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quoiqu'il n'eût pas reçu de la reinemère un accueil favorable. Des liens de famille et d'affection avaient rendu désagréable à la princesse la guerre entreprise pour assurer Mantoue au duc de Nevers. Elle était aussi offensée de n'être pas appuyée dans le projet de marier une fille du grandduc de Toscane à Monsieur, dont la femme venait de mourir. Les éclats du mécontentement de la reine n'in quiétèrent pas assez le cardinal pour le retenir à la cour. Il partit pour l'Italie, au mois de décembre (1629), malgré la rigueur de la saison. Il avait été déclaré lieutenant du roi, représentant sa personne au-delà des monts, avec des pouvoirs si étendus, qu'au dire des courtisans, le roi n'avait retenu que la faculté de guérir les écrouelles. S'il faut en croire les Mémoires de Pontis, le cardinal marchait à la tête des troupes, vêtu en général d'armée, avec la cuirasse et l'épée. Il se rendit maître de Pignerol et des états du duc de Savoie. Louis XIII vint, l'année suivante, courager les soldats par sa présence., La peste faisait des ravages en Savoie; et le cardinal encourait, aux yeux de la cour, la responsabilité des dangers auxquels il exposait la vie du prince. Le monarque sembla n'avoir évité la peste que pour manquer de succomber à Lyon, où il fut attaqué d'une maladie grave. Anne d'Autriche sejoignit à la reine-mère, pour conjurer le roi mourant d'éloigner son ministre. Dans ces tristes moments, à l'aspect d'une séparation, la tendresse pour les proches se ranime par fois. Louis, vaincu par les larmes d'une mère et d'une épouse, promit de leur donner satisfaction, dès que la guerre d'Italie serait terminée. Pendant que les deux reines agissaient, les courtisans délibéraient sur le

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parti qu'on prendrait à l'égard du cardinal. Le maréchal de Marillac offrait son bras pour l'assassiner; le duc de Guise voulait l'exiler; et le maréchal de Bassompierre proposait de l'enfermer dans une prison perpétuelle. Nous verrons ces propositions retomber sur leurs auteurs ; en sorte que chacun subit le sort qu'il avait réservé à l'objet de sa haine. De son côté, le cardinal songeait à sa sûreté. Le duc de Montmorenci, auquel le roi avait recommandé de le protéger, avait disposé des relais pour le conduire à Avignon. Ces précautions devinrent inutiles par le rétablissement subit de la santé du monarque, qui fut bientôt en état de se rendre à Paris. Durant le voyage, Louis, sans avouer au cardinal quelle promesse il avait faite à sa mère, le pressa fortement de se réconcilier avec elle. Richelieu ne négligea rien pour y parvenir : embarqué dans un même bateau avec Marie de Médicis, il déploya toute son adresse, afin de regagner un esprit dont il connaissait assez les défiances pour ne pas se flatter d'un succès facile. La reine, jalouse à l'excès d'un pouvoir qui balançait le sien, liée aux intérêts d'une faction, blessée peut-être de quelques railleries, demeura inflexible. Dès qu'on fut informé de la paix d'Italie, elle somma le roi de tenir sa promesse. Trop engagé pour refuser ouvertement, il tenta de justifier le cardinal; on dit qu'à genoux devant sa mère, il demandait le pardon de son ministre. Outrée de rencontrer tant d'obstacles, la princesse voulut se faire justice,,en ce qui dépendait d'elle le jour même, la surintendance de la maison de la reine est ôtée à Richelieu. Sa nièce chérie, la marquise de Combalet, est

chassée. Le capitaine des gardes, et tous les domestiques qui avaient été placés par le surintendant, reçoivent leur congé. Le cardinal opposait à la violence, d'humbles supplications, versait des larmes, et se jetait aux pieds de la princesse : « Voyez-vous >> ce méchant homme, disait-elle au >> roi ; il n'aspire qu'à vous ôter >> votre couronne, pour la donner >> au comte de Soissons, après qu'il » lui aura fait épouser sa nièce. » Le lendemain, Marie de Médicis, enfermée seule avec son fils, livra un dernier assaut à l'irrésolution. Richelieu sentit le danger d'abandonner le roi à lui même. Il voulut pénétrer dans le cabinet; toutes les portes étaient fermées. Enfin, il passa par une petite chapelle dont on avait négligé l'issue. La reine l'accabla des invectives que la fureur peut inspirer à une femme. Baignée de larmes, elle demandait à son fils s'il serait assez dénaturé pour préférer un valet à sa mère. Le cardinal se crut perdu, et il songeait à se retirer au Havre; l'altération de son visage décourageait ses amis; on emballait déjà ses meubles. Marie triomphait au Luxembourg, où les cour tisans accouraient. Louis XIII alla cacher sa perplexité dans la maison de chasse de Versailles. Un favori entreprit de sauver Richelieu: Saint-Simon suggéra au roi l'idée de s'expliquer encore avant de se séparer. Le cardinal, averti, vole à Versailles, parle, et reprend sur son maître l'ascendant du génie. La reine désolée prétendit qu'elle l'aurait emporté, si elle n'eût pas négligé de pousser un verrou, et de suivre son fils. Ce jour (11 novembre 1630) fut nommé la journée des dupes, et le nombre en fut considérable. Le pouvoir ébranlé signala son rétablis

sement par des coups d'autorité: le garde des sceaux Marillac, magistrat irréprochable, est conduit dans l'exil, où il mourut : son frère, maréchal de France, est arrêté, au milieu de l'armée d'Italie, dont il était un des généraux. Le maréchal de Bassompierre, chéri du roi, capitaine renommé, commence son séjour de douze années à la Bastille. Les courtisans les plus affectionnés de la reine-mère, ne sont pas épar gnés, et plusieurs se sauvent hors du royaume. Marie de Médicis, toujours violente et emportée, savait garder des secrets, mais ne pouvait cacher des sentiments. Cependant ses moindres démarches étaient surveillées, ses paroles observées. Le cardinal, se défiant seul d'une mémoire trop fidèle, mettait par écrit, journellement, les avis, les mots, les bruits qu'il recueillait par lui-même, par ses amis ou par ses espions: ces notes, confiées aux plus épaisses ténèbres et presque toutes de sa main, ont passé à la postérité, sous le nom de Journal fait durant le grand orage de la cour; odieux modèle des archives de police, ouvertes depuis, par les gouvernements, au mensonge et à la perfidie. Des apparences trompeuses de réconciliation entre le cardinal et la princesse étaient chères au cœur du roi ; il la vit avec joie reprendre séance au conseil. Italienne et Florentine, elle méditait sa vengeance. Par ses conseils, Gaston rompit toute mesure, se retira dans ses gouvernements, et bientôt sur les terres d'Espagne. On put dès-lors convaincre Louis, que la présence de sa mère à la cour était incompatible avec la tranquillité de l'état et le repos du monarque. Son éloignement fut résolu. On essaya de masquer le procédé d'un fils qui

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attente à la liberté de sa mère. Ce ne fut pas la reine que l'on arracha de la cour: mais le roi, quittant inopinément Compiègne, la laissa sous la garde du maréchal d'Estrées. Consternée d'un abandon subit, sans que sa fierté diminuât, elle refusa toutes les résidences qu'on lui offrit. Enfin, après quatre mois d'un triste séjour à Compiègne, elle prit le parti de quitter la France, et passa le reste sa vie à la regretter (V. MARIE DE MÉDICIS, XXVII, 68). On ne saurait douter que le cardinal ne suggérât ou ne facilitât l'évasion. Satisfait d'un expédient qui terminait la lutte dans laquelle il avait failli succomber, il disait énergiquement, que la sortie de la reine, et celle de Monsieur, avaient été, pour le royaume, comme une purgation salutaire. Richelieu devint l'arbitre de la cour. Personne, sans son aveu, ne conserva d'accès auprès du prince. La reine régnante était sans cré1it; il ne négligea pas, néanmoins, l'occasion de la rabaisser : on intercepta des lettres que lui écrivait sa damne d'atours la comtesse du Fargis; aussitôt une chambre de justice est instituée, et un arrêt condamne la comtesse à être décapitée. La reine dut se consoler le cardinal ne put faire paraître la dame d'atours sur la place de Grève, qu'en effigie. Le parlement se montrait blessé des atteintes portées au cours ordinaire de la justice; et la déclaration de lèse-majesté contre les compagnons de la fuite de Monsieur, n'avait pu être enregistrée. Gaston et Marie de Médicis avaient présenté, contre le cardinal, des suppliques accueillies avec intérêt. Le roi y avait répondu par une autre déclaration qui prodiguait les éloges au ministre. Pour mieux faire éclater ses sentiments, le prince di

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sait naïvement aux députés du parlement, en désignant le cardinal,

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Quiconque m'aimera, l'aimera. » Malgré l'opposition de la magistrature on établit une chambre du domaine, pour suivre la confiscation des biens, sur les complices de Monsieur et de la reine-mère. Le jugement de leur personne fut réservé à une autre chambre, instituée originairement pour punir les faux monnayeurs. Un troisième tribunal extraordinaire procéda çontre le maréchal de Marillac; quoique le parlement eût revendiqué le procès. La haine de Richelieu contre l'accusé, était fortifiée par celle qu'il portait au garde-des-sceaux. Il osa abjurer toute pudeur dans ses ressentiments, en disposant à Ruel, dans sa propre maison, une prison pour son ennemi, et une salle où le tribunal s'installa. Marillac aimait le faste: on rechercha par quels moyens il en avait pu soutenir les dépenses. Un arrêt le déclara convaincu de péculat et de concussion. L'indignation publique proclama que la mort d'un maréchal de France, illustré par quarante années de services, avait une autre cause. Le cardinal même n'osa le nier, lorsque la reine mère lui adressa cette question embarrassante: « Le maréchal serait-il prisonnier, >> si vous étiez resté mon surinten» dant ? » Le ministre laissa, plus tard, percer une partie de son secret: « La constitution présente de l'état requérait un grand exemple. » Bayle révoque en doute le propos si insultant pour le tribunal qui avait servi sa vengeance: « Il faut avouer que » Dieu doune aux juges des lumières » qu'il refuse aux autres hommes. » L'ardeur avec laquelle le cardinal poussait ses ennemis, ne le détournait pas des soins du gouvernement.

Rien ne pouvait lui faire oublier les plans qu'il avait conçus pour la gloire de l'état; et quand l'instant favorable à leur exécution approchait, il savait s'affranchir de toute autre préoccupation. Dans le temps que son existence entière était compromise, qu'il ignorait ce que lui réservaient les fureurs de la reinemère, il attaquait au cœur la puissance de la maison d'Autriche, détachant la Bavière de son alliance, suspendant un traité avec le Danemark, semant la division dans la ligue catholique d'Allemagne. Le même ministre qui avait si opiniâtrément combattu les protestants de France, traitait avec Gustave, chef de leur confédération en Allemagne, et lui envoyait, pour auxiliaires, des troupes du roi très-chrétien; politique cruelle, qui livrait l'Allemagne à d'effroyables calamités ; scandale qui mettait en doute la catholicité du cardinal de Richelieu sur qui l'on appelait de toutes parts les foudres de l'Eglise. Qu'il eût négligé ses intérêts personnels au milieu de tant d'affaires, c'était peut-être trop exiger d'un homme sensible aux honneurs et à l'éclat des richesses. Déjà grandmaître de la navigation, le gouvernement de Bretagne lui sembla nécessaire. Il fallut changer l'ancienne et modeste demeure de la famille Duplessis en un château, où le roi et la reine avaient leur appartement, qui n'eût déparé aucune des maisons royales (V. J. MAROT): la pairie d'un cardinal, duc et premier ministre, n'exigeait pas moins. Le viilage de Richelieu prit l'étendue d'une ville, favorisée de priviléges utiles, d'un college royal, et d'une académie destinée à l'éducation de la noblesse. Les ennemis du cardinal se ranimèrent à la vue de Gaston, qui entrait en

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France à main armée, apportant un manifeste contre le perturbateur du repos public, l'ennemi du roi et de la maison royale, le dissipateur de l'état, le tyran d'un grand nombre de personnes de qualité, et généralement des peuples de France. Le duc de Montmorenci, ayant prêté son bras à la révolte, fut le second maréchal de France qui, dans l'espace de six mois, périt sur l'échafaud. Il implora vainement l'ancienne amitié du ministre, et la récompense du secours qu'il avait généreusement offert à Lyon. Richelieu voulut frapper tous les grands, dans la personne d'un seul, et montrer que le temps n'était plus où la rebellion se pardonnait. Le sort du coupable fut digne de pitié : la sévérité put être nécessaire (V. MONTMORENCI, XXX, 19, et MORET). Mais les châtiments s'étendirent au loin on cherchait de tous côtés les complices; et des gentilhommes étaient condamnes au sup. plice de la roue, à être tirés à quatre chevaux; leurs biens étaient confisqués et leurs maisons rasées. L'intendant de Champagne, Laffemas, s'acquérait le surnom de bourreau du cardinal. Le garde-des-sceaux, Château-Neuf, fut, comme son prédécesseur Marillac, confiné dans un château, où il resta dix ans. Le chevalier de Jars reçut sa grâce sur l'échafaud. Des évêques du Languedoc étaient coupables; mais le caractère épiscopal réclamait des ménagements d'un prince de l'Église ; et deux seulement furent punis par la déposition canonique (V. PAUSE). Il n'était plus question, comme on l'avait hypocritement proposé à l'assemblée de 1626, d'adoucir les peines contre les criminels d'état; on les rendit au contraire plus rigoureuses par lettres - patentes eure

gistrées dans un lit-de-justice. Un seul trait peindra la terreur dont la sévérité du ministre avait frappé les esprits: le maréchal d'Estrées commandait l'armée du roi à Trèves; il apprend que ses lieutenants ont reçu un paquet de la cour, et il suppose qu'il contient l'ordre de l'arrêter. Aussitôt le général abandonne ses troupes; et s'enfuit en Allemagne. Le roi écrivit pour le rassurer, et le faire revenir. Rien n'annonce que le cardinal ne lui ait pas su bon gré d'avoir eu si peur. Ses plus grandes inquiétudes yenaient de Gaston, frère du roi, qui rompait les traités avec la même facilité qu'il les signait. Ce prince avait épousé, sans l'agrément du roi, la sœur du duc de Lorraine. Ce mariage contrariait la politique du cardinal, qui employa les ressources de son esprit pour le faire casser (V. ORLÉANS, XXXII, 88). La guerre avec la Lorraine s'en étant suivie, et le duc ayant été promptement réduit aux extrémités, imagina d'abdiquer en faveur du cardinal de Lorraine son frère. Celui-ci, ne sachant, non plus, comment apaiser l'orage, offrit de quitter l'état ecclésiastique, et d'accepter la main de Mme. de Combalet. Ce bizarre projet, resté sans effet, fit supposer que Richelieu avait conçu des prétentions encore plus exagérées, et que ses persécutions contre Monsieur avaient pour but de le contraindre à épouser sa nièce. Puylaurens jouissait alors de toute la faveur de ce prince. Le ministre, fatigué de négocier sans garantie, fit un traité particulier avec lui. Le favori devin duc, et même parent du cardinal, er épousant une de ses cousines. Une alliance si desirée n'empêcha pas que Puylaurens n'allât bientôt mourir dans les prisons

de Vincennes. Conseil de Gaston, il pouvait peut-être répondre de sa conduite factieuse. On accusa le cardinal de se l'être attaché par les liens du sang pour le perdre plus sûrement. La persévérance avec laquelle se suivait le plan d'abaisser la maison d'Autriche, ralluma la guerre contre l'Espagne. Richelieu convoitait les Pays-Bas, jusqu'à Anvers et Malines. Sa vue pénétrante avait démêlé que ces provinces étaient dès lors trop semblables à la France pour en être séparées. Il fixa, par un traité avec les états - généraux, les limites au-delà desquelles d'autres mœurs et d'autres habitudes appelaient la domination hollandaise. Il calculait aussi les chances qui pouvaient soustraire la Franche-Comté à la couronne d'Espagne. Le succès de la guerre ne répondit point à son attente les frontières de la Picardie, mal défendues, ouvrirent un large passage aux troupes ennemies ; on fut inquiet, dans la capitale, mais on n'y perdit pas courage. Les bourgeois de Paris, les communautés religieuses, tous les corps de l'é-tat, se montrèrent Français. Un cri général s'élevait contre le premier ministre ; et le roi semblait accessible au mécontentement populaire. On crut que cette fois le cardinal se disposait à la retraite. Bien des gens se seraient consolés des malheurs publics; mais un capucin, le P. Joseph, qui consacra sa vie à l'ambition, peut-être à l'amitié, lui inspira la résolution de braver l'orage. Richelieu adopta le parti, toujours utile, rarement équitable en France, d'attribuer les revers à la lâcheté des commandants. Les gouverneurs de Corbie et de la Capelle, qui n'étaient que malheureux, furent jugés criminels de lèse - majesté au

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