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cable ennemi, un proscrit des Borgia, le cardinal de Saint-Pierre, devient Jules II: César, fugitif, prisonnier, puis se livrant aux Espagnols, s'en va mourir en Navarre, au siège d'une place obscure. L'œuvre de crime et de conquête qu'il a menée presque à fin pour lui, un pontife guerrier l'achève au profit de l'Église Sic vos non vobis...

Cette tragédie de la mort d'Alexandre, que nous rapportons dans sa teneur traditionnelle, des autorités considérables l'ont contestée. Elle ne répugne pas cependant au caractère et aux précédents les mieux avérés des Borgia.

« On prétend que, dans un pressant besoin d'argent, il voulut hériter de ces cardinaux; mais il est prouvé que César Borgia emporta cent mille ducats d'or du trésor de son père après sa mort le besoin n'était donc pas réel. D'ailleurs, comment se méprit-on à cette bouteille de vin empoisonnée, qui, dit-on, donna la mort au pape, et mit son fils au bord du tombeau ? Des hommes qui ont une si longue expérience du crime ne laissent pas lieu à une telle méprise. On ne cite personne qui en ait fait l'aveu; il paraît donc difficile qu'on en fût informé. Si, quand le pape mourut, cette cause de sa mort avait été sue, elle l'eût été par ceux-là mêmes qu'on avait voulu empoisonner. Ils n'eussent point laissé un tel crime impuni; ils n'eussent point souffert que Borgia s'emparât paisiblement des trésors de son père... Enfin le journal de la maison de Borgia porte que le pape, âgé de soixante et douze ans, fut attaqué d'une fièvre tierce qui bientôt devint continue et mortelle. Ce n'est pas là l'effet du poison. On ajoute que le duc de Borgia se fit enfermer dans le ventre d'une mule. Je voudrais bien savoir de quel venin le ventre d'une mule est l'antidote. Et comment ce

Borgia moribond serait-il allé au Vatican prendre cent mille ducats d'or? Était-il enfermé dans sa mule quand il enleva ce trésor1? »

Voilà bien Voltaire, et son bon sens narquois! Peutêtre, en raison même de cette sagacité, si bien en garde contre les on-dit des chroniqueurs et des conteurs de légendes, faut-il se défier de lui. A l'endroit des empoisonnements de grands seigneurs et de princes si aisément acceptés du vulgaire, l'auteur de l'Essai sur les mœurs contrecarre volontiers les assertions les plus historiques.

On ne prête qu'aux riches, d'ailleurs la réputation d'Alexandre VI n'a guère à gagner à s'alléger d'un forfait de plus. Mais, quelle que fût la cause de sa mort, l'imagination populaire s'affola sur sa dépouille en fantastiques récits traduisant bien l'immense retentissement de scandale produit par cette vie et par cette mort.

Quand il tomba malade, il se mit à parler de façon à faire croire à ceux qui ne connaissaient pas sa pensée, qu'il divaguait, tandis qu'il s'exprimait avec une parfaite connaissance de luimême. Ses paroles furent : « Je viens, tout est en règle, attends seulement encore un petit peu. » Il fut alors expliqué par ceux qui entendaient son secret que, dans le conclave après la mort d'Innocent, il avait fait un pacte avec le diable, et acheté la papauté au prix de son âme. Parmi les articles du pacte, il y en avait un portant qu'il occuperait le Saint-Siége pendant douze ans, ce qui lui a été tenu, en effet, avec un surplus de

1. VOLTAIRE, Essai sur les mœurs, etc., ch. CXI. Le grave historien Ranke, si érudit et si sagace, croit au crime et à l'empoisonnement.

quatre jours. Il y en a aussi qui disent avoir vu sept diables dans sa chambre au moment où il rendit l'âme. Quand alors il fut mort, son corps se mit à entrer en fermentation et sa bouche à écumer, comme ferait un chaudron sur le feu, et ainsi dura la chose tant que le corps fut sur terre. Il gonfla aussi outre mesure, à n'avoir plus forme humaine et plus aucune différence entre largeur et longueur. On le transporta au tombeau sans grande cérémonie. Un portefaix le traina du lit funéraire, avec une corde au pied, jusqu'au lieu où on l'ensevelit, car personne ne voulait le toucher1. »

César fut le précurseur, Jules II le Messie, ou plutôt le Mahomet, du royaume temporel du Saint-Siège. Vrai pape de l'Église militante, il entrait dans les villes assiégées en vertu du droit canon. C'est le mot de notre Henri IV en pareil cas : appliqué au Père des Fidèles, au bon Pasteur, le double sens qu'il offre est plus exact et plus piquant.

Mais on n'a pas à dire l'instigateur de la Ligue de Cambrai qui unit contre Venise le Pape, l'Empereur et la France (1508), de la Sainte Ligue qui arma contre la France l'Empereur, le Souverain Pontife, Venise et Milan (1511). Ce prêtre à qui l'on attribue le plan de chasser les barbares, d'étendre des Alpes à la Sicile le royaume du Saint-Siège, ce rude Ligurien, à la bougrisque barbe, comme dit Rabelais avec son irrévérence expressive, sembla jaloux de résumer en lui les deux pouvoirs de conducteur spirituel et de guide temporel des peuples, le bras de Moïse qui combat, la main d'Aaron qui maudit. Il suffit

1. Lettre du marquis de Mantoue à la marquise, sa femme.

à notre but de caractériser son œuvre de pape homme d'État et d'Italien. C'est l'homme de la Renaissance, le protecteur quinteux, mais obstiné, du quinteux MichelAnge, qui nous intéresse : c'est le bourru bienfaisant au grand art, préparant et commençant les merveilles du règne suivant.

-

Le sculpteur du Moïse de Saint-Pierre-aux-Liens, le peintre de la Sixtine, a des affinités extérieures et morales avec le rude pontife. Ces ressemblances expliquent la sympathie de celui-ci pour le génie et la personne de Buonarroti. Il n'est pas jusqu'à la bougrisque barbe qui ne se retrouve au menton de l'artiste, et la violence condensée de la physionomie, du regard, en ces traits accusés rendus plus étranges par le sacrilège coup de poing du Torrigiani.

Quand on ne s'arrêterait pas, après tant d'autres, devant le colosse de l'art moderne (tout semble dit sur l'œuvre et sur l'homme), le peintre de la Sixtine exigerait une étude spéciale, au point de vue d'où nous tentons d'embrasser les divers aspects de la Renaissance italienne. Athlétique et méditatif, ce génie concentré dans sa contemplation, comme l'est dans l'effort outré de sa musculature le type de géant qu'il créa, -MichelAnge résume la seconde Renaissance. Objet pour lui d'un culte passionné, son poétique patron, son inspirateur, Dante, tient la même place dans la première. Aussi, quelle affinité entre ces deux revenants des mondes chimériques, le poète de la Comédie divine, le peintre

du dernier Jugement! Celui-ci,

poète à ses heures,

- tient à honneur d'exprimer cette similitude, cette affiliation des deux génies.

1.

A DANTE ALIGHIERI 1.

Du monde, il descendit aux aveugles abîmes,
Contemplant les enfers, jusques à Dieu monta,
Vivant, accompagné de pensers magnanimes,
Et sur la terre, à nous, la lumière apporta.

Astre majestueux, tes rayons découvrirent
Les secrets éternels à nos regards célés,
Gardant le seul honneur que leurs labeurs attirent
Aux héros méconnus, d'outrages désolés.

Ton œuvre, ta pensée, ô Dante, fut maudite
Par ce peuple d'ingrats réservant ses mépris

A la gloire du juste, à l'éclat du mérite.

Oh! pussé-je être tel que lui-même, à ce prix
De l'apre exil subi par la vertu proscrite,
Épandant ses splendeurs sur le monde surpris!

Dal mondo scese ai ciechi abissi, e poi
Che l'uno e l'altro inferno vide, e a Dio,
Scorto dal gran pensier, vivo salio,
E ne diè in terra vero lume a noi;

Stella d'alto valor coi raggi suoi

Gli occulti eterni a noi ciechi scoprio,
E n' ebbe il premio al fin che 'l mondo rio
Dona sovente ai più pregiati eroi.

Di Dante mal fur l'opre conosciute,
E'l bel desio, da quel popolo ingrato
Che solo ai giusti manca di salute.
Pur fuss' io tal! ch'a simil sorte nato,
Per l'aspro esilio suo con la virtute,
Darei del mondo il più felice stato.

(Rime di MICHELAGNOLO BUONARROTI, sonetto XXXI.)

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