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couvent où son père l'a placée. Le frate, avec le concours de l'abbesse, pourrait éviter le scandale. Qu'est-ce qu'un être informe et sans connaissance — un pezzo di carne?... Je vous entends, vous voulez que j'autorise... Un avortement. Pour compenser le mal, il faudra peut-être de l'argent pour des aumônes.- Le cas est grave, mes fils; mais vos raisons me touchent... Tout se peut faire, à la gloire de Dieu... Mais il faudrait décider la fillette... Je m'en charge... Donnez seulement les ducats... >> On annonce alors au religieux que la prétendue Camille vient d'accoucher avant terme; le vrai cas est exposé on fait aisément admettre au complaisant Timothée d'user de son influence pour déterminer Lucrèce à prendre le breuvage et ce qui

s'en suivra.

Il s'acquitte en conscience de sa tâche.

-

Soyez les bienvenues, dit-il à Lucrèce et à sa mère, complice de son gendre... Je sais ce que vous voulez apprendre de moi, car Messire Nicias m'a parlé. En vérité, j'ai été sur mes livres plus de deux heures à étudier ce cas, et, après long examen, je trouve maintes choses qui, en général et en particulier, militent pour nous.

LUCRÈCE.

Parlez-vous vrai ou raillez-vous?

FRÈRE TIMOTHÉE.

Ah! Madame Lucrèce, sont-ce des choses à railler? Est-ce de maintenant que vous me connaissez?

1. En substance, d'après MACHIAVEL, Mandragore, acte III, sc. Iv.

LUCRÈCE.

Non, mon père; mais cela me paraît la plus étrange chose qu'on ait jamais ouïe.

FRÈRE TIMOTHÉE.

Je vous crois, Madame; mais je ne veux plus que vous disiez ainsi. Il y a beaucoup de choses qui de loin paraissent terribles, insupportables, étranges; et, quand vous les approchez, elles semblent humaines, soutenables, familières. Aussi dit-on là qu'il y a plus de peur que de mal... Ceci en est une...

LUCRÈCE.

Dieu le veuille!

FRÈRE TIMOTHÉE.

Je veux revenir à ce que je disais d'abord. Vous avez, quant à la conscience, à retenir ce principe, que, là où est un bien certain et un mal incertain, on ne doit jamais lâcher ce bien par peur de ce mal. Il y a là un bien certain, c'est que vous deviendrez grosse, que vous acquerrez une âme pour Messer Domine Deus. Le mal incertain est que celui qui couchera avec vous, après la potion prise, ne meure. Mais il s'en rencontre aussi de ceux-là qui n'en meurent point. Or, comme la chose est douteuse, pour ce il est bien que Messire Nicias ne coure pas ce péril. Quant à l'acte, qu'il soit péché, c'est une fable; car, ce qui pèche, c'est la volonté, non le corps; et la raison du péché, c'est qu'on déplaît au mari, ce faisant, et vous lui complaisez; c'est qu'on y prend plaisir, et vous y trouvez déplaisir. Outre cela, la fin se doit regarder en toute chose. Votre fin est de remplir un siége au Paradis, de contenter votre mari. La Bible dit que les filles de Loth, croyant qu'elles demeuraient seules au monde, copulèrent avec leur père, et, parce que leur intention fut bonne, elles ne péchèrent pas....

LUCRÈCE.

Où me menez-vous, mon père?

FRÈRE TIMOTHée.

Je vous mène à des choses telles, que vous aurez toujours raison de prier Dieu pour moi...

SOSTRATA (la mère).

Elle fera ce que vous voudrez... Je la veux mettre au lit ce soir, moi... De quoi as-tu peur, sotte?...

LUCRÈCE.

Je cède à vos raisons, mais je ne crois pas être vivante demain matin.

FRÈRE TIMOTHÉE.

Ne crains rien, ma fille : je prierai Dieu pour toi; je dirai l'oraison de l'Ange Raphaël pour qu'il t'accompagne. Allez en joie, et disposez-vous à ce mystère qui s'accomplira ce soir1.

Quel chef-d'œuvre !

Le madré Ligurio a dit d'avance la moralité de cette scène incomparable : « Ces frères sont intrigants et >> rusés; ils ont raison, connaissant nos péchés et les » leurs. » — Bonhomme au fond, et de meilleure foi qu'on ne croirait, semble ce Timothée. Mais il est de la famille... Moine moinant jamais mieux ne moina de

» moinerie. »>

1. MACHIAVEL., Mandragola, att. III, sc. XI.

2. Ibid., sc. II.

CHAPITRE XXIX.

JULES II ET MICHEL-ANGE.

Ce sera le titre des Borgia d'avoir représenté, d'une manière éclatante, avant les hypocrisies et les atténuations modernes, le type brutal du Pouvoir. Ils apportèrent à ce rôle, avec l'intense et franche énergie d'une barbarie très antérieure, les raffinements d'une époque réfléchie et complexe. Brillant et sinistre, l'égoïsme humain triomphe en eux. La loi naturelle du plus fort, contre laquelle la conscience de l'homme proteste seule (combien faiblement, avec quelle impuissance, hélas !), présida si ouvertement à leur politique, que leurs actes éclairent la plupart des politiques. Il ne reste à l'optimisme, pour retrouver quelque moralité dans cette histoire, qu'à évoquer à l'appui d'une Providence la triste fin des Borgia, qu'à montrer l'araignée prise à sa toile meurtrière.

On sait cette fin. La Cantarelle vengea l'humanité. Cette poudre blanche était d'un emploi lucratif. Avait-il besoin d'argent? le pape vendait une charge, un chapeau, bientôt vacant et à revendre grâce à la précieuse poudre.

Or, dans la soirée du 18 août 1503, le Saint-Père et son fils s'étaient rendus à la vigne d'Adrien de Cornetto pour fêter la promotion de ce cardinal et de ses collègues, Jacques de Casanova et Melchior Copis. Un souper splendide était préparé, par ordre d'Alexandre. Mais un sommelier donna par mégarde à boire au pape et au Valentin du vin empoisonné réservé aux trois porporati. Le père en mourut, le fils échappa; mais, dans la crise horrible qui épargna sa vie, il perdit l'occasion de sauver son pouvoir bâti sur onze ans de crime.

Pendant qu'abandonné de sa cour, le cadavre d'Alexandre est livré aux ensevelisseurs, qui l'enfoncent brutalement dans sa bière trop étroite pour le corps hideusement noir et tuméfié, plongé dans les entrailles d'une mule éventrée, le fils hurle ses tortures. Et, quand il revient à la vie, son pouvoir en ruine, ses convoitises déçues s'offrent à l'ambitieux terrassé d'un coup de foudre. Il avait tout prévu, sauf cette main-mise du Destin qu'il avait lui-même provoquée.

A l'histoire politique de rappeler en détail l'interrègne qui sépara la mort d'Alexandre VI et l'élection d'un Piccolomini, Pie III. Rome trembla quelques jours devant César relevé de son mal et réfugié à Saint-Ange avec des forces suffisantes pour se défendre, ou, tout au moins, pour lui permettre de sauver, en traitant, quelques épaves de sa fortune déchue.

Malheureusement pour lui, le nouveau pape, un vieillard, meurt après vingt-trois jours de règne. Un impla

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