Immagini della pagina
PDF
ePub

CHAPITRE XXX.

LÉON X.

Bembo est « ce Pétrarque vénitien », un autre platonisant, celui-là, et des meilleurs, mais que, comme son compagnon Bibbiena, on ne peut séparer de Jean de Médicis. Entre ces deux satellites, l'astre de la seconde Renaissance, le fils du Magnifique, couronné pape sous le nom de Léon X, se présente à la postérité. La figure de Raphaël s'harmonise à la sienne aussi naturellement que la rude physionomie de Michel-Ange s'accouple au type abrupt de Jules II.

Il faut voir le fin myope au palais Pitti de Florence,tel que l'a représenté le peintre d'Urbin. La loupe en main, la tête serrée dans sa barrette, le patron de la Renaissance déchiffre un manuscrit. Seraient-ce les cinq premiers livres des Annales de Tacite, qu'au prix de cinq cents sequins Ange Aremboldo vient de lui apporter de l'abbaye de Corwey en Westphalie ?... Un sourire plisse les lèvres charnues du pontife... Gourmet en jouissance, -gourmet intellectuel, amoureux de l'art et de la vie !... Dégustateur et prudent! Chercheur et politique! En lui s'achève, se couronne dans ses

-

facultés-maîtresses toute une génération de dilettanti subordonnant le goût et l'ambition du pouvoir aux appétences de l'amant du Beau, du curieux alléché qui veut connaître et savourer.

Le corps est replet, le teint couperosé : alangui, légèrement tuméfié par la lymphe, le galbe distingué des traits s'émousse sous l'exubérance un peu molle de la carnation. On devine, à ces splendeurs d'une obésité qui s'accuse, la résultante équilibrée non sans labeur d'un tempérament complexe, où les flairs de l'homme d'État et de calcul se compliquent des caprices raffinés du penseur, de l'artiste érudit.

Sous bien des rapports, de tels hommes offrent dans leur tempérament et, pour ainsi parler, dans leurs distinctions même l'aboutissant des générations qui les ont produits. La transmission héréditaire entre pour une part bien plus notable que chez d'autres dans la constitution de leur génie. Plus larges, plus brillantes que celles de leurs auteurs, leurs facultés sont à beaucoup d'égards le résultat d'une sélection continue, l'expression la plus intense d'une virtualité de race et de famille. L'originalité de l'homme s'éclipse dans une certaine mesure derrière l'originalité collective dont il procède et qu'il résume. Si ce concours de la race n'est pas étranger à la formation de quelques grands génies dans les sciences ou dans les arts, ne doit-il pas, en raison de leur office moins spécial, se manifester plus fréquemment dans une autre catégorie d'illustres les protec

teurs des travaux intellectuels, les Mécènes? Dans le développement de ces derniers, l'étude exclusive et concentrée a moins de part qu'une sorte d'intussusception générale, de pénétration constante de leur esprit et de leurs habitudes par un milieu d'élégance et de supériorité. Tels, dès le début de ces études, nous ont apparu les Médicis depuis Cosme l'Ancien jusqu'à Laurent. Intellectuellement, le Magnifique est celui de tous, sans excepter Léon X, qui dut le plus à lui-même : il méritait d'associer à son nom la gloire de la seconde Renaissance. Pourquoi donc ce rôle est-il légitimement acquis au Pontife son fils? C'est qu'en outre de la situation prépondérante qu'il occupe, la nature plus effacée et passive de son génie propre, si compréhensif et si fin, l'universalité contemplative et un peu paresseuse de celui-ci fait de lui comme le dégustateur suprême, partant l'initiateur le moins personnel, l'arbitre équitable entre tous des efforts d'une élite d'artistes et de penseurs. Il faut à ces patronages le scepticisme de haut goût d'un Épicurien un peu blasé, mais toujours amusable. C'est le cas de Léon X, et l'originalité par bien des points naïve de ce Mécène légèrement lymphatique.

Ce délicat, malgré son atticisme, il n'est pas à ses heures insensible à des jouissances d'esprit moins raffinées, bien qu'assez innocentes. Ses bouffons parasites le délassent de ses philosophes parfois, parmi les concerts des instrumentistes, et les subtils devis des dialecticiens, ils entremêlent des jovialités à la Panurge.

Comme dans la Comédie d'Aristophane, le symbolisme ailé et plastique côtoie la farce au gros sel. Le pape s'amuse.

Les gaietés d'Alexandre VI se pimentaient d'autres épices. On est loin des priapées comme des férocités de ce Tibère dévoré, comme le césar de Caprée, par toutes les lèpres de la luxure et de l'ambition inassouvies.

L'historien véridique est tenu de respecter le voile qui, faute de documents précis, protège encore la vie privée de Léon X; mais, sans user à cet endroit du prisme d'illusion héate à travers lequel le Médicis se montre sous les traits d'un saint au dévot et dithyrambique Audin, le biographe émancipé des partis-pris de l'esprit sectaire constate, dans le héros et le patron du dilettantisme intellectuel et artistique, une grâce d'État commune, ou peu s'en faut, à tous les voluptueux de l'esprit. L'âpreté des convoitises féroces et lubriques répugne à leur nature, pour sensuelle qu'elle soit. Le tempérament pondéré d'un Périclès se concilie mal avec les bestiales. ardeurs d'un Héliogabale ou d'un Louis XV. Leur mépris d'Olympien, leur raffinement d'amateur, planent de haut même sur les bas-fonds où ils ne croient point parfois déroger à descendre. Leur indolence curieuse et occupée, sinon laborieuse, ne supporte pas longtemps la tyrannie d'un appétit, l'intégral oubli du penser dans l'obsession des satisfactions épaisses. Ils sont de ceux qui, sans méconnaître aucune des joies de ce monde,

disent avec Diderot, poursuivants des lutins impalpables du cerveau Mes idées sont mes... courtisanes.

Sous ses réserves, il est difficile de parler des vertus austères de Léon X et de sa cour autrement qu'à un point de vue relatif, en opposition avec les mœurs scandaleuses des Borgia. Faut-il, toutefois, accepter, avec la maligne interprétation qu'en donne le protestant Seckendorf, le récit de l'opération subie par Léon au Conclave (1513)?

Il est certain qu'un chirurgien y fut appelé pour lui percer un apostème très malencontreusement situé.

Bayle, dans sa biographie de ce pontife, cite Seckendorf, mais en lui reprochant de tirer à lui, dans le sens de sa passion anticatholique, des témoins moins affirmatifs que ne l'admet l'annaliste protestant. Il faut plus que se méfier des commérages de Varillas dans ses Anecdotes de Florence. Varillas, d'ailleurs, n'exprime pas une certitude, il laisse percer un soupçon sur la nature du mal dont souffrait le fils du Magnifique 3. Mais Paul Jove est d'accord avec lui, sinon sur le siège', du moins sur la réalité de l'abcès et du coup de lancette dont les suites pestifères décidèrent les membres du Conclave, inquiets sur leur santé, à précipiter l'élection du malade désigné à leurs suffrages. En présence des com

1. Hist. du Luthéran., liv. I, p. 190.

2. BAYLE, Dictionn. histor., art. LÉON X, note B.

3. VARILLAS, Anecd., lettre vi, p. 257, éd. de La Haye, 1687.

4. Il le place au fondement, Varillas à l'aine. - P. Jov., Vit. L. X lib. III, p. 126.

LES MEDICIS.

II. 21

« IndietroContinua »