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de haut, comme Pontano qui, sous forme railleuse1, l'a précédé dans cette voie. «On appelle gentilhomme › celui qui vit sans rien faire... senza cura alcuna... >> Les plus dangereux sont les seigneurs de châteaux » qui ont des sujets 2. >>

En résumé, par l'étude attentive et sans parti-pris des mobiles de notre nature, Machiavel en politique n'a pas été dépassé. Comment le serait-il?

Aristote et lui ont tout vu, tout sondé dans le jeu des forces sociales, dans ce qui est immuable sous le progrès incontestable des conditions; car cet élément fixe dépend d'appétits toujours les mêmes, de luttes pour la vie, pour la prédominance de l'espèce sur l'espèce, de l'individu sur l'individu, du fort, de l'armé, sur le faible et le désarmé. Quel que doive être le nombre des vrais participants aux avantages de la civilisation (ce nombre augmente, là est le progrès, et l'homme de la Renaissance ne pouvait en avoir la claire notion), Machiavel a constaté dans la faune terrestre les lois régissant nos sociétés à l'instar d'un troupeau de buffles ou d'un essaim d'abeilles. Noble et mélancolique génie, même à travers ses gaietés. Planant sur l'inclémence des choses dont il pénétra le morne abîme, son rire est fait d'indulgence, parce qu'il est le fils de la désillusion, comme celui de notre Molière, qu'il annonce par sa profonde comédie de la Mandragore.

1. PONTANI Dialog., voy. Asinum et passim. 2. Discors., lib. I, cap. LV.

Cette pièce, que Léon X fit jouer devant lui au Vatican, comme la Calandria du cardinal Bibbiena, est une œuvre de premier ordre. Conception, style, intrigue, portée de l'observation, vérité fouillée des caractères, que manque-t-il à la Mandragore pour tenir sur le théâtre actuel de l'Italie une place analogue à celle du Tartufe sur la nôtre ?-De respecter les scrupules extérieurs de le moralité moderne, de gazer d'équivoques suffisantes la crudité des situations et des mots.

On sait l'argument.

Rebuté dans ses amours par la trop sage épouse de Nicias, le vieux légiste imbécile, le galant Callimaque se fait passer pour médecin. Il persuade au mari que, pour triompher de la stérilité de sa compagne, il possède un philtre souverain.

L'inconvénient est que le premier homme qui aura commerce avec elle après l'absorption du remède, mourra dans les huit jours. Pour sortir de ce cas perplexe, Nicias doit accepter un substitué qui le remplace pour une nuit auprès de sa femme.

On devine le reste.

Callimaque déguisé en homme du peuple sera le substitué. Le bonhomme consent. Appréhendé dans la rue où il s'est posté tout exprès, le faux médecin est entraîné, comme par violence, dans la chambre de la pieuse Lucrèce. Le mari lui-même le met au lit: il se découvre à l'objet de sa passion, et se fait aisément pardonner.

Le pivot du drame est dans un personnage, vraie création de génie, saisi dans la réalité, le frère Timothée. Il s'agit de vaincre les scrupules de Lucrèce : le moine s'en charge au prix de trois cents ducats pour le couvent ».

Il faudrait tout citer.

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Comme notre Poquelin, le poète « prend son bien où il le trouve », dans les rues, à l'église, dans les tavernes et les marchés, partout où palpite la vie de chaque jour, offrant ses types à l'artiste, au penseur. Il est l'homme aux contrastes, tout à tous, et qui ne veut être étranger à rien, parce qu'il tire de tout l'aliment de son observation. Il apparaît le fantaisiste, le bohême,

dirions-nous,

à nous révélé par lui-même dans sa

lettre à Vettori du 10 décembre 1513.

Je suis à la campagne, et, depuis mes dernières infortunes, je n'ai pas été à Florence... Jusqu'à présent, j'ai chassé la grive... Je me lève avant le jour, je dresse mes gluaux... Je prends deux grives, au moins, sept, au plus... Maintenant, aulever du soleil, je vais dans un bois que je fais couper... J'y reste à voir l'ouvrage de la veille: je cause avec les bûcherons... Sorti du bois, je m'en vais à une fontaine, et, de là, à l'endroit où sont mes gluaux, avec un livre, Dante ou Pétrarque, ou l'un des poètes mineurs, Tibulle, Ovide, Catulle... Jelis les peintures de leurs amours, et je me rappelle les miennes... Je me rends ensuite sur le chemin, près de l'auberge je parle aux passants, je leur demande des nouvelles, j'apprends diverses choses, j'observe différents genres et diverses fantaisies... Je vais diner chez moi avec les miens. Après le repas, je retourne à l'auberge; j'y retrouve ordinairement réunis l'hôte, un boucher, un

LES MEDICIS.

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meunier, un chaufournier. Je m'encanaille avec eux nous jouons aux cartes, au cric-crac. On se dispute, on s'injurie, le plus souvent pour un liard, et l'on nous entend jusqu'à San Casciano. En m'enfonçant dans cette vie ignoble, je calme les agitations de mon âme. Le soir venu, je m'en retourne au logis, et j'entre dans mon cabinet. Je me dépouille des hardes rustiques, je me revets de nobles habits... Je pénètre alors dans le sanctuaire des grands hommes du passé; je leur demande compte de leurs actions: ils me répondent. »>

C'est à de tels vivants de comprendre et de rendre la vie, d'en traduire les scènes en artistes, d'en formuler les lois en penseurs; car ils ont, pour ainsi parler, pénétré dans ses recoins, vécu toutes les existences particulières qui la constituent.

Aussi, comme il est photographié sur nature, ce frère Timothée de la Mandragore!

Au moment où Nicias et Ligurio, le compère de Callimaque, s'apprêtent à lui porter leurs propositions, il sort de l'église des Servites avec une de ses pénitentes.

Si vous voulez vous confesser, dit le bon moine, je ferai ce que vous voulez.

LA DAME.

Non, pas pour aujourd'hui; je suis attendue, et il me suffit de m'être soulagée un peu ainsi, courant courant. Avez-vous dit ces messes de Notre-Dame?

Oui, Madame.

FRÈRE TIMOTHÉE.

LA DAME.

Prenez à cette heure ce florin, et vous direz durant deux mois chaque lundi la messe des morts pour l'âme de mon mari.

Et, encore qu'il fût un méchant homme, pourtant la chair me démange... Je ne puis faire que je n'en ressente, quand je me le rappelle. Mais croyez-vous qu'il soit en purgatoire?

Sans doute.

FRÈRE TIMOTHÉE.

LA DAME.

Moi, je ne le sais pas. Vous n'ignorez pas pourtant ce qu'il me faisait parfois. Oh! combien de fois j'en gémis avec vous!... Je m'éloignais de lui, tant que je pouvais, mais il était si importun!... Ah! Notre-Seigneur !...

FRÈRE TIMOTHÉE.

N'ayez crainte: la clémence de Dieu est grande. Si à l'homme le désir ne manque, le temps ne manque pas de se repentir.

LA DAME.

Croyez-vous que le Turc passe cette année en Italie?

FRÈRE TIMOTHÉE.

Si vous ne faites pas vos oraisons, oui.

LA DAME.

Ah! Dieu nous assiste! avec ces diables-là, j'ai grand' peur d'être empalée 1...

Un trait de génie, c'est que Nicias et le ruffian qui le mène, pour éprouver le frate, renchérissent sur le service qu'ils sollicitent de lui... Ils demandent plus pour avoir moins. — « Camille, petite nièce de Nicias, content-ils à Timothée, est enceinte de quatre mois dans un

1. MACHIAVEL., La Mandragola, att. III, sc. 1.

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