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La physionomie devait se composer en quelque sorte d'elle-même; elle se formait patiemment par la convergence des détails intellectuels et moraux, des développements du caractère expliqués en partie par les milieux ambiants qu'il fallait décrire et objectiver autour de cette intéressante, mais fugitive personnalité.

Telle semblait s'imposer la méthode. Pour justifier le résultat qu'elle atteint, à égale distance de l'admiration optimiste et du dénigrement systématique, cédons la parole à Pasquin, l'impitoyable satiriste de la tiare. Dans la partialité si inique, si envenimée, de sa sentence, on retrouve les traits principaux de Léon X, tels qu'ils nous sont apparus.

Charge et portrait reposent sur les mêmes données :

« Comme le pasteur Protée se fait reconnaître à son langage ambigu et qu'il erre insaisissable dans les eaux de la mer, ainsi, ô Léon, il n'y a nulle foi en toi, nulle constance en tes actes, et tes promesses sont toujours démenties par ta conduite. Le bien, le mal sont également imputables à l'équivoque Léon, et dans son indifférence il croit à peine au vrai 1. »

«Il pouvait emprunter aux ours (Orsini) ses titres, par le droit maternel, mais notre myope aima mieux être Lion (Leo). Qu'y a-t-il en toi de commun, o taupe, avec le lion ?? »

1.

2.

Pastor ut ambiguo Proteus dignoscitur ore
Et dubius liquidis sæpe vagatur aquis,
Sic, Leo, nulla fides tibi, nec constantia rebus,
Factaque promissis sunt odiosa tuis.

Nec bona nec mala, sunt dubio credenda Leoni.
Est etiam in verum ut vix adhibenda fides.
Sumere maternos titulos cum posset ab ursis,

Mais de ses deux amis, de ses deux grands compagnons d'œuvre, comment le séparer! Il ne serait pas connu tout à fait; le politique, le lettré, le philosophe, n'apparaîtraient pas en lui dans tout leur jour, si on ne le suivait pas dans ses intimités avec Bibbiena et Bembo. Sans cet accompagnement nécessaire, pour scrupuleusement fouillé qu'il semble, ce portrait, pivot de ces études, resterait inachevé.

Dès les débuts du règne (1514), une grande fête littéraire eut lieu au Vatican, la représentation de cette Calandria, qui, sans valoir la Mandragore de Machiavel, inaugura toutefois si dignement la comédie moderne. Le célèbre architecte Baldassare Peruzzi fut le machiniste et le décorateur de la scène. La pièce a pour auteur le favori de Léon, Bernardo Dovizi da Bibbiena. L'œuvre est leste, mais des mieux troussées: elle roule sur une perpétuelle confusion de sexe entre deux Ménechmes d'une ressemblance parfaite, un frère et une sœur, Lidio et Santilla.

L'intrigue se déroule dextrement à travers des complexités où les quiproquos foisonnent. Le comique, en ses écarts, sans outrepasser de beaucoup les limites de la bouffonnerie, se mêle à l'observation piquante, à une profonde entente du cœur humain, du monde en général,

Cæculus hic noster maluit esse Leo.

Quid tibi cum magno commune est, talpa, Leone?

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et de la société italienne de ce temps, avec ses bas-fonds bourbeux, ses superstitions et ses débauches, et l'éternelle béatitude dégagée à toute époque, en tout pays, par la bêtise satisfaite du bourgeois, de l'éternel bourgeois, du Joseph Prudhomme, disons-nous; galerie de masques grimaçants, saisis au vif dans le réel de l'attitude et le remous de l'existence vulgaire, bouffons, sbires, entremetteuses, filles et Cassandres!

Calandro est l'un de ces derniers. Calandro, c'est le bourgeois de Rome au quinzième siècle! Il aime Lidio, qu'il a vu vêtu en fille et qu'il prend pour telle. Fulvia, sa femme, s'éprend de Santilla, qu'elle a rencontrée en costume masculin. Ce double travestissement s'explique par une intrigue reposant sur la confusion causée par ces changements d'habits à l'encontre du sexe, — le mari prenant le bien-aimé de Fulvia pour sa belle, la femme croyant Santilla son galant.

De là le gros sel grivois semé dans l'œuvre, à l'ébaudissement du pontife, friand de telles pipées.

Où l'esprit émancipé de Bibbiena dépasse le niveau commun du siècle (le neveu de Pic de la Mirandole professa vers ce temps la magie dans son dialogue de la Strega; notre Bodin, environ cent ans après, écrivait sérieusement sa Démonologie), c'est dans le rôle joué par le Nécroman promettant à Fulvia les services d'un esprit familier dont il dispose et qui l'aidera à tromper son mari.

« Avec mes figures et mes points, dit à un complice ce Ruffo, avec mon expertise en toute chiromancie, entre les dames, j'ai

renom d'être un noble nécroman, et elles tiennent pour cerque je suis maître d'un esprit au moyen duquel elles pensent que je fais et défais ce que je veux 1. »

tain, - les crédules,

Ce type du Nécroman, une des singularités de l'époque, se retrouve, lui, son grimoire et ses relations directes avec les esprits de l'abîme dans les amusants Mémoires de Benvenuto Cellini. Maître ès arts sataniques, un prêtre, au Colysée, enferme l'artiste dans un cercle tracé sur le sol. A la lueur d'un feu où se vaporise l'arome peu engageant de l'assa fætida, et qui projette sur le prestigieux monument des lueurs et des ombres ressemblant à des spectres, il évoque en hébreu, en grec et en latin un million d'hommes terribles... et quatre énormes géants armés de pied en cap2 ».

Tel apparaît le Nécroman de la pièce.

Le benêt Calandro se laisse persuader par un valet, Fessenio, de se faire porter chez sa belle, —mussé dans un panier.

Passons, bien que d'un vrai comique, sur cette scène plaisante, où la stupidité de Calandro apparaît hyperbolique. Rien de changé à cet égard, ou peu de chose. L'équivalent existe dans la foi des bourgeois spirites de nos grandes villes aux morts faisant tourner les tables ou posant pour leur photographie. Fessenio, sur l'observation que le réceptacle est bien étroit, l'avertit que,

1. La Calandria, acte II, sc. III.

2. Mem. de Benvenuto Cellini, traduct. Leclanché, 2 vol. in-18; Paris, Paulin, éditeur, 1847; t. I, liv. Ier, ch. 1, p. 162-167.

grâce à ses incantations, il peut se couper les membres pour mieux se tasser, quitte à les reprendre en arrivant. Bien que rebelle à l'exécution, Calandro n'élève aucune objection contre la théorie.

Mais, demande le Cassandre, faudra-t-il me tenir dans ce panier éveillé ou endormi?

FESSENIO.

Belle question! Comment, éveillé ou endormi? Ne sais-tu pas qu'à cheval on se tient éveillé, dans les rues on marche, à table on mange, sur les bancs on s'asseoit, dans les lits on dort, et dans les paniers on meurt?

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Alors, comment sais-tu que c'est une mauvaise chose, si tu n'en as pas fait l'expérience?

CALANDRO.

Et comment fait-on pour mourir?

FESSENIO.

La mort est un conte! Puisque tu ne le sais pas, je veux

bien te dire le moyen de mourir.

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