Immagini della pagina
PDF
ePub

elle une lettre morte pour la plupart de ceux qui faisaient profession de l'enseigner. Les leçons des philosophes ne pouvaient pénétrer dans la foule. Le stoïcisme était plutôt une doctrine individuelle que sociale: il isolait l'homme en lui-même, il creusait au fond de son âme un foyer d'indépendance que les événements extérieurs ne pouvaient troubler.

Et où étaient les vrais stoïciens? Où étaient les hommes qui portaient dans leurs actions l'empreinte vivante de cette noble et pure doctrine? Épictète désespérait de trouver, non pas un stoïcien parfait et achevé, mais seulement l'ébauche d'un stoïcien « Montrez-moi, disait<«<il, un homme qui dans la maladie se trouve heu« reux, qui dans le danger se trouve heureux, qui en << mourant se trouve heureux, qui frappé d'une condam<< nation d'exil se trouve heureux, qui dans l'ignomi<< nie d'une basse condition se trouve heureux... Mon<< trez-moi un homme qui veuille se confornier en tout « à la volonté de Dieu, qui n'accuse jamais ni Dieu ni les <«< hommes, qui ne soit jamais frustré dans ses désirs, qui << ne soit blessé par aucun événement, qui soit inacces«sible à la colère et à l'envie, incapable de médire d'au« trui, qui, je le dirai sans plus de détours, désire dé<< pouiller l'homme pour devenir un dieu, et dans ce « misérable corps mortel aspire à entrer en communion << avec Jupiter. Encore une fcis, montrez-moi cet homme ! « Vous ne le pouvez. Pourquoi donc vous tromper vous

<< mêmes, et en imposer aux autres? Pourquoi, couverts. « d'un masque étranger, allez-vous partout, imposteurs « et plagiaires, parés d'un nom et d'une doctrine qui ne << vous appartiennent pas (1)? »

Telle est la situation morale de l'empire au commencement du IIe siècle.

A côté des deux anciennes puissances qui ont vécu jusque là soit séparées, soit hostiles, et qui maintenant. semblent se rapprocher comme pour conjurer un péril commun, le christianisme grandit, s'élève, pousse partout des racines et trouve dans les obstacles mêmes qu'on lui oppose un principe de force.

Semblable à ce tronc desséché dont parle un poète, qui étend dans l'air ses branches arides et ne tient plus au sol que par son seul poids (2), la religion païenne ne conserve plus que l'ombre de la vie, quoiqu'elle ait pour elle, sans compter la sanction du temps, la force extérieure dans ses manifestations les plus redoutables, à savoir les lois, le pouvoir politique et le nombre.

La philosophie paraît abdiquer ou préparer les éléments d'une transformation nouvelle. Parmi ses interprètes, les uns sont des érudits ou des sophistes qui, dans une société fatiguée d'oisiveté et inamusable, exposent, commentent

(1) ÉPICT., Dissert., éd. Didot, Biblioth. grecq., t. X, p. 112.

(2)

[ocr errors]

Nec jam validis radicibus hærens

Pondere fixa suo est, nudosque per aera ramos
Effundens, trunco, non frondibus efficit umbram. »
(LUCAIN, I, 138.)

et discutent les systèmes, comme des jeux d'esprit. Les autres, qui sentent mieux ce dont le monde a besoin et parfois le lui disent, manquent d'autorité. Ils parlent, dit-on, mieux qu'ils n'agissent (1).

La société n'est que contraste superstition extrême et extrême incrédulité; scepticisme railleur et confiance puérile dans les plus vils thaumaturges; absence de croyances et croyances extravagantes. Au fond, chez tous, un profond besoin de croire, une singulière lassitude des vieux systèmes et un goût déréglé de nouveautés.

(1) SENEQUE, De Vita Beata, XVII.

SAINT JUSTIN APOLOGISTE.

CHAPITRE PREMIER.

Vie de saint Justin.

-

Le christianisme attire à soi ceux que la philosophie avait toujours dédaignés, et les retient par son autorité et le caractère simple, pratique et familier de ses enseignements. Il est pour les esprits cultivés, tourmentés du besoin de croire, en ces jours de trouble et d'incrédulité universelle, un asile où ils se réfugient et trouvent le repos. Lieu, date de la naissance et race de saint Justin. - Histoire de son passage dans les écoles philosophiques et de sa conversion au christianisme. Longue citation d'un passage du dialogue de saint Justin avec le Juif Triphon. Caractère critique et négatif de ce passage. Causes et caractère de la conversion de saint Justin. Incertitude sur l'époque précise de cet événement, et en général pauvreté des renseignements qu'on possède sur les détails de la vie de saint Justin. Son séjour à Rome. Il adresse à Antonin le Pieux sa première Apologie pour les chrétiens. Son voyage en Asie et son séjour à Éphèse. Son retour à Rome. Ses discussions avec le philosophe cynique Crescent. Deuxième Apologie adressée à Antonin le Pieux. Martyre de saint Justin ordonné par Junius Rusticus, préfet de Rome. Actes du martyre de saint Justin. Détermination de la date du martyre de saint Justin.

Avec Sénèque et les stoïciens Musonius et Epictète, la philosophie avait pris un caractère tout pratique. Elle répudiait les discussions oiseuses et les arguties sophistiques, et s'essayait au rôle d'institutrice de la vie et de gardienne des mœurs (1). Rendre les hommes meilleurs, faire descendre la sagesse dans les actions, régénérer les

(1)« Hæc (philosophia) docet colere divina, bumana diligere, et penes Deos imperium esse, inter homines consortium. » (SÉN., ad

âmes, purifier les passions et former des hommes nouveaux, tel était le problème qu'elle avait posé encore plus que résolu. C'est le même problème que le christianisme prétendait résoudre, et il est incontestable qu'en dépit des obstacles qu'il avait rencontrés de toutes parts dès son berceau et des luttes qu'il lui avait fallu soutenir partout où il s'était établi, c'était parmi les seuls chrétiens qu'on pouvait généralement trouver l'image d'une vie simple, de mœurs pures et de vertus dès longtemps oubliées.

Le Christ ne s'était pas donné pour un chef d'école ; il ne s'était pas adressé aux intelligences cultivées. Il avait attiré le peuple autour de lui. Sa doctrine ne s'était pas présentée comme une doctrine philosophique, comme un système rationnel fortement lié dans toutes ses parties, et embrassant dans de savantes explications Dieu, la nature et l'homme. Sans avoir repoussé la discussion, ce n'est pas par elle que la doctrine nouvelle s'était introduite dans les esprits. Elle n'exigeait pas pour s'établir l'appareil compliqué qu'exigent les théories métaphysiques ordinaires. Elle s'offrait comme une œuvre divine; elle touchait plus le cœur que la raison; elle était accessible à la foule par le caractère pratique et familier de ses enseignements, dont l'amour de Dieu et l'amour du prochain étaient en quelque

Lucil., 90.) Adorer Dieu et aimer son prochain, n'est-ce pas l'abrégé de toute la morale?

Sénèque s'élève très-fréquemment contre les disputes oiseuses et les faiseurs de syllogismes: « Quid mihi lusoria ista proponis? Non est jocandi locus ad miseros advocatus es. » (Ep. à Lucil., 49, 117.)

«Non delectent verba nostra sed prosint.... aliæ artes ad ingenium totæ pertinent hic animi negotium agitur. Non quærit æger medicum eloquentem sed sanantem... Quid aures meas scalpis? Quid oblectas? Aliud agitur.... Non est beatus qui scit ista sed qui facit. (SÉNÈQ., ad Lucil., ep. 75.)

« IndietroContinua »