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Elle répondit au même besoin satisfait chez nous par deux productions du même ordre (sauf leur conception colossale et les différences résultant du génie français), Gargantua, Pantagruel.

Léon, nature indolente, abandonnée à ses entours immédiats, put bien ne pas montrer envers le poète ferrarais, dans le voyage qu'il fit à Rome, toute sa générosité de Mécène. Arioste, du moins, se plaint de lui à ce sujet. Il a mis en scène dans un ingénieux apologue la parcimonie du pontife. Un berger, dans une disette, obtient des Dieux la découverte d'un mince filet d'eau :

« Il s'y rendit, suivi de sa femme et de ses enfants et de tout ce qu'il avait au monde...

>> Mais, n'ayant pour puiser à la source qu'un petit vase étroit, il dit: Ne vous fâchez pas si je bois le premier.

» Ma femme boira la seconde; il est juste que mes enfants viennent après, et ainsi de suite jusqu'à ce que tous aient apaisé leur soif ardente.

> Je veux ensuite que l'écuelle arrive en proportion de la peine de chacun aux serviteurs qui m'ont aidé à creuser la citerne.

› Enfin on songera aux bêtes, et on fera passer avant les autres celles dont la perte coûterait le plus cher.

> Les choses ainsi réglées, chacun va boire à son tour, et, pour n'être pas des derniers, tous exagèrent leur mérite.

> Une pie, qui de tout temps avait été chérie du maître, dont elle faisait les délices, voyant et entendant cela, s'écria : Malheur à

moi!

» Je ne suis pas sa parente, je n'ai pas travaillé au puits, et je ne ferai jamais pour lui plus que je n'ai fait jusqu'à pré

sent;

» Je vois que je m'en vais rester derrière tous les autres, et je mourrai de soif, si je ne me hâte de chercher pour mon usage un autre filet d'eau 1. »

Par sa bulle du mois de mars 1516, le pape n'en accorda pas moins au poète, pour toute la durée de la vie de celui-ci, le privilège exclusif d'imprimer et de vendre son 'Roland, frappant les contrefacteurs de cent ducats d'amende et de l'excommunication!

Assurément, il n'y a pas à chercher dans cet acte une pensée systématique, il n'y faut voir qu'un témoignage de bienveillance envers un lettré. La libéralité de Léon n'eut rien d'ailleurs d'exagéré. Arioste dut payer la moitié des frais de sa bulle. Mais, vue de plus haut, cette manifestation de la puissance spirituelle en faveur d'une œuvre profane, adverse au fond, sinon hostile, à l'esprit chrétien, met en plein jour le caractère de l'évolution accomplie au faîte de l'Église.

Ce rôle de protecteur, - ne perdons pas de vue cette particularité, -Jean de Médicis ne l'exerce pas du dehors comme son bisaïeul le grand Cosme, mais à l'instar de son père, bien qu'à un degré inférieur. Musicien, poète, dialecticien, il produit dans ces trois domaines juste assez (saveur exquise au dilettante) pour apprécier de gustu et in cute l'aiguillon laborieux, les voluptés intimes, les jouissances d'amour-propre de la création intellectuelle.

1. ARIOSTE, Satires, trad. d'Ant. de Latour.

Laurent fut un véritable homme de lettres. On ne pourrait, malgré le mérite des quelques écrits qui nous sont restés de lui, accorder ce titre à son fils. Là, comme dans les arts plastiques, il demeure un grand amateur. Il est plus digne du nom de musicien par sa prédilection spéciale pour le chant et la composition. Peut-être sa participation, dès l'âge de treize ans, comme cardinal, aux cérémonies du culte le disposait à la pratique d'un art véritablement ecclésiastique par la mission longtemps prépondérante qu'il remplit.

N'oublions pas que la Musique est la plus haute des sciences mathématiques dans le programme des études avant et même quelque temps après la seconde Renaissance. Les gothiques universités d'Oxford et de Cambridge reçoivent encore des docteurs en musique. La science des sons constitue le couronnement du Quadrivium elle vient dans l'ordre ascendant la dernière, après la Géométrie, l'Arithmétique et l'Astronomie '.

Ce grand art, tout moderne en réalité, attendait Palestrina, qui, brisant les liens de cette captive du plain-chant, lui mit au dos les ailes qui devaient un jour la porter si haut, agrandies par les Pergolèse, les Mozart et les Beethoven.

Malgré sa monotonie, elle n'en exerçait pas moins dès lors, par sa majesté prosodique, semée de mélodies im

1. Le Trivium, on le sait, degré préliminaire de l'enseignement, comprend dans le même ordre la Grammaire, la Dialectique et la Rhétorique.

LES MÉDICIS.

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mortelles dans leur simplicité attendrie ou terrible, un empire qui se prolonge encore dans les effets produits par la liturgie catholique.

L'influence de Léon X amena sous ce rapport au Vatican un changement sensible, une vraie séculari- ' sation de la musique sacrée. Effet naturel de la mélomanie d'un pape avide d'émotions nouvelles dans tous les arts. Il devait particulièrement s'inquiéter de celui dont son poste officiel lui imposait, pour ainsi parler, le commerce quotidien dans les longs offices de l'Église. Il le cultivait d'ailleurs assidûment et avec distinction. « Il disputait volontiers, dit Fabroni, les diverses questions de sons, d'accords et de tonalités. Et, dans sa chambre à coucher, il avait un luth dont il jouait et sur lequel il rendait, par expérience, raison de ses théories 1. >>

Mieux que la virtuosité musicale, nul goût esthétique ne s'accordait avec la situation de ce curieux aux impressions raffinées.

Dans la confession dernière où Henri Heine nous a laissé comme le testament de son scepticisme fantaisiste et quelque peu malveillant, ce charmant esprit, en ses retours d'hypocondriaque sur son existence passée, sembla regretter que le sort ne l'eût pas investi d'une des grasses prélatures de la curie romaine. Comme, avec ses goûts d'artiste et de museur intellectuel, il eût coulé

1. FABRONI, lib. I, p. 207.

doucement sa vie, entre la perpétration d'un madrigal à l'objet de ses feux plus ou moins platoniques et la lecture à des confrères d'académies, portant des noms de bergers, d'une docte dissertation sur un vase antique trouvé dans les fouilles du Champ de Flore ou de l'Aquilin! Entre temps, à la suite d'un cardinal ou parmi les sigisbées d'une beauté à la mode, sous les grands pins d'une villa, au bruit des cascades et des jets d'eau, le monsignor eût prodigué les séductions de sa tournure, les fusées de ses concetti. Ou bien, devant un autel (le jour baisse, la tremblante lueur des cierges jette des miroitements subits sur les tons chauds d'une fresque, de béats et énervants aromes invitent à l'extase assoupie), le jeune prélat écoute, de sa stalle, les voix étranges des soprani tisser en complexes accords le thème savamment varié d'une fugue de sa composition... N'abusons pas de ce rêve hypothétiquement rétrospectif d'une imagination délicate et fatiguée. Mais cette fantaisie de Heine aide à comprendre l'atmosphère où il faut se tenir pour s'expliquer Léon X, et son attrait pour les fonctions du culte inséparables de la musique, ce catholi cisme, en un mot, cadre et décor nécessaires de ces pompes et de ces délicatesses.

Le pape redoutait les longs sermons, il n'accordait pas plus d'un quart d'heure au chapelain qui prêchait chaque dimanche devant lui. En revanche, au lieu des vieux chants de Grégoire ou d'Ambroise, il se complaisait à ouïr, à composer au besoin la musique des hymnes exé

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