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capitale, pour les stoïciens, la raison humaine est la détermination de la raison divine, sa réalisation, et proprement une portion de la substance même de Dieu. Dieu tout entier, dans ce système, est incarné dans le monde : il lui est consubstantiel. Il n'y a pas d'autre raison divine que la raison humaine; autrement dit, la raison humaine et la raison divine sont identiques, et ne sont pas deux raisons, mais une seule. Pour saint Justin, le Verbe divin, tout en se communiquant en partie aux âmes, garde son essence distincte, et ne se confond pas avec elles. Encore une fois, cette différence est capitale. Le Dieu stoïcien, c'est la nature vivante. Saint Justin, qui s'était appliqué d'abord au stoïcisme, le savait bien, et c'est pour cela peut-être qu'il disait en quittant cette école qu'il n'y était pas question de Dieu.

Nous pouvons le dire maintenant, la complaisance de saint Justin pour la philosophie profane n'est pas une transaction avec sa conscience; elle n'est pas non plus un trait d'habileté d'avocat, ni une concession aux préjugés de la foule ou à l'habit qu'il porte: elle résulte de sa théorie du 5 Repuτixés et de sa croyance à l'universelle et naturelle communication de la raison divine avec la raison humaine.

Aux yeux de saint Justin, la philosophie profane et la religion chrétienne ont un but et un objet communs. L'une et l'autre nous entretiennent de notre âme, de sa nature et de ses destinées, du bien et du mal, du devoir, de Dieu et de sa Providence. Saint Justin l'avoue implicitement; car c'est à la philosophie qu'il s'adressa d'abord pour donner satisfaction aux plus impérieux besoins de son âme, et résoudre les grands problèmes qui sont l'éternel souci des esprits élevés. Après sa conversion, alors qu'il

raconte les vicissitudes de sa pensée, il le dit nettement : L'œuvre de la philosophie, c'est l'étude de Dieu (1). Elle a pour fin dernière de nous conduire à lui, et ceux qui s'y appliquent sont vraiment saints (2). Elle est la connaissance des choses divines et humaines; elle est la source de la prudence et du bonheur. Comment saint Justin définirait-il autrement le christianisme? Dans sa première Apologie, il fait appel à la philosophie de ses juges, et, comme s'il voulait déclarer qu'en devenant chrétien on demeure philosophe, il cite, sans l'altérer beaucoup, le mot de Platon : «< Nul État ne saurait être heureux, dit-il, tant que les princes et les sujets ne seront pas philosophes (3). » Il est vrai que saint Justin distingue la philosophie ainsi envisagée d'une manière générale, des sectes et des systèmes philosophiques. Il avoue que plusieurs prennent le titre et le manteau de philosophe, sans tenir tout ce que promet ce nom (4); qu'ils se contredisent

(4) Τοῦτο ἔργον ἐστι φιλοσοφίας ἐξετάζειν περὶ τοῦ Θείου. (Dial. avec Tryph., § I, p. 4.)

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(2) Εστι γὰρ τῷ ὄντι φιλοσοφία μέγιστον κτῆμα καὶ τιμιώτατον θεῷ, ᾧ τε προσάγει καὶ συνίστησιν ἡμᾶς μόνη, καὶ ὅσιοι, ὡς ἀληθῶς, οὗτοί εἰσιν οἱ φιλοσοφία τὸν νοῦν προσεσχηκότες. (Dial. avec Tryph., § 4, p. 6.) (3) Apol. 1, § 3, p. 8. Voici la pensée de Platon telle qu'elle se trouve au livre V de la République : « Tant que les philosophes ne seront pas rois, ou que ceux qu'on appelle aujourd'hui rois ne seront pas vraiment et sérieusement philosophes; tant que la puissance politique et la philosophie ne se trouveront pas ensemble, et qu'une loi supérieure n'écartera pas la foule de ceux qui s'attachent exclusivement aujourd'hui à l'une ou à l'autre, il n'est point, ô mon cher Glaucon, de remède aux maux qui désolent les États, ni même, selon moi, à ceux du genre humain. » (Trad. Cousin, t. IX, p. 305.)

(4) Φιλοσοφίας ὄνομα καὶ σχῆμα ἐπιγράφονταί τινες, οἳ οὐδὲν ἄξιον τῆς ὑποσχέσεως πράττουσι. (Apol. 1, § 4, p. 12.)

les uns les autres; qu'ils ne sont pas d'accord avec euxmêmes; que quelques-uns ont enseigné l'athéisme. Mais quoi! n'y a-t-il pas aussi de mauvais et de faux chrétiens? n'y en a-t-il pas qui refusent d'avouer la divinité du Christ (1)? La philosophie n'est pas plus responsable des contradictions et des erreurs des philosophes que le christianisme des actions coupables et des témérités de ceux qui le déshonorent. S'il y a des Épicure, il y a aussi des Marcion. Nous ne citons pas ici saint Justin; nous interprétons sa pensée. En effet, bien qu'il admette que la philosophie a quelquefois rencontré la vérité, et que la raison, livrée à ses seules forces, puisse acheminer l'homme au but où la doctrine chrétienne l'établit, il n'est pas vrai, nous l'avons dit déjà, que saint Justin ait jamais songé à faire entre l'une et l'autre aucune assimilation expresse. Cependant, il ne considère pas seulement le christianisme comme une règle. Il ne l'appuie pas sur l'autorité seule. Il rappelle qu'il a subjugué non seulement des artisans et des ignorants, mais des lettrés et des philosophes (2). Croire au Christ n'est pas, selon lui, faire le sacrifice de sa raison. A côté de la grâce divine qui incline la croyance avec plus de force qu'aucun artifice du langage humain, il y a place pour le raisonnement. «En plusieurs choses, dit-il, nous parlons comme ceux de vos poètes et de vos philosophes qui sont le plus estimés parmi vous; en d'autres, d'une manière plus

(1) Εἰσί τινες, ὦ φίλοι, ἔλεγον, ἀπὸ τοῦ ἡμετέρου γένους ὁμολογοῦντες αὐτὸν Χριστὸν εἶναι, ἄνθρωπον δὲ ἐξ ἀνθρώπων γενόμενον ἀποφαινόμενοι. (Dial. avec Tryph., § 48, p. 158.)

(2) Οὐ φιλόσοφοι οὐδὲ φιλολόγοι μόνον ἐπείσθησαν ἀλλὰ καὶ χειροτέχναι καὶ παντελῶς ἰδιῶται. (Apol. II, § 11, p. 194.)

grande et plus divine, et, seuls, nous apportons des démonstrations (1). »

C'était répondre d'avance à Celse et aux philosophes païens qui accusaient les chrétiens d'asservir la raison, et de n'exiger de leurs disciples qu'un acte passif d'adhésion. Un peu plus tard, Athénagore, animé du même esprit que saint Justin, répondait à cette même accusation en composant un traité purement philosophique sur le dogme chrétien de la résurrection des morts, contre lequel la polémique païenne n'avait pas assez de railleries. Ici, cependant, de quelle espèce de démonstration saint Justin veut-il parler? C'est moins, à ce qu'il nous semble, de celle qui consiste dans le développement d'arguments fortement enchaînés, car le Christ est, comme les prophètes, audessus de toute démonstration (2), étant l'incarnation vivante de la vérité, que de celle qui a manqué à tous les systèmes de philosophie profane, et qui consiste dans l'action directe et efficace de la doctrine sur la vie.

(1) Ομοίως τινὰ τοῖς παρ ̓ ὑμῖν τιμωμένοις ποιηταῖς καὶ φιλοσόφοις λέγομεν, ἔνια δὲ καὶ μειζόνως καὶ θειοτέρως, καὶ μόνοι μετ ̓ ἀποδείξεως. (Apol. I, § 20, p. 52.)

(2) A’vwrépw ráons àñodeížews. (Dial. avec Tryph., § 7, p. 30.)

RAPPORTS ET ANALOGIES DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE ET DU PAGANISME D'APRÈS SAINT JUSTIN.

IDÉE GÉNÉRALE DE CETTE TROISIÈME PARTIE.

Dans sa défense de la doctrine chrétienne, saint Justin use très-fréquemment d'un argument qui devait, à ce qu'il semble, toucher ses adversaires, et sur lequel il convient d'insister quelque temps. Nous voulons parler des nombreuses analogies qu'il signale entre les dogmes chrétiens et les enseignements philosophiques ou religieux du paganisme.

Que les païens fussent peu frappés de sa démonstration de la divinité du Christ, cela se conçoit aisément. Il s'en fallait que tous les Juifs trouvassent dans les témoignages de leurs livres sacrés une suffisante raison de croire à l'accomplissement des prophéties touchant le Messie, dans la personne de Jésus, né dans une étable et mort sur la croix. Les allégories et les figures de l'Ancien-Testament, toute la poésie de David et d'Isaïe, étaient pour les païens lettre morte. Comment auraient-ils pu suivre saint Justin dans des interprétations que Tryphon et ses amis traitaient d'arbitraires? A quelle lumière auraient-ils pu contrôler et vérifier ses assertions? L'histoire de Jésus était pour eux entourée de ténèbres, et les passages des livres juifs, que saint Justin prétendait s'ajuster aux événements peu

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