lo lasciassino se lui no se ne accordava... »

Le duc recule, - on le voit, le diplomate sait prendre ses avantages... Mais il n'est pas besoin de sa pénétration pour comprendre les périls de ce jeu avec un tel antagoniste.

Jusqu'au 21 janvier que dura la mission de l'envoyé de la Seigneurie, la même lutte courtoise et serrée se poursuit, l'un pour appuyer de la peur qu'il leur fait la gratitude qu'il réclame des Florentins, l'autre pour ne pas les livrer à sa discrétion, pour leur garder quelques avantages, quelque liberté de décision dans l'étau du triomphateur qui les presse. Il faut ouïr les déclarations du Valentin : << Il ne s'est armé que pour l'Église, et non pour d'autres visées, non altrimenti. » Il se pose en libérateur, en saint Michel-Archange, en démon... Son but est d'affranchir toutes les terres de l'Église des factions et des tyrans qui les troublent ou les oppriment, de les restituer au Saint-Siége, et de retenir pour lui seulement la Romagne, SOLUM retenersi Romagna per se.

Politique dont le successeur d'Alexandre, quel qu'il soit, lui sera reconnaissant, délivré par lui du joug des Orsini et des Colonna, qui pesait sur le Pape depuis des siècles. Parfois, c'est une maxime que recueille de sa bouche le futur auteur du Prince. « Écoutez, comme dit Bossuet, c'est la maxime qui fait les grands hommes.

« Il faut tromper des ennemis perfides.

È bene

ingannare costoro che sono suti li maestri de' tradi

› menti. »

Puis, en homme pratique, il parle aux Florentins une langue que leur génie commercial comprendra:

"...

Se un anno fa fussi suto permesso alle Signorie Vostre uccidere Vitellozzo, disfare li Orsini, e questi altri aderenti, quelle harebbono fatto un obbligo di 100 mila ducati, il che sendo successo sanza spendio, fatica, o incarico vostro, fa un obbligo tacito, se non ci è in scriptis 1..... ›

S'être débarrassé de ses ennemis en épargnant sa responsabilité et un million de francs, quel profit! L'argument est péremptoire pour ces parfaits banquiers !

Un génie inférieur à celui du secrétaire florentin eût mûri vite à étudier les combinaisons de savante astuce, d'énergie sans scrupule, dont sa mission près de César permit à Machiavel de pénétrer les trames sanglantes. Il a rendu sincèrement et (bien qu'il étonne, le mot est vrai) avec naïveté l'impression mêlée de terreur, de répugnance contenue, et aussi, il faut bien le dire, d'admiration, laissée dans son âme profonde par ses rapports avec le grand politique. On verra peu à peu se dégager un idéal de cette réalité repoussante, mais poétisée par l'imagination du théoricien d'État, poète à sa manière,

1. Lettere di Machiavelli. Londra, 1778, in-32, t. VII, lett. XXIII, p. 298.

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