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Comme dans la Comédie d'Aristophane, le symbolisme ailé et plastique côtoie la farce au gros sel. Le pape

s'amuse.

Les gaietés d'Alexandre VI se pimentaient d'autres épices. On est loin des priapées comme des férocités de ce Tibère dévoré, comme le césar de Caprée, par toutes les lèpres de la luxure et de l'ambition inassouvies.

L'historien véridique est tenu de respecter le voile qui, faute de documents précis, protège encore la vie privée de Léon X; mais, sans user à cet endroit du prisme d'illusion héate à travers lequel le Médicis se montre sous les traits d'un saint au dévot et dithyrambique Audin, le biographe émancipé des partis-pris de l'esprit sectaire constate, dans le héros et le patron du dilettantisme intellectuel et artistique, une grâce d'État commune, ou peu s'en faut, à tous les voluptueux de l'esprit. L'âpreté des convoitises féroces et lubriques répugne à leur nature, pour sensuelle qu'elle soit. Le tempérament pondéré d'un Périclès se concilie mal avec les bestiales ardeurs d'un Héliogabale ou d'un Louis XV. Leur mépris d'Olympien, leur raffinement d'amateur, planent de haut même sur les bas-fonds où ils ne croient point. parfois déroger à descendre. Leur indolence curieuse et occupée, sinon laborieuse, ne supporte pas longtemps la tyrannie d'un appétit, l'intégral oubli du penser dans l'obsession des satisfactions épaisses. Ils sont de ceux qui, sans méconnaître aucune des joies de ce monde,

disent avec Diderot, poursuivants des lutins impalpables du cerveau Mes idées sont mes... courtisanes.

Sous ses réserves, il est difficile de parler des vertus austères de Léon X et de sa cour autrement qu'à un point de vue relatif, en opposition avec les mœurs scandaleuses des Borgia. Faut-il, toutefois, accepter, avec la maligne interprétation qu'en donne le protestant Seckendorf, le récit de l'opération subie par Léon au Conclave (1513) 1?

Il est certain qu'un chirurgien y fut appelé pour lui percer un apostème très malencontreusement situé.

Bayle, dans sa biographie de ce pontife, cite Seckendorf, mais en lui reprochant de tirer à lui, dans le sens de sa passion anticatholique, des témoins moins affirmatifs que ne l'admet l'annaliste protestant. Il faut plus que se méfier des commérages de Varillas dans ses Anecdotes de Florence. Varillas, d'ailleurs, n'exprime pas une certitude, il laisse percer un soupçon sur la nature du mal dont souffrait le fils du Magnifique 3. Mais Paul Jove est d'accord avec lui, sinon sur le siège, du moins sur la réalité de l'abcès et du coup de lancette dont les suites pestifères décidèrent les membres du Conclave, inquiets sur leur santé, à précipiter l'élection du malade désigné à leurs suffrages. En présence des com

1. Hist. du Lutheran., liv. I, p. 190.

2. BAYLE, Dictionn. histor., art. LÉON X, note B.

3. VARILLAS, Anecd., lettre vi, p. 257, éd. de La Haye, 1687.

4. Il le place au fondement, Varillas à l'aine. P. Jov., Vit. L. X lib. III, p. 126.

LES MEDICIS.

II. 21

pétitions qui les divisaient, l'état de leur collègue, s'il était nommé par eux, leur offrait la chance d'une succession prochaine.

Les témoignages de l'histoire, s'ils ne tranchent la question dans aucun sens, autorisent néanmoins une présomption suffisante quant au caractère de l'infirmité. Ils permettent de se demander s'il y a lieu de compter ce cardinal, alors âgé de trente-six ans, parmi les « très précieuses » victimes d'un fléau que, dans son gaulois effronté, notre Rabelais appelle de son nom vulgaire.

Quelle qu'ait été la nature du mal dont souffrait notre pontife, le cruel fléau, fatal à François I", respectait peu les puissances de la terre et du ciel. Bien des crimes de lèse-majesté chargeaient déjà la conscience de l'infernale Syphilis. Alors même, le plus grand poète didactique de la latinité après Lucrèce, un familier de Bembo, Fracastor, décrivait la redoutable déesse, et les inappréciables services de ses ennemis le Dieu Mercure, le bois de gaïac, célébré (et pour cause) à raison de ses vertus curatives par le chevalier poète allemand, Ulric von Hutten.

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Cet arbre sauveur, il pousse dans l'île d'Hispaniola, où Christophe Colomb a découvert à la fois le mal et le remède le précieux végétal et l'épouvantable infirmité issue de l'impiété du berger Syphilus. Ce pâtre libre-penseur refusa de sacrifier au Soleil; il réserva son culte au souverain du pays, Alcithoüs. Ce dernier

accepta cet hommage aux dépens des Dieux frustrés des honneurs qui leur sont dus.

Pour expier cet attentat sacrilège, son peuple est désormais la proie du funeste virus. Tel est l'arrêt du Soleil, et sa vengeance irrévocable.

Fracastor narre ces prodiges dans son troisième et dernier livre. Le début est splendide et d'un poète de premier ordre. L'étonnement enthousiaste des contemporains devant l'Amérique découverte, étalant ses races nouvelles, ses opulences inconnues, se traduit dans ces vers entraînants et originalement pittoresques 1.

« Qu'un autre poète, séduit par la merveilleuse image d'un monde nouveau, accoutumé à célébrer les héros et les grandes aventures, chante les nefs qui osèrent, sous de meilleurs auspices, tenter les périls d'un Océan inexploré. Qu'ils disent et les terres diverses, et les fleuves, et les villes, et les races variées, et les monstres découverts, et les plages étendues, et les astres se levant dans les hauteurs du ciel, et une autre Ourse brillant par de plus grandes étoiles. Qu'il ne taise pas les guerres nouvelles, les étendards portés à travers tout un monde inconnu, avec nos lois et notre renommée. Qu'il chante (ce qu'à peine à l'entendre croiront les siècles futurs) l'espace embrassant les' flots de l'immense Océan parcouru et mesuré tout entier en une fois par nos carènes. Heureux, à qui le Dieu aura donné une si belle tâche ! Il me suffit d'exposer les vertus et l'usage d'un

1. Voy. Hieronymi FRACASTORII veronensis, etc., Carminum editio II, t. I; Patavii, 1739; excudebat Josephus Cominus.

Voy., au tome II du même ouvrage, la traduction en vers italiens du poème, par Vincenzo Benini, colognese. Syphilis ou le mal vénérien, poème latin de Jérôme FRACASTOR, avec la traduction en français et des notes; Paris, Lucet, directeur du Bulletin de la littérature, rue Montmartre, 94; 1796.

seul arbre, comment il fut découvert, et sous notre ciel il parvint importé à travers les flots d'une si vaste mer... Envoyés pour chercher les parages cachés de Nérée, vers l'Occident et la couche du Soleil, les vaisseaux loin des côtes de la patrie, et quittant le détroit de Calpé, voguaient sur le grand Océan, et fendaient les vagues, ignorants du chemin, et égarés en de longs détours. Autour des nefs nageaient les Néréides ruisselantes, accourues du fond des gouffres autour des monstres nouveaux d'une mer inconnue elles admiraient cingler les poupes élevées, volant au-dessus des vagues salées, poussées par les voiles aux banderoles de couleurs diverses.

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>> Il était nuit : la lune brillait dans l'éther pur, épandant ses rayons sur les ondes marmoréennes d'une mer tremblotante... >>

Nox erat, et puro fulgebat ab æthere Luna,
Lumina diffundens tremuli per marmora ponti.

Deux hexamètres vraiment virgiliens!

« Alors le héros magnanime, choisi par les destins pour une si haute mission, le chef de la flotte errante à travers les flots : « — Lune, dit-il, ô toi à qui obéissent ces royaumes humides de la mer, tu as déjà recourbé deux fois les cornes de ton front doré, deux fois tu en as rempli l'orbe étincelant: à nous qui errons sans que se montre aucune terre, donne-nous enfin d'apercevoir des rivages et de toucher au port dès longtemps espéré, honneur des nuits, gloire du ciel, vierge, fille de Latone. » Phœbé entendit sa prière, et, descendant du haut de l'éther, prenant la forme sous laquelle nagent les Néreides Cymothoé et Clotho, elle se tient près de la carène, et, nageant pareillement à la surface des flots, elle dit : «—. O nefs aimées, ne doutez pas le jour de demain vous montrera la terre et vous donnera d'atteindre à un port assuré1. »

Syphil., lib. III, v. 13-29; v. 93-11 7.

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